Un plastique biodégradable avec des enzymes intégrées ?
Publié en ligne le 15 août 2025 - Technologie -
Le terme « plastique » désigne un matériau constitué d’un polymère auquel sont souvent ajoutés divers additifs améliorant ses propriétés physiques ou réduisant son coût [1]. Pour l’année 2022, on estime que plus de 400 millions de tonnes de plastiques ont été produites sur Terre, en grande majorité via la conversion de pétrole, gaz ou charbon [2]. Cette dernière requiert de l’énergie dont la production est responsable de l’émission de gaz à effet de serre [3]. La gestion des déchets plastiques est un autre problème important. Il a été estimé qu’environ 12 milliards de tonnes de ces déchets s’accumuleront en décharge ou dans l’environnement d’ici 2050 [4]. Non pris en charge, le plastique s’accumule dans l’environnement sous des formes microscopiques et macroscopiques, avec des effets néfastes soupçonnés sur divers écosystèmes et la santé humaine [5]. La pollution due aux plastiques est généralement causée par leur manque de dégradabilité.
L’acide polylactique (PLA) est un polymère qui propose une alternative intéressante aux plastiques provenant de sources fossiles. Il est composé d’acide lactique, une molécule généralement obtenue par la fermentation microbienne de sucres issus de biomasse. En 2022, plus de 400 000 tonnes de PLA ont été produites pour des applications comme le conditionnement alimentaire [6]. L’acide lactique du PLA est une source de carbone exploitable par de nombreux micro-organismes, ce qui le rend potentiellement biodégradable. Néanmoins, le PLA n’est que peu dégradable dans le sol, les océans ou en compost.
Pourquoi le PLA n’est-il que peu biodégradable ? Dans l’environnement, les micro-organismes utilisent des enzymes pour métaboliser divers nutriments. Or il existe des enzymes capables de « digérer » le PLA, mais celles-ci sont soit trop peu efficaces, soit trop peu présentes dans de nombreux environnements. Améliorer la biodégradabilité du PLA suppose de fournir une aide aux micro-organismes pour le digérer. Comment s’y prendre ?
Une équipe de chercheurs de l’Institut de biotechnologie blanche de Toulouse et de l’entreprise Carbios s’est intéressée à la question [5]. La solution proposée est d’intégrer les enzymes directement dans le PLA. Comme ces enzymes ne sont actives qu’en des conditions de forte humidité, cela pourrait permettre de digérer le PLA une fois dans l’environnement, assurant sa biodégradation.
La mise en pratique reste un défi de taille avec de multiples obstacles. L’enzyme idéale pour un tel matériau doit posséder un éventail de propriétés indispensables. Premièrement, l’ajout d’enzymes au PLA nécessite de hautes températures (160 °C). L’enzyme utilisée doit donc être capable de tolérer ces températures sans se dénaturer et perdre alors son activité. Ensuite, elle doit posséder une activité optimale pour dépolymériser le PLA en quelques semaines dans des conditions environnementales (la température et le pH dans un compost domestique fluctuent respectivement de 28 °C à 45 °C et de 7,5 à 9). De plus, l’enzyme doit être inactive dans des conditions de stockage (faible humidité et température ambiante) pour éviter la dégradation du plastique sur les étagères. Enfin, l’ajout de l’enzyme au PLA ne doit pas altérer les caractéristiques physiques de ce dernier (ductilité, résistance à la traction…).
L’équipe est parvenue à identifier et produire une enzyme provenant d’une bactérie du genre Thermus, capable de proliférer à de hautes températures. Cette enzyme tolère des températures allant jusqu’à 76 °C et peut digérer lentement le PLA dans les conditions d’un compost. Les chercheurs ont ensuite amélioré ces propriétés grâce à des mutations, la rendant jusqu’à 80 fois plus active et stable jusqu’à environ 79 °C. Ils ont eu enfin recours à une formulation spéciale pour pouvoir intégrer l’enzyme au PLA à 160 °C sans l’endommager.
Il restait à tester la dégradabilité et la stabilité du nouveau matériau. Conservé un an et demi à température ambiante et humidité faible, celui-ci n’a montré aucun signe apparent de dégradation ni changement dans ses propriétés physiques. De plus, incuber le nouveau matériau en conditions de compost domestique en laboratoire a mené à sa désintégration macroscopique 1 complète en environ cinq mois. En conditions industrielles (60 °C, 55 % d’humidité), l’équipe a montré également que le matériau pouvait se dégrader plus efficacement que du PLA simple, permettant ainsi sa valorisation pour la production de méthane par fermentation microbienne industrielle.
Ces résultats montrent un certain potentiel des plastiques intégrant des enzymes afin de les valoriser une fois transformés en déchets. Cela a un très grand intérêt dans certaines filières, principalement celles qui envoient leurs déchets en méthaniseurs. L’établissement d’un tel modèle pourrait également contribuer à une baisse de la pollution plastique. Néanmoins, le passage au stade industriel n’est pas encore acquis, la production et la purification d’enzymes étant coûteuses. De plus, les méthodes utilisées dans l’étude ne permettent pas de savoir si la dégradation du nouveau matériau ne laisserait pas de pollution microscopique dans l’environnement.
1 | Vert M et al., "Terminology for biorelated polymers and applications : IUPAC Recommendations 2012", Pure and Applied Chemistry, 2012, 84:377-410
2 | Stegmann P et al., "Plastic futures and their CO2 emissions", Nature, 2022, 612:272-6
3 | Cabernard L et al., "Growing environmental footprint of plastics driven by coal combustion", Nat Sustain, 2022, 5:139-48
4 | Geyer R et al., "Production, use, and fate of all plastics ever made", Sci Adv, 2017, 3:e1700782
5 | Iroegbu AOC et al., "Plastic pollution : a perspective on matters arising : challenges and opportunities", ACS Omega, 2021, 6:19343-55
6 | Guicherd M et al., "An engineered enzyme embedded into PLA to make self-biodegradable plastic", Nature, 2024, 631 : 884-90
1 Cassure physique d’un matériau en très petits fragments. (ISO 20200 :2023).
Publié dans le n° 352 de la revue
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L'auteur
Paul Lubrano

Membre de l’Association française de biologie de synthèse (afbs.fr). Il a été étudiant en thèse à l’université de (…)
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