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Charles Darwin — 1837-1839 : aux sources d’une découverte

Publié en ligne le 26 mars 2010
Charles Darwin — 1837-1839 : aux sources d’une découverte

Daniel Becquemont
Éditions Kimé, 2009, 308 pages, 28 €

Au milieu de tous les ouvrages sur Darwin, publiés en cette année 2009 qui vient de s’achever, celui-ci est un peu particulier puisqu’il couvre seulement deux années des cahiers de travail de Darwin. On pouvait craindre que cette étude ne soit trop spécialisée. Il n’en est rien. Je n’imaginais pas avant lecture que ces fameux carnets nous révèlent tant de choses sur l’élaboration de la théorie darwinienne de l’évolution. Les auteurs de langue anglaise sont friands de ce genre de recherche de détail, et quand il s’agit d’un personnage d’une telle stature on ne s’étonne pas qu’il suscite pareil intérêt. Mais les Français le sont moins. Aussi bien faut-il remercier Daniel Becquemont de s’y être attelé, et les éditions Kimé de publier son bel ouvrage. On peut seulement regretter que l’éditeur n’ait pas prévu, pour augmenter l’audience de l’ouvrage une bibliographie finale, ajoutée aux notes savantes.

Ajoutons que l’auteur, professeur émérite à l’Université de Lille III, est particulièrement compétent. Il est spécialiste de Spencer et de Darwin. Sur ce dernier et l’évolutionnisme, il a déjà publié un ouvrage chez le même éditeur en 1992. On lui doit aussi la révision de la traduction de l’Ebauche de l’origine des espèces, le manuscrit de 1844 que Darwin conservait précieusement pour le cas où il n’eût pas achevé son ouvrage en préparation, ainsi que la nouvelle traduction de l’Origine des espèces.

C’est en juin 1837 que Darwin ouvre le premier carnet relatif à la transmutation des espèces, dit carnet B. Son précédent carnet contenait ses idées géologiques issues du voyage sur le Beagle. Il commence par un hommage à son grand-père Erasmus Darwin (1731-1802), auteur de Zoonomia, ouvrage évolutionniste que connaît bien son petit-fils. Le carnet s’arrête en mars 1838. Il contient notamment des schémas d’arbres de vie qui sont reproduits dans l’ouvrage. En février de la même année Darwin a commencé un carnet noté C, qui s’achève en juin. Daniel Becquemont remarque qu’il y est question de descendance des espèces mais pas encore de sélection naturelle, hormis deux apparitions fugaces en B90 et C61. Ce qui peut sembler inattendu quand on sait que la sélection est l’idée qui fait l’originalité de l’explication darwinienne.

Son intérêt porte dans ses premières réflexions sur la répartition géographique des espèces. Il note aussi que la structure (qui marque l’affinité entre formes vivantes) domine la fonction (qui marque l’analogie). En termes modernes : la parenté prime sur les convergences adaptatives. Mais l’habitude, un thème lamarckien, précède la structure. En sorte que Becquemont intitule le chapitre « Darwin naturaliste lamarckien ? »

Dès 1838 l’idée de création s’effondre pour lui, et il a même déjà manifesté des doutes dans le « carnet rouge » des observations géologiques, en mars 1837. Mais il cherche une loi de génération qui expliquerait les variations (ce qu’il nommera dans le titre de l’Origine des espèces la descendance avec variations) responsables de la répartition : qu’on songe aux pinsons des Galapagos (encore qu’il ne comprenne l’importance de la faune de l’archipel qu’en novembre 1838). Alors qu’on sait qu’il est réputé pour avoir refusé la loi de progrès de Lamarck qu’il brocarde, on trouve dans ses carnets des propos sur le progrès.

En juillet 1838 s’ouvrent les carnets M (comme man, l’homme) et D. Il y manifeste son intérêt pour les pigeons domestiques. Et surtout, le 28 septembre, il annonce sa lecture de l’Essai de Malthus, le fameux ouvrage qui lui fournira le motif de la sélection : il naît plus d’individus de chaque espèce qu’il ne peut en survivre. La sélection qu’il n’avait jusque là évoquée que pour la refuser revient en force, associée à la sélection artificielle des éleveurs.

Le cahier M (et le N qui le suit) s’intéresse aux instincts. Il compare sa théorie à celle de Lamarck. Il lit la Philosophie zoologique au cours de l’été 1839, et dès janvier il revenait sur le progrès et la finalité de l’évolution. Le 12 mars de cette même année il élabore des réflexions qui présentent sa théorie, fondée sur l’adaptation différentielle. Et dans un questionnaire sur l’élevage il pose une question sur l’hérédité des caractères acquis.

Les carnets contiennent des réflexions sur maints autres sujets. Mais nous ne dirons rien sur son élection à la Royal society… ni sur sa façon d’évoquer son mariage. Non plus que sur d’autres détails, qui informent sur sa personnalité, et qui complètent ce livre passionnant, même pour qui n’est pas spécialiste de biologie évolutive.


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