Cholestérol, le grand bluff : quand Arte propage une désinformation délétère
Publié en ligne le 28 novembre 2024 - Science et médias -
Cholestérol : le grand bluff est un documentaire coproduit par Arte et diffusé sur la chaîne publique franco-allemande en 2016. Il développe une thèse sans nuance : le lien entre maladies cardiovasculaires et cholestérol serait un vaste mensonge, façonné à la fois par une série d’approximations scientifiques et par de puissants intérêts économiques [1]. Le succès d’audience sera au rendez-vous avec 1,4 millions de spectateurs le jour de la diffusion. France Inter encense l’œuvre de l’une des meilleures documentaristes françaises sur les questions liées à la santé et à ses institutions et évoque un mythe universel qui s’effondre et tout un pan de l’industrie pharmaceutique et de l’industrie agro-alimentaire qui s’écroule [2]. Même son de cloche dans Télérama qui parle de l’invention des statines par l’industrie, le médicament le plus prescrit des années 2000 comme une réponse au dogme d’un cholestérol coupable. Le magazine prétend que ce dogme d’un cholestérol coupable est aujourd’hui si enraciné que ses détracteurs ont toutes les peines du monde à convaincre de son innocence, même preuves à l’appui [3].
Dans ce documentaire qui affirme donner la parole à une quinzaine de spécialistes – chercheurs en médecine, cardiologues, journalistes médicaux, nutritionnistes, il ne sera jamais question du fort consensus scientifique existant. Dès sa sortie, la Société française de cardiologie publie une longue mise au point [4] qui retrace l’histoire des maladies cardio-vasculaires. Elle rappelle l’identification dès les années 1950 du facteur de risque majeur que constitue un taux élevé de cholestérol (à côté du tabac, du diabète et de l’hypertension artérielle). Pour être plus précis, ce n’est pas le cholestérol (protéine indispensable au fonctionnement de notre organisme) qui est en cause, mais une catégorie de protéines particulières (appelée LDL et parfois désignée par mauvais cholestérol) chargée d’acheminer dans le sang le cholestérol vers les cellules qui en ont besoin.
La Société française de cardiologie évoque alors la « révolution des statines » des années 1990, ces médicaments « qui diminuent de manière spectaculaire le LDL-cholestérol ». Pour elle, « nier le bénéfice des statines et leur impact sur l’espérance de vie, c’est à la fois malhonnête (en niant les faits scientifiques) et dangereux (pour les patients qui de bonne foi arrêteront leur traitement) ». Même protestation du côté de l’Académie nationale de médecine qui redoute « que l’intitulé et le contenu de ce documentaire, de même que le débat qui a fait suite, ne mettent la santé de nombre de patients en danger en influençant leur comportement de manière délétère » [5]

Malgré les mises au point des autorités de santé et des associations professionnelles de médecins, des campagnes médiatiques dénonçant le recours aux statines conduisent de nombreux patients à arrêter leur traitement, avec des conséquences dramatiques. C’est ce qui s’est passé avec la publication en 2012 et 2013 de deux livres à succès : Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des Professeurs Philippe Even et Bernard Debré et La vérité sur le cholestérol, du Professeur Even, préfacé par le Professeur Debré. Une étude a conclu [6] que la polémique engendrée par la publication de ces ouvrages a eu pour conséquence une augmentation de l’arrêt de leur traitement par des patients à risque. L’un des signataires, interrogé par le site Pourquoi Docteur, estime que ces arrêts de traitement auraient entraîné « entre 9 000 et 10 000 morts de plus [à l’échelle nationale] en 2013 qu’en 2011 et 2012 » [7].
En 2016, une importante méta-analyse (c’est-à-dire une analyse de la littérature scientifique disponible) publiée dans The Lancet confirme les nombreux bénéfices du recours aux statines et ses effets secondaires limités [8]. Mais elle a également permis d’évaluer les conséquences de la désinformation dans deux pays victimes de campagnes similaires. Au Royaume-Uni, 200 000 personnes auraient interrompu leur traitement, avec pour conséquence entre 2 000 et 6 000 événements cardiovasculaires supplémentaires. En Australie, ce sont 60 000 personnes qui auraient cessé la prise de statines, entraînant entre 1 500 et 3 000 crises cardiaques et AVC évitables.
La Société française de cardiologie rappelle que si, jusqu’en 1994, il a pu exister une controverse scientifique sur l’intérêt de diminuer le cholestérol (LDL-cholestérol), celle-ci s’est terminée avec la publication des résultats de grands essais thérapeutiques et de méta-analyses solides [9]. Elle a laissé alors la place à une polémique sans fondement rationnel, polémique qu’Arte a choisi de raviver 22 ans plus tard. Depuis, le rapport bénéfices / risques des statines pour diminuer le taux de cholestérol est régulièrement confirmé pour les patients à qui elles sont prescrites. Un rapport de l’Académie nationale de médecine a refait le point sur le sujet en 2018 et a conclu que cette classe thérapeutique est particulièrement favorable pour la prévention des accidents cardio-vasculaires notamment chez les patients à très haut risque ou ayant une maladie cardio-vasculaire documentée [10].
Le documentaire Cholestérol : le grand bluff propage donc de la désinformation aux conséquences délétères avérées. Il est toujours disponible sans aucune mise en garde sur la boutique d’Arte. Sa réalisatrice, Anne Georget, a par la suite réalisé Des vaccins et des hommes (2022), un documentaire qui affirme que les effets secondaires des vaccins surpassent leurs bénéfices. Il a également été coproduit par Arte et est en ligne sur la boutique de la chaîne.
1| Georget A, Cholestérol : le grand bluff (2016). Sur boutique.arte.tv
2| Devillers S, "Cholestérol, le grand bluff", sur Arte : une enquête sur l’histoire médicale du cholestérol, France Inter, 18 octobre 2016.
3| Belpois M, Regardez le documentaire Cholestérol : le grand bluff, Télérama, 18 octobre 2016.
4| Société Française de Cardiologie, Cholestérol et maladies cardiovasculaires : le point de vue scientifique de la SFC, Medscape, 21 octobre 2016.
5| Académie de Médecine, « Cholestérol et statines, page web, 21 décembre 2016. Sur academie-medecine.fr
6| Bezin J et al., “Impact of a public media event on the use of statins in the French population”, Archives of Cardiovascular Diseases, 2017, 110:91-8.
7| Lebrun AL, « Polémique sur les statines : 10 000 morts de plus en 2013, Pourquoi Docteur, 12 septembre 2016.
8| Collins R et al., “Interpretation of the evidence for the efficacy and safety of statin therapy”, The Lancet, 2016.
9| Cercle Cœur et Métabolismes de la Société Française de Cardiologie, « Statines et maladies cardiovasculaires : de la fin de la controverse scientifique à la fin de la polémique ?! », 2021.
10| Académie de Médecine, « Efficacité et effets indésirables des statines : évidences et polémiques », rapport, 2018.
Publié dans le n° 349 de la revue
Partager cet article
L'auteur
Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
Plus d'informationsScience et médias
Le traitement de l’information scientifique dans les médias.
Les médias et la science
Le 4 juillet 2020
Climat, gaz à effet de serre, environnement
Le 22 avril 2025
Enquêtes et sondages d’opinion
Le 17 avril 2025
Numérique et intelligence artificielle
Le 15 avril 2025
Énergie
Le 10 avril 2025
Éclairage scientifique des débats de société
Le 9 avril 2025Communiqués de l'AFIS

Glyphosate, médias et politique : la science inaudible et déformée
Le 20 octobre 2023