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Croyances et comportements en santé en fonction des moyens d’information

Publié en ligne le 24 mai 2024 - Esprit critique et zététique -
La Fondation Descartes est une « fondation citoyenne, apartisane, indépendante et européenne, dédiée aux problématiques liées à l’information et au débat public ». Elle vient de rendre publique une étude menée auprès de 4 000 Français constituant un panel représentatif de la population métropolitaine majeure et intitulée « Analyse des croyances et comportements d’information des Français liés à leur niveau de connaissances en santé, au refus vaccinal et au renoncement médical ».

Cette étude, conçue et réalisée par Laurent Cordonier, docteur en sciences sociales et directeur de la recherche de la Fondation Descartes, peut être lue en intégralité sur le site de la Fondation

Nous reproduisons ici quelques extraits de l’introduction de ce rapport de 116 pages, avec l’aimable autorisation de la Fondation. Le choix des extraits ainsi que les intertitres sont de la rédaction de Science et pseudo-sciences.

Enquête de la Fondation Descartes

Durant la crise du Covid-19, nous avons probablement tous fait l’expérience de l’exposition à des contenus douteux, faux ou trompeurs en lien avec la pandémie, que nous les ayons rencontrés au hasard de nos navigations sur les réseaux sociaux ou qu’ils nous aient été envoyés par des connaissances […]. Cette cacophonie informationnelle a parfois été renforcée, surtout en début de crise, par des messages gouvernementaux ou médiatiques erronés, imprécis ou trop hâtifs alors que l’état de la connaissance sur le virus et son mode de transmission auraient dû inciter à davantage de prudence. De tels manquements dans la communication de crise du gouvernement et dans la couverture médiatique de la pandémie ont certainement nourri chez certains de nos concitoyens un sentiment de défiance à l’égard des institutions et des médias, pavant ainsi la voie à toutes sortes de théories du complot sur le virus, les vaccins ou, plus largement, les mesures sanitaires.

Dans leur ensemble, cependant, les Français ne se sont pas détournés des médias grand public pour s’informer durant la pandémie, bien au contraire. En effet, d’après une étude menée en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, la consommation d’informations en ligne a augmenté dans ces pays en 2020, et ce sont les sites des médias grand public ainsi que ceux d’autres sources d’information généralement fiables qui ont le plus bénéficié de cette augmentation de trafic [1] […].

Il ne faut donc pas surestimer l’exposition effective de nos concitoyens aux infox (« fake news ») et autres théories du complot, quel qu’en soit le sujet [2] […]. Cela ne veut pas pour autant dire que la désinformation n’a pas de conséquences sur les croyances ou les comportements des individus, notamment sur les sujets de santé. C’est ce que permet d’illustrer une étude conduite au Royaume-Uni et aux États-Unis, dans laquelle des participants ont été exposés à cinq infox issues des réseaux sociaux concernant les vaccins contre le Covid-19. Les résultats montrent que leur intention vaccinale s’en est trouvée significativement amoindrie [3]. L’exposition à un faible nombre de « posts » de réseaux sociaux trompeurs peut donc suffire à produire un effet négatif sur la disposition des individus à l’égard de la vaccination.

Portrait du père de l’artiste (détail), Bruno Liljefors (1860-1939)

Bien entendu, les conséquences de la désinformation sur nos croyances, nos représentations ou nos dispositions d’action ne sont pas mécaniques et dépendent de très nombreux facteurs, notamment sociaux et cognitifs (pour une revue de la littérature sur les facteurs psychologiques liés à la sensibilité aux fausses informations, voir [4]). Il n’est donc pas vraiment surprenant de constater que les études expérimentales qui se penchent sur les effets de la désinformation en santé ne parviennent pas toutes à des résultats convergents (pour une revue récente de cette littérature, voir [5]) […].

Les objectifs de l’étude

L’objectif principal de cette étude consiste à déterminer s’il existe un lien entre, d’une part, les canaux utilisés par les Français pour s’informer sur l’actualité médicale et, d’autre part, leurs connaissances en santé ainsi que le refus vaccinal et le renoncement à un traitement médical. Nous l’avons indiqué, nombre de désinformations en santé circulent sur les réseaux sociaux. Pourtant, cela n’implique pas que leurs utilisateurs accordent nécessairement du crédit aux fausses informations qu’ils sont susceptibles d’y rencontrer et, donc, que leurs croyances et comportements s’en trouveront affectés. Par ailleurs, les réseaux sociaux n’ont pas le monopole des informations erronées ou trompeuses sur les questions de santé. On peut également en retrouver dans les médias grand public notamment […].

La question du lien entre connaissances médicales et canaux d’information utilisés n’est ainsi pas triviale et mérite d’être explorée […].

Bien entendu, le comportement informationnel des individus n’est pas le seul facteur susceptible d’affecter leurs connaissances en santé ou leur attitude à l’égard de la vaccination ou des traitements médicaux qui leur sont prescrits.

Pensée intuitive et pensée analytique

Nous avons donc pris en compte dans cette étude d’autres facteurs dont on peut faire l’hypothèse qu’ils sont associés à ces variables, à commencer par deux facteurs cognitifs liés à la résistance ou, au contraire, à la perméabilité aux fausses informations.

Le premier est le style de pensée plus ou moins analytique ou intuitif dont nous faisons preuve face à une information nouvelle. Certains individus, au style de pensée plutôt intuitif, auront tendance à se fier à leur première impression pour accorder ou non du crédit à cette information. D’autres, plus analytiques, auront davantage tendance à suspendre leur jugement pour s’engager dans un processus réflexif avant de croire au non à l’information en question. Des études ont montré que les premiers sont plus susceptibles que les seconds de prendre pour vraies des informations fausses qui leur sont présentées sous la forme, par exemple, de contenus de réseaux sociaux (voir par exemple [6, 7, 8, 9]) […].

Sensibilité aux théories du complot

Le second facteur cognitif que nous avons retenu dans cette étude est la sensibilité des participants aux théories du complot. En effet, de nombreuses désinformations en santé – notamment sur les vaccins – prennent la forme de théories du complot […]. Il a été amplement documenté que plus les individus se situent à un niveau élevé sur [une] échelle de mentalité complotiste 1, plus ils sont susceptibles de croire à des théories du complot en circulation dans l’environnement informationnel (pour un exemple français récent, voir [10]).

Dispositions et attitudes à l’égard des thérapies alternatives

Dans un autre registre, nous avons adressé aux participants une série de questions nous permettant d’explorer les liens entre, d’un côté, leurs dispositions et attitudes à l’égard des thérapies alternatives et, de l’autre, leurs connaissances en santé ainsi que le refus vaccinal et le renoncement à un traitement médical. […]

Le Magicien ou Le Bateleur, carte de tarot illustrée par Pamela Colman-Smith alias Pixie (1878-1951)

Les thérapies alternatives sont extrêmement populaires en France […] [11]. Si les thérapies alternatives peuvent apporter un sentiment de mieux-être à certaines personnes qui y recourent, elles ne sont pourtant pas toujours sans dangers, particulièrement lorsqu’elles sont perçues et utilisées comme des substituts à la médecine conventionnelle.

Les thérapies alternatives reposent sur des conceptions du corps humain et de son fonctionnement plus ou moins éloignées de ce que nous en apprend la science. Elles mobilisent en effet des entités, des concepts et des mécanismes étrangers aux théories médicales basées sur la science (« chakras », « énergies », « esprit », « vitalisme », « auto-guérison », « mémoire de l’eau », etc.). En d’autres termes, les thérapies alternatives ne se résument pas à des pratiques de soins, elles s’accompagnent aussi de tout un univers de croyances sur la nature et le fonctionnement de l’organisme, de son environnement et de leurs interactions. Bien entendu, les personnes qui, en France, recourent à des thérapies alternatives sans adhérer à l’univers de croyances correspondant – voire sans même en avoir connaissance – sont probablement extrêmement nombreuses. D’autres, en revanche, accordent du crédit à ces croyances, quand bien même elles sont dépourvues de bases scientifiques. Le risque est alors que certaines d’entre elles les conduisent à rejeter la connaissance médicale sur divers sujets de santé ou à renoncer à des traitements médicaux, tels que la vaccination. Sensibilité aux thérapies alternatives et hésitation ou refus vaccinal sont d’ailleurs des attitudes corrélées (par exemple [12]).

Sapta Chakra, illustration anonyme d’un manuscrit indien de yoga publié en 1899

Conclusions de l’étude

Les résultats de notre étude mettent en évidence que passer par les réseaux sociaux, YouTube ou des groupes de messageries instantanées pour s’informer sur des sujets médicaux pourrait non seulement avoir un effet négatif sur les connaissances en santé des Français, mais aussi augmenter le risque de refus vaccinal ou de renoncement à un traitement prescrit par un médecin. Cela est vraisemblablement dû au fait que la probabilité d’y rencontrer des informations de santé fausses, trompeuses ou douteuses est plus élevée qu’en passant par d’autres canaux d’information, tels que les médias généralistes grand public.

Un effort particulier devrait donc être entrepris pour lutter contre la désinformation médicale sur les réseaux sociaux et les sites de vidéos en ligne, mais également pour y favoriser la diffusion de contenus de santé de qualité, conformes à la connaissance scientifique. Bien entendu, tant la variance du niveau de connaissances en santé des individus que le renoncement à un traitement médical ou le refus vaccinal relèvent encore de quantité d’autres facteurs. Nous en avons identifié un certain nombre dans cette étude. Nos résultats font particulièrement ressortir le fait qu’une sensibilité marquée aux thérapies alternatives ainsi qu’à l’ésotérisme constitue visiblement un terreau de croyances favorable à l’acceptation et au développement de conceptions médicales erronées, pouvant potentiellement aboutir à de tels comportements à risque pour sa santé et celle des autres. Il paraît dès lors nécessaire d’appeler à la vigilance face à l’essor en France de l’ésotérisme et des thérapies alternatives, en particulier concernant celles dont les préceptes ou les promoteurs éloignent plus ou moins explicitement leurs utilisateurs de la médecine conventionnelle. [Note de la rédaction : Une forte sensibilité au complotisme et un style de pensée peu analytique sont deux autres facteurs liés à de moindres connaissances en santé ainsi qu’au refus vaccinal et au renoncement à un traitement médical.]

Références


1 | Altay S et al., “Quantifying the ‘infodemic’ : people turned to trustworthy news outlets during the 2020 coronavirus pandemic”, Journal of Quantitative Description, 2022, 2.
2 | Altay S et al., “Misinformation on misinformation : conceptual and methodological challenges”, Social Media+ Society, 2023, 9 :1-13.
3 | Loomba S et al., “Measuring the impact of COVID-19 vaccine misinformation on vaccination intent in the UK and USA”, Nature Human Behaviour, 2021, 5 :337-48.
4 | Ecker UKH et al., “The psychological drivers of misinformation belief and its resistance to correction”, Nature Reviews Psychology, 2022, 1 :13-29.
5 | Schmid P et al., “The psychological impacts and message features of health misinformation”, European Psychologist, 2023, 28 :162-72.
6 | Bago B et al., “Fake news, fast and slow : deliberation reduces belief in false (but not true) news headlines”, Journal of Experimental Psychology, 2020, 149 :1608-13.
7 | Pennycook G, Rand DG, “Lazy, not biased : susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning”, Cognition, 2019, 188 :39-50.
8 | Pennycook G, Rand DG, “The psychology of fake news”, Trends in Cognitive Sciences, 2021, 25 :388-402.
9 | Stanley ML et al., “Analytic-thinking predicts hoax beliefs and helping behaviors in response to the COVID-19 pandemic”, Thinking & Reasoning, 2021, 27 :464-77.
10 | Wagner-Egger P et al., « The yellow vests in France : psychosocial determinants and consequences of the adherence to a social movement in a representative sample of the population”, International Review of Social Psychology, 2022, 35 :1-14.
11 | « Les Français et les thérapies alternatives », Sondage Odoxa, 2023. Sur odoxa.fr
12 | Hertel O, « Les antivax sont les plus favorables à la naturopathie et l’homéopathie », Le Point, 2023. Sur lepoint.fr

Des idées fausses qui ont la vie dure
Enquête « Santé et information »


L’enquête de la Fondation Descartes a interrogé un panel de 4 000 personnes de plus de 18 ans représentatif de la population de France métropolitaine. Un questionnaire très détaillé a cherché à évaluer les connaissances des personnes interrogées dans quatre domaines de santé : nutrition, cancers, vaccination et Covid-19.

Voici quelques résultats relatifs à certaines affirmations pour lesquelles les personnes interrogées devaient dire dans quelle mesure elles étaient d’accord ou non. Un certain nombre d’affirmations non conformes aux connaissances médicales actuelles ont rencontré un niveau d’approbation significatif.

Vaccination

  • « De nombreux vaccins sont administrés trop tôt aux enfants, ce qui fait que leur système immunitaire naturel n’a pas la possibilité de se développer » : 11,2 % tout à fait d’accord, 26 % plutôt d’accord et 22,6 % ne savent pas.
  • « Les enfants seraient plus résistants aux infections s’ils n’étaient pas toujours vaccinés contre toutes sortes de maladies » : 8,6 % tout à fait d’accord, 23,6 % plutôt d’accord et 17,6 % ne savent pas.
  • « Certains vaccins prescrits en France augmentent nettement le risque de développer des maladies graves, comme l’autisme, la sclérose en plaques ou le diabète » : 8,9 % tout à fait d’accord, 19,1 % plutôt d’accord et 26,9 % ne savent pas.
  • « Les vaccins sont inutiles, car les maladies qu’ils ciblent peuvent toutes être traitées avec des antibiotiques » : 3,7 % tout à fait d’accord, 8,3 % plutôt d’accord et 11,2 % ne savent pas.
  • « Par leurs effets secondaires, les vaccins contre le Covid-19 sont directement responsables de la mort de plus de 25 000 personnes en Europe » : 12,3 % tout à fait d’accord, 19,7 % plutôt d’accord et 35,6 % ne savent pas.
  • « Dans le monde, moins de 100 000 personnes sont directement décédées du Covid-19 depuis le début de la pandémie » : 10 % tout à fait d’accord, 14,8 % plutôt d’accord et 32 % ne savent pas.
  • « L’hydroxychloroquine est un médicament efficace pour soigner le Covid-19 » : 5,4 % tout à fait d’accord, 16,8 % plutôt d’accord et 38,7 % ne savent pas.

Alimentation

  • « Les régimes “détox” (par exemple à base de plantes comme le millepertuis) permettent de nettoyer l’organisme de façon globale et de renforcer le processus naturel de détoxication » : 7,9 % tout à fait d’accord, 38,3 % plutôt d’accord et 26 % ne savent pas.
  • « Par son alimentation, une femme enceinte peut influencer le sexe de son bébé à naître » : 4,2 % tout à fait d’accord, 11,8 % plutôt d’accord et 21,6 % ne savent pas.
  • « Jeûner (c’est-à-dire se priver volontairement de nourriture durant une certaine période) permet de combattre les cancers en affamant les cellules des tumeurs » : 4,7 % tout à fait d’accord, 10 % plutôt d’accord et 27,1 % ne savent pas.

Cancer

  • « Avoir subi des événements traumatiques »favorise le cancer : 17,4 % tout à fait d’accord, 40,8 % plutôt d’accord et 16,9 % ne savent pas.
  • « Vivre à côté d’une antenne relais pour téléphones portables (y compris antennes 5G) » favorise le cancer : 15,3 % tout à fait d’accord, 35,2 % plutôt d’accord et 23,6 % ne savent pas.

La vaccination des jeunes enfants n’« épuise » pas le système immunitaire ; le risque d’autisme est une rumeur infondée, propagée suite à une fraude scientifique ; il y a eu plus de 6 millions de décès par Covid dans le monde ; l’hydroxychloroquine ne permet pas de soigner ni de prévenir une infection par le virus SARS-CoV-2, etc.
Les régimes « détox » ne nettoient pas l’organisme et peuvent présenter des risques ; le jeûne n’a aucun effet sur le cancer, il peut de plus fragiliser le patient. Enfin, le stress, ou les événements traumatiques ne favorisent pas l’apparition d’un cancer, pas plus que vivre à proximité d’une antenne-relais ou être exposé aux ondes wifi ou à celles de la télévision. Mais les lecteurs réguliers de Science et pseudosciences le savent (voir dossiers sur ces sujets)…

1 Voir la partie « Méthode et résultats détaillés » de l’étude pour plus d’informations sur cette échelle. Note de la rédaction de SPS.