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Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques

Publié en ligne le 18 mai 2020 - Environnement et biodiversité -

L’IPBES

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, ou Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services en anglais) est un organisme intergouvernemental créé en 2012. Son objectif est de  « renforcer l’interface science-politique » sur les sujets relatifs à  « la biodiversité et aux services écosystémiques » afin de permettre la  « préservation et l’utilisation pérenne de la biodiversité, le bien-être des Hommes sur le long terme et le développement durable » [1]. Placé sous l’égide de l’ONU, il rassemble des experts de plusieurs disciplines selon un processus comparé à celui du Giec (l’IPBES est parfois appelé, dans la presse, le « Giec de la biodiversité »). Il rassemble aujourd’hui environ 130 États membres et a tenu sa première réunion début 2013.
[1] Site de l’IPBES : ipbes.net.


En mai 2019, l’IPBES a publié un rapport sur « l’évaluation mondiale de la biodiversité et les services écosystémiques ». Nous proposons ici, comme élément d’information, de larges extraits du « résumé pour décideurs » dans la version française publiée par l’IPBES.

Le choix des extraits est de notre fait. Le lecteur intéressé se reportera au texte complet (disponible en français sur ipbes.net/event/ipbes-7-plenary). Les intertitres sont de la rédaction (les intertitres originaux – trop longs – sont donnés en début de chaque paragraphe).

La nature et ses contributions écosystémiques

La nature et ses contributions vitales aux populations, qui ensemble constituent la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, se détériorent dans le monde entier

La nature renvoie à différents concepts pour différentes personnes, notamment la biodiversité, les écosystèmes, la Terre nourricière, les systèmes de vie et d’autres concepts analogues. Les contributions de la nature aux populations englobent différents concepts tels que les biens et les services écosystémiques ainsi que les dons de la nature. […] La biosphère, dont l’humanité toute entière dépend, est altérée dans une mesure inégalée à toutes les échelles spatiales. La biodiversité – la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes – s’appauvrit plus rapidement que jamais dans l’histoire de l’humanité.

La nature est essentielle à l’existence humaine et à une bonne qualité de vie. La plupart des contributions de la nature aux populations ne sont pas intégralement remplaçables, et certaines sont mêmes irremplaçables. [Elle] joue un rôle critique dans la provision d’aliments pour les humains et les animaux, d’énergie, de produits médicinaux, de ressources génétiques, et de tout un éventail de matières essentielles au bien-être physique et à la préservation du patrimoine culturel des populations. […] Par le biais de ses processus écologiques et évolutifs, [elle] maintient la qualité de l’air, des eaux douces et des sols dont l’humanité est tributaire, distribue l’eau douce, régule le climat, assure la pollinisation, lutte contre les ravageurs et atténue l’impact des aléas naturels. […]

Les contributions de la nature aux populations sont souvent inégalement réparties dans l’espace et dans le temps et entre les différentes catégories de population. Différentes exigences conduisent à en sacrifier certaines au profit d’autres, tant en ce qui concerne leur production que leur appropriation. […] L’expansion considérable de la production d’aliments pour les humains et les animaux, de fibres et de bioénergies s’est faite au détriment de beaucoup d’autres contributions à la qualité de vie, notamment la régulation de la qualité de l’air et de l’eau, la régulation du climat et la source d’habitats. Des possibilités de synergies existent cependant, notamment le recours à des pratiques agricoles durables qui améliorent la qualité des sols et ainsi accroissent la productivité en même temps que d’autres fonctions et services écosystémiques tels que la séquestration du carbone et la régulation de la qualité de l’eau.

Depuis 1970, la production a augmenté dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des bioénergies et des industries extractives tandis que 14 catégories de contributions parmi les 18 analysées ont décliné, pour l’essentiel les fonctions de régulation et les apports autres que matériels. La production agricole a presque triplé en valeur depuis 1970 (atteignant 2 600 milliards de dollars en 2016) et la production de bois brut a augmenté de 45 % pour atteindre quelque 4 milliards de mètres cubes en 2017, permettant au secteur forestier d’employer près de 13,2 millions de personnes. Cependant, les indicateurs associés à la régulation des écosystèmes, tels que le carbone organique des sols ou la diversité des pollinisateurs, ont décliné, ce qui indique que la hausse de la production n’est souvent pas viable à long terme. […]

Dans la plupart des régions du monde, la nature a aujourd’hui été altérée de manière significative par de multiples facteurs humains, et les écosystèmes et la biodiversité montrent un déclin rapide. Au total, 75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative, 66 % des océans subissent des incidences cumulatives de plus en plus importantes et plus de 85 % de la surface des zones humides ont disparu. […]

L’activité humaine menace d’extinction globale un nombre d’espèces sans précédent (figure 1). En moyenne, 25 % des espèces appartenant aux groupes d’animaux et de végétaux évalués sont menacés, ce qui suggère qu’environ 1 million d’espèces sont déjà menacées d’extinction. […]

À l’échelle mondiale, des variétés et races locales de plantes et d’animaux domestiqués disparaissent (figure 2). Cette perte de diversité, notamment génétique, compromet sérieusement la sécurité alimentaire mondiale en affaiblissant la résilience d’un grand nombre de systèmes agricoles face à des menaces telles que les ravageurs, les agents pathogènes et les changements climatiques. […]

L’évolution biologique en réponse aux changements anthropiques peut être rapide, au point que ses effets peuvent être observés en quelques années voire encore plus rapidement. Les conséquences de cette évolution peuvent être aussi bien favorables que défavorables pour la biodiversité et les écosystèmes, mais peuvent être source d’incertitude quant à la viabilité des espèces, des fonctions écosystémiques et des contributions de la nature aux populations. […]

Intensification des facteurs de changement

Les facteurs directs et indirects de changement se sont intensifiés au cours des 50 dernières années

Le rythme des changements globaux survenus dans la nature au cours des 50 dernières années est inédit dans l’histoire de l’humanité. Les facteurs directs de changement de la nature ayant eu les incidences les plus lourdes à l’échelle mondiale sont, par ordre décroissant : la modification de l’utilisation des terres et des mers, l’exploitation directe des organismes (principalement la pêche), les changements climatiques, la pollution et les espèces exotiques envahissantes. […]

Dans les écosystèmes terrestres et d’eau douce, le changement d’utilisation des terres est le facteur direct ayant eu l’incidence relative la plus néfaste sur la nature depuis 1970, suivi par l’exploitation directe, et en particulier la surexploitation, des animaux, des plantes et d’autres organismes (collecte, exploitation forestière, chasse et pêche).

Dans les écosystèmes marins, l’exploitation directe des organismes (principalement la pêche) est le facteur qui a eu l’incidence relative la plus importante, suivi par le changement d’utilisation des terres et des mers. […]

Les changements climatiques sont un facteur de changement direct qui exacerbe de façon croissante l’impact d’autres facteurs sur la nature et le bien-être humain. [Ils] ont contribué à des impacts généralisés sur de nombreux aspects de la biodiversité, notamment sur la répartition des espèces, la phénologie, la dynamique des populations, la structure des communautés et le fonctionnement des écosystèmes. […]

Différents types de pollution, ainsi que les espèces exotiques envahissantes, prennent de l’ampleur, avec des effets néfastes sur la nature. […]

La population humaine a doublé au cours des 50 dernières années, la croissance économique mondiale a presque quadruplé et le volume du commerce mondial a décuplé, entraînant une hausse de la demande d’énergie et de matériaux. […]

Les objectifs de conservation et d’exploitation durable sont inatteignables sans changements en profondeur

Les trajectoires actuelles ne permettent pas d’atteindre les objectifs de conservation et d’exploitation durable de la nature et de parvenir à la durabilité, et les objectifs pour 2030 et au-delà ne peuvent être réalisés que par des changements en profondeur sur les plans économique, social, politique et technologique

Le déclin rapide […] de la biodiversité […] signifie que la plupart des objectifs sociaux et environnementaux, tels que ceux énoncés dans les objectifs d’Aichi relatifs à la diversité biologique et dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, ne seront pas atteints si les trajectoires actuelles se maintiennent. […]

Figure 1 : Exemples de déclins observés dans la nature au niveau mondial, soulignant le recul de la biodiversité provoqué par des facteurs de changement directs et indirects. Les facteurs directs (changement d’utilisation des terres et des mers, exploitation directe des organismes, changements climatiques, pollution et espèces exotiques envahissantes) résultent d’un ensemble de causes sociétales profondes. Ces causes peuvent être démographiques p. ex. la dynamique des populations humaines), socioculturelles p. ex. les modes de consommation), économiques p. ex. le commerce), technologiques ou en rapport avec les institutions, la gouvernance, les conflits et les épidémies. Les bandes colorées représentent l’impact mondial relatif des facteurs directs sur (de haut en bas) les écosystèmes terrestres, les écosystèmes d’eau douce et les écosystèmes marins, selon une estimation tirée de l’examen systématique à l’échelle mondiale des études publiées depuis 2005. Source : iucnredlist.org


Figure 2 : Une proportion importante des espèces évaluées est menacée d’extinction et les tendances générales s’aggravent, avec une forte augmentation des taux d’extinction au cours du siècle dernier. Source : iucnredlist.org

  • (A) Pourcentage d’espèces menacées d’extinction dans les groupes taxonomiques qui ont été évalués de manière complète, ou selon une approche par échantillonnage, ou dont des sous-groupes particuliers ont été évalués pour les besoins de la Liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
  • (B) Extinctions depuis 1500 pour les groupes de vertébrés. Dans le cas des reptiles et des poissons, les taux n’ont pas été évalués pour toutes les espèces.
  • (C) Indice Liste rouge de survie des espèces pour les groupes taxonomiques qui ont été évalués au moins deux fois pour les besoins de la Liste rouge de l’UICN. Une valeur de 1 signifie que toutes les espèces sont classées dans la catégorie « préoccupation mineure » ; une valeur nulle signifie que toutes les espèces sont classées dans la catégorie « éteint ».

Les scénarios et voies qui explorent les effets d’une croissance démographique faible à modérée, de changements en profondeur dans la production et la consommation d’énergie, d’aliments destinés aux humains et aux animaux, de fibres et d’eau, de l’utilisation durable de la biodiversité et du partage équitable des avantages découlant de leur utilisation seront, à l’inverse, mieux à même de contribuer à la réalisation des futurs objectifs sociaux et environnementaux. […]

Les régions du monde où il est prévu que les conséquences des changements mondiaux en matière de climat, de biodiversité et de contributions de la nature aux populations soient fortement ressenties sont également celles qui abritent de fortes proportions de peuples autochtones et nombre des communautés les plus pauvres du monde. […]

Excepté dans les scénarios comportant des changements en profondeur, les tendances négatives de la nature, des fonctions écosystémiques et de bon nombre des contributions de la nature aux populations devraient se poursuivre jusqu’en 2050 et au-delà, en raison des incidences prévues des changements d’utilisation des terres et des mers, de l’exploitation des organismes et des changements climatiques croissants. […]

Il est prévu que les changements climatiques prennent toujours plus d’importance en tant que facteurs directs de changement de la nature et de ses contributions aux populations au cours des prochaines décennies. […]

La concertation pour des efforts en profondeur est urgente

Il est possible de conserver, de restaurer et d’utiliser la nature de manière durable et, en même temps, d’atteindre d’autres objectifs sociétaux à l’échelle mondiale en déployant de toute urgence des efforts concertés qui entraînent des changements en profondeur

Les objectifs sociétaux – notamment pour l’alimentation, l’eau, l’énergie, la santé et le bienêtre pour tous, l’adaptation aux changements climatiques ainsi que l’atténuation de leurs effets, et la conservation et l’exploitation durable de la nature – peuvent être réalisés par le recours à des solutions durables, grâce au déploiement plus performant et rapide d’instruments existants et de nouvelles initiatives mobilisant l’action individuelle et collective de manière plus efficace, pour un changement en profondeur. […]

L’environnement mondial peut être préservé en renforçant la coopération internationale et les liens entre les mesures pertinentes prises au niveau local. L’examen et le renouvellement des objectifs et buts environnementaux internationaux sur la base des meilleures connaissances scientifiques disponibles, ainsi que l’adoption et le financement généralisés par tous les acteurs, y compris les individus, de mesures de conservation, de restauration écologique et d’utilisation durable, sont essentiels à cette préservation. […]

La nature et la trajectoire des transformations [à mener] pourront varier selon les contextes, avec des défis et besoins différents dans les pays en développement et les pays développés notamment. […]

La reconnaissance des savoirs, des innovations et des pratiques, et des institutions et des valeurs des peuples autochtones et des communautés locales ainsi que leur intégration et leur participation à la gouvernance environnementale améliore généralement leur qualité de vie, ainsi que la conservation et la restauration de la nature et son utilisation durable. […]

Nourrir l’humanité et améliorer la conservation et l’utilisation durable de la nature sont des objectifs qu’il est possible d’atteindre au moyen de systèmes agricoles, aquacoles et d’élevages durables 1, de la préservation des espèces, des variétés, et des races animales autochtones, des habitats naturels et de la restauration écologique. […]

L’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux en vue de la création d’une économie mondiale durable s’écartant de l’actuel paradigme, limité, de la croissance économique est un élément incontournable du développement durable. […]

1 La version française du texte de l’IPBES parle d’élevages intensifs durables. Nous avons remis ici la version anglaise qui ne mentionne pas le qualificatif "intensif" (cette différence nous a été signalée par un internaute). Nous avons contacté l’IPBES pour ce problème de traduction. Le secrétariat de l’organisme nous a adressé le message suivant, le 26 janvier 2022 : "Thank you for bringing this error in the French translation of the Summary for Policymakers of the IPBES Global Assessment to our attention. We are working with the UN translators and a corrigendum will be issued soon" (Mise à jour du 26 janvier 2022).