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« Exercer son esprit critique à l’ère informationnelle » : un cours en ligne de l’université de Genève

Publié en ligne le 31 mars 2025 - Esprit critique et zététique -

L"université de Genève propose un cours en ligne (en anglais Massive Open Online Course, ou Mooc) intitulé « Exercer son esprit critique à l’ère informationnelle » [1]. Il est accessible sur la plateforme Coursera créée en 2012 par deux professeurs d’informatique de l’université de Stanford [2]. Celle-ci propose des cours payants ou gratuits et des formations diplômantes, dans différentes matières. Plus de 80 millions d’étudiants y sont inscrits.

La formation dispensée par l’université de Genève se déroule sur sept semaines, de 2 h 30 à 3 h 30 de cours par semaine, sous forme de courtes vidéos, d’interviews de chercheurs, de documents à lire et de questionnaires à choix multiples. Un espace dédié à la bibliographie des ouvrages cités est disponible en début de Mooc. Le cours a été mis en ligne en 2020 et il est toujours possible de s’y inscrire. Il propose un examen certifiant payant, mais certains questionnaires sont disponibles gratuitement. Certains devoirs sont corrigés par les autres étudiants (formule payante). Un espace « notes personnelles » permet de sélectionner les passages qui intéressent plus particulièrement l’étudiant. Il n’est pas nécessaire d’avoir un niveau d’études supérieures pour suivre ce cours.

Les deux principaux promoteurs de cette formation sont le professeur Emmanuel Sander, enseignant en apprentissage et développement cognitif et sa collègue Mireille Bétrancourt, professeure en technologies de l’apprentissage, tous deux à la Faculté de psychologie et sciences de l’éducation, à l’université de Genève (Unige).

Si les mécanismes cognitifs qui influencent notre esprit critique vous intéressent, ce cours est fait pour vous. Voici quelques-uns des éléments abordés au cours des sessions.

Pourquoi retenons-nous plus facilement les fake news ?

La fabrication des fausses informations est au centre de la première semaine de cours. Ces fake news partent souvent d’une information vraie, par exemple « le coronavirus ne résiste pas à la chaleur » et se terminent par une conclusion erronée : « boire des boissons chaudes le neutralise ». Il est nécessaire d’apprendre à discerner ce qui relève de la croyance ou du savoir. Les premiers exercices ont pour but d’identifier trois modes de pensée : le relativisme qui prétend que « toute connaissance est relative » et dépend des points de vue, le dogmatisme « rejetant catégoriquement le doute et la critique » et le scepticisme prônant « le doute et la réserve systématique ». Une expérience est ensuite proposée : « Juger Étienne » [3]. Il s’agit de juger un homme après avoir écouté le récit de deux témoins d’une soirée où un crime a été commis. L’un des témoins ment, l’autre non et l’étudiant sait qui ment et qui ne ment pas. La fin de l’expérience montre que les fausses informations seront prises en compte dans la sentence proposée par l’étudiant : elles marquent donc notre esprit et influencent notre jugement, même quand on les sait inexactes. Quels sont les mécanismes cognitifs qui nous poussent à penser de cette manière ? C’est l’objet des sessions suivantes.

Les biais cognitifs

Ils sont au programme des deux semaines suivantes. Beaucoup d’exercices permettent de mieux comprendre ce que sont ces réflexes naturels nécessaires pour prendre des décisions rapides mais qui, parfois, nous égarent lors de l’analyse d’une situation. Les premières vidéos proposées s’intéressent aux illusions visuelles, qu’elles soient physiques, physiologiques (comme la persistance rétinienne) ou cognitives (« qui proviennent des connaissances antérieures qu’on a du monde »). Notre cerveau tente d’y donner du sens.

L’Escamoteur (détail), Jérôme Bosch (c.1450-1516)

Une partie de bonneteau est proposée (jeu dans lequel il s’agit de deviner sous quel gobelet se trouve un objet après un rapide mélange fait par le manipulateur). Elle permet de comprendre la notion de focus attentionnel avec son pendant, la cécité attentionnelle. En se concentrant sur un phénomène, nous ne voyons pas les détails qui sont modifiés autour (voir à ce propos le test du gorille invisible [4]).

Différents biais de raisonnement sont ensuite explicités. Le biais de confirmation, par exemple, qui consiste à rejeter toutes les informations qui iraient à l’encontre de croyances préétablies, est expliqué par le phénomène psychologique de dissonance cognitive, un état de tension ressenti en présence des croyances ou de faits contradictoires.

Le cours se termine par la théorie des systèmes 1 et 2 proposée par Kahneman [5] pour expliquer le mode de fonctionnement de la pensée humaine (le système 1, plus rapide mais plus intuitif, et le système 2, plus rationnel mais plus lent).

Diffusion des fausses informations

Internet a considérablement accéléré la circulation des fausses informations, les algorithmes amplifient nos réactions et nous proposent des liens qui renforcent nos croyances et convictions, activant ainsi le biais de confirmation. La quatrième semaine aborde les techniques de mise en forme des informations (couleur, mise en valeur de certains passages, photos) à l’aide d’exemples concrets. Plusieurs discussions entre un des promoteurs du cours et des experts en communication ou des chercheurs en sciences sociales nous éclairent de manière vivante sur le rôle des émotions dans la circulation des informations et sur l’impact réel des fausses informations sur le public.

Flexibilité cognitive

Comment contrer ces biais ? La cinquième semaine est consacrée à la flexibilité cognitive, c’est-à dire l’adaptation à une situation nouvelle : « Elle implique la capacité de basculer entre plusieurs représentations d’un objet ou d’une situation, afin de faire face de manière pertinente aux exigences de celle-ci. » Comme dans la plupart des modules, des exercices ou des jeux permettent de se familiariser avec des concepts théorisant le fonctionnement du cerveau humain. L’élève pourra par exemple découvrir les notions de catégorisation multiple, de flexibilité conceptuelle ou de conceptions intuitives mais aussi mesurer l’impact des métaphores dans notre compréhension d’un problème. Cette semaine est une véritable « plongée » dans le fonctionnement de notre cerveau et permettra à l’étudiant de gagner en flexibilité cognitive : « C’est là un ressort majeur de l’esprit critique que d’être en mesure d’envisager un fait sous plusieurs angles et de ne pas rester figé sur un seul point de vue. »

La démarche scientifique

« Comment arrive-t-on à passer d’une croyance individuelle au collectif, à une connaissance qui est validée et prouvée ? Comment procèdent les communautés scientifiques pour valider de nouvelles hypothèses et comment les désaccords sont-ils traités dans ces communautés ? »

Un parallèle est proposé entre les méthodes utilisées en sciences expérimentales et en histoire. La méthode historiographique est explicitée par un entretien avec un historien. L’approche expérimentale en sciences est ensuite détaillée, avec des exemples de construction d’un protocole expérimental, de l’hypothèse de départ à l’interprétation des résultats en passant par les notions de test en double aveugle et d’effet placebo. La notion de pyramide des preuves, illustrant les critères permettant de faire la différence entre faits et croyances, conclut la semaine. On retiendra « que ces méthodes scientifiques correspondent à des approches qui ont été discutées dans des communautés collectives, qui sont régulièrement mises à jour, éventuellement remises en cause ou complétées. De même, les résultats de recherche sont souvent accompagnés de limites qui en circonscrivent la généralisation. La connaissance des limites est souvent complexe, elle est connue dans les milieux scientifiques mais beaucoup plus difficile à communiquer au grand public. »

Les sources d’information

La dernière semaine de cours vise à proposer des outils pour permettre de procéder à la vérification des sources information. Des entretiens abordent le problème des pseudoexperts : comment les reconnaître, quelles sont leurs méthodes pour nous convaincre, comment identifier les sources primaires et les sources secondaires d’information. Un chapitre consacré aux logiciels qui nous permettent de remonter à la source des images nous montre également comment la présentation d’un graphique influence son interprétation. Une grille d’évaluation d’un document est proposée avec une application pratique d’analyse d’article scientifique : nature de la publication, expertise des auteurs, description des résultats, etc. Le cours se conclut sur la nécessité pour tout citoyen de disposer des outils pour vérifier les informations « à la fois pour sa vie personnelle de citoyen, d’individu, mais également lorsqu’il s’agit de son domaine d’expertise, que ce soit son domaine d’études ou son domaine professionnel ».

Conclusion

Ce Mooc de facture universitaire a pour originalité de s’intéresser principalement à certains mécanismes qui régissent notre pensée. Le fonctionnement de la recherche scientifique et l’établissement des connaissances sont très bien expliqués. Malgré la présentation très académique du cours, l’étudiant est souvent sollicité par les exercices très concrets aiguisant sa curiosité et sa compréhension du thème abordé. La possibilité de rédiger des devoirs qui seront corrigés par les autres étudiants permet une discussion entre élèves, comme dans une classe en présence.

Références


1 | Université de Genève, « Exercer son esprit critique à l’ère informationnelle », cours en ligne. Sur coursera.org
2 | Palm F, « Coursera, c’est quoi ? », page web, 18 avril 2022. Sur webandseo.fr
3 | Vanbrabant A, « “Juger Etienne” : êtes-vous suffisamment attentif aux fake news ? Faites le test », RTBF Actus, 16 avril 2018. Sur rtbf.be
4 | Axelrad B, « Le test du gorille invisible », SPS n° 312, avril 2015. Sur afis.org
5 | Kahneman D, Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012.

Publié dans le n° 350 de la revue


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L'auteur

Isabelle Dore

Docteur en biologie moléculaire et cellulaire de l’université de Strasbourg et néanmoins assistante maternelle. Elle (…)

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