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Il faut désobéir à Bové !

Publié en ligne le 2 octobre 2007
Il faut désobéir à Bové !

Sophie Lepault
Doc en stock, éditions de La Martinière, 233 pages, 12 €

Sophie Lepault est journaliste et réalisatrice. En 2002, en plein discours diabolisant la science à travers les OGM et le clonage, elle choisissait d’aller au contact des meilleurs professionnels de la transgénèse : Philippe Gay, Louis-Marie Houdebine, Denis Bourguet, Yves Chupeau. Le reportage « OGM : et si Bové avait tort ! » (2002, Doc en stock, 52 mn) était projeté dans le cadre de l’émission « De quoi J’me mêle » sur Arte le 8 octobre 2002 ; la veille de la diffusion, José Bové « exigeait », sans succès, d’être invité sur le plateau ; le producteur de l’émission se voyait dès la projection taxé d’avoir été « acheté par Monsanto ». Jacques Testart qualifiait enfin, dans un grand journal du soir, le reportage de « film de propagande », de « projection nauséeuse », « d’étalage obscène de conformisme et de servilité »…

Trois ans après, Sophie Lepault n’a pas oublié, ni toujours pas digéré. Elle reprend contact avec les chercheurs qu’elle avait rencontrés ; elle plonge dans les rapports officiels des débats publics et des instances scientifiques ; elle épluche les archives des journaux et elle affirme haut et fort : « Il faut désobéir à Bové ! »

Le livre revient sur quelques moments forts du travail d’enquête de la journaliste.

Il en est ainsi quand Sophie Lepault évoque Philippe Gay (p. 48 sq.) ; ce chercheur, qui a vécu les premiers pas de la transgénèse en France, travaille sur le bacille Bacillus thuringiensis (Bt) ; ce bacille produit de nombreuses toxines s’attaquant au système digestif des insectes comme la Pyrale du maïs. La toxine Bt est bien connue, et utilisée à faibles doses en épandage depuis des dizaines d’années en agriculture biologique. L’équipe de Philippe Gay parvient en 1992 « à faire entrer ce gène Bt dans le génome du maïs. Nous ne nous sommes pas trompés, le plant de maïs était désormais capable de produire la toxine qui tue les chenilles ! Plus besoin d’utiliser d’insecticides chimiques sur ces champs  ». Le premier maïs transgénique Bt est né. Cinq ans après, sa culture est autorisée en France et… le calvaire de Philippe Gay commence. C’est un homme laminé par le rouleau compresseur de l’infernale campagne de Greenpeace engagée dès 1993 que Sophie Lepault nous présente. « En fait je souffre d’être français dans ce débat  », confie Philippe Gay désormais en retraite et qui n’apparaît plus dans aucun débat public, « j’aurais préféré œuvrer pour la science aux États-Unis, en devenant américain…  ».

Il en est ainsi également quand Sophie Lepault raconte sa rencontre, au printemps 2002, avec le chercheur Jean-Christophe Breitler, du laboratoire public de recherche agronomique CIRAD ; la serre (oui, la serre…) dans laquelle il menait des essais de riz transgénique résistant aux insectes venait d’être saccagée par ceux qui allaient devenir les « faucheurs volontaires » : « Rien n’a été épargné. Les plants de riz ont été jetés contre les vitres ou piétinés, les étiquettes arrachées, les données informatiques détruites.  » Pour cette exaction, José Bové a été condamné à 6 mois de prison ferme par la cour d’appel de Montpellier mais il n’empêche que « dix ans de recherches [ont été] anéanties en une seule nuit et beaucoup d’argent public gaspillé » (p. 156-157).

Ce livre est à lire absolument ; certes, on peut, on doit, déplorer l’absence trop fréquente de références précises à ce qui est rapporté ; néanmoins, ayant vérifié, parfois avec difficulté (voir encadré), l’exactitude des propos d’un cynisme quelquefois étonnant prêtés aux ténors du lobby anti-OGM, il nous semble que cet ouvrage allie le travail d’enquête honnête et le cri du cœur d’une journaliste qui s’est trouvée prise dans une tourmente qu’elle n’imaginait pas, tout simplement parce qu’elle n’avait pas diabolisé les organismes génétiquement modifiés. Cinq ans après le reportage, deux ans après la sortie de ce livre, nous savons que le harcèlement et les pressions psychologiques et physiques des activistes anti-OGM n’ont malheureusement pas changé. Merci Sophie Lepault : oui, il faut vraiment désobéir à José Bové !

Vérifier une citation : un long parcours, parfois

Dans Ma vérité sur la planète (avril 2007), Claude Allègre citait Bruno Rebelle en ces termes (bas de la page 166) : « Il suffit de citer Bruno Rebelle, ex-porte parole de Greenpeace France et aujourd’hui conseiller de Ségolène Royal, qui expliquait le 28 mars 2004 son opposition aux OGM : “Ce n’est pas facile parce que sur un plan scientifique cela va dans le bon sens et il n’y a pas d’effets néfastes. Par définition, je refuse les biotechnologies que je considère comme un choix de société. Je n’ai pas peur des OGM mais ceux-ci représentent un choix de société auquel je suis hostile”.Tout est dit ». Ces propos, décoiffant de la part d’un des principaux animateurs de la campagne anti-OGM, n’étaient appuyés par aucune référence. Une vérification élémentaire sur la toile révélait que cette citation était déjà reprise sur quelques blogs mais aucune source ne figurait nulle part. Après de longues recherches, cette citation, moyennant une légère mutation (choix vs type), était retrouvée dans le livre de Sophie Lepault, Il faut désobéir à Bové, février 2005, page 133 : « Le 28 mars 2004, lors d’un colloque scientifique, Bruno Rebelle, ex-porte-parole de Greenpeace France, expliquait très clairement son refus des biotechnologies : “Ce n’est pas facile parce que sur un plan scientifique cela va dans le bon sens et il n’y a pas d’effets néfastes. […] Par définition, je refuse les biotechnologies que je considère comme un type de société. Je n’ai pas peur des OGM mais ceux-ci représentent un choix de société auquel je suis hostile” ».

Là encore aucune référence n’est fournie à l’appui de ces propos mais on peut, sans grand risque de se tromper, savoir quelle est la source (mal retranscrite) de Claude Allègre, d’autant plus qu’il cite plusieurs fois Sophie Lepault dans ce chapitre.

Mais... Bruno Rebelle n’a jamais dit exactement cela ; après de nouvelles recherches, la source originale semble bien être une lecture biaisée du rapport 301 de la commission du Sénat de Mai 2003 : Le président de la commission écrit dans le rapport : « Nous avons reçu M. Bruno Rebelle le 28 mars dernier lors d’un colloque au cours duquel il disait refuser les biotechnologies. En termes de recherche de consensus, ce n’est pas facile parce que, sur un plan scientifique, il considère que cela va dans le bon sens et qu’il n’y a pas d’effets néfastes, mais par définition il refuse les biotechnologies qu’il considère comme un type de société » (Rapport n° 301 du Sénat du 15 mai 2003 1).

Il s’agissait donc d’une reformulation par le président de la commission du Sénat de sa compréhension de la position de Bruno Rebelle ; qui plus est le « ce n’est pas facile » est une appréciation que porte ce président et n’est nullement prêté, par lui, à Bruno Rebelle. En plus, Sophie Lepault, écrivant probablement son livre à la fin de l’année 2004, a retranscrit, à tort, « le 28 mars dernier » (dont on n’a pas pu retrouver, quant à nous, si ce colloque s’était tenu en 2002 ou 2003) en « 28 mars 2004 ».

Sur le fond, la pensée de Bruno Rebelle n’est néanmoins pas trahie car on trouve ceci, reporté littéralement dans les actes du Conseil Economique et Social : « Pour ma part, je n’ai pas de craintes. En revanche, j’ai un certain nombre de convictions. Nous n’avons pas peur des OGM. Nous sommes seulement convaincus qu’il s’agit d’une mauvaise solution. Les OGM sont peut-être une merveilleuse solution pour un certain type de société. Mais justement, c’est de ce projet de société que nous ne voulons pas ». Bruno Rebelle, Greenpeace France, Débats au CES 2 des 4 et 5 février 2002.

Mais que d’imprécision... et de temps perdu pour qui veut y voir clair ! Un exemple typique de l’à-peu-près à proscrire.

M. N.

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