Jusqu’où peut-on vraiment recycler les batteries lithium-ion de nos téléphones et voitures ?
Publié en ligne le 17 octobre 2025 - Environnement et biodiversité -
Le véhicule électrique est reconnu comme un élément majeur des transitions bascarbone. L’Union européenne (UE) estime qu’en 2030, au moins 30 millions de véhicules électriques circuleront sur ses routes [1]. Aujourd’hui, on compte environ 300 millions de véhicules au total [2]. L’UE a par ailleurs décidé d’interdire la vente de voitures neuves à moteur thermique (essence ou diesel) à partir de 2035 [3]. La demande mondiale de batteries devrait ainsi être multipliée par 14 d’ici à 2030 et l’UE pourrait représenter 17 % de cette demande [1]. Or les batteries sont consommatrices de ressources minérales, parfois critiques. Le recyclage pourrait-il apporter une partie de la solution ?
La batterie lithium-ion (Li-ion) est l’une des principales révolutions technologiques des trente dernières années. Beaucoup plus compacte et légère que ses prédécesseurs à base de plomb, elle a accompagné l’arrivée des dispositifs mobiles (smartphones, tablettes, ordinateurs portables) en fournissant l’énergie suffisante pour une autonomie journalière. Elle est maintenant au cœur de l’essor actuel des véhicules électriques, permettant ainsi de diminuer les besoins en énergies fossiles dans le domaine des transports. La batterie Li-ion pourrait également permettre de stocker le surplus issu des sources de production d’électricité renouvelables intermittentes, même s’il faudrait pour cela améliorer ses performances, tout en assurant une réduction drastique des coûts de fabrication et en trouvant les ressources nécessaires pour décupler la production.
Des matériaux performants… mais critiques
Les performances des batteries Li-ion sont dues à un mécanisme de stockage de charge réversible et rapide, basé sur une réaction d’intercalation des ions lithium dans des matériaux d’électrodes : contrairement à une réaction chimique classique, les ions lithium entrent dans les matériaux par des petits canaux de dimension atomique. Les découvreurs des premiers matériaux permettant d’effectuer efficacement cette réaction, le disulfure de titane (Stanley Wittingham) puis l’oxyde mixte de lithium et de cobalt LiCoO2 (John Goodenough) pour la cathode, et les carbones graphitiques (Akira Yoshino) pour l’anode, ont ainsi été récompensés par le prix Nobel de chimie en 2019 [4]. À partir de la commercialisation des batteries Li-ion en 1990, le graphite et l’oxyde mixte de lithium et de cobalt se sont ainsi imposés comme les matériaux de choix pour obtenir de bonnes performances. Leur hégémonie n’a été menacée qu’à partir de 2010 environ, suite à l’augmentation soudaine des besoins mondiaux et à la prise de conscience des problèmes possibles d’approvisionnement en matières premières. Ainsi, le cobalt et le graphite font partie des 14 éléments critiques recensés dans une première liste par l’UE en 2011, et le lithium les a rejoints dans la dernière liste de 2020 [5].
Deuxième vie et recyclage
Afin de diminuer les contraintes sur les ressources disponibles, les solutions envisageables à technologie constante sont la réutilisation ou le recyclage [6]. Ainsi, on considère qu’une batterie ayant perdu plus de 20 % de sa capacité de stockage initiale ne permet plus d’utiliser efficacement un téléphone portable ou une voiture électrique. Cependant, il existe des applications pour lesquelles les performances attendues sont moins élevées, comme les services de soutien au réseau électrique (réglage de la fréquence en temps réel). On parle ainsi de seconde vie des batteries Li-ion.
La principale difficulté rencontrée concerne l’hétérogénéité des batteries en fin de première vie et la difficulté d’apporter un diagnostic précis des causes physiques ayant conduit à leur baisse de performance. Le développement de nouveaux outils permettant de sonder l’intérieur des batteries de manière non invasive [7], couplé au développement de méthodes de prédiction de l’état de santé employant l’intelligence artificielle [8], pourrait considérablement améliorer la situation dans les prochaines années.
En ce qui concerne le recyclage, le règlement du Parlement européen du 12 juillet 2023 relatif aux batteries et à leurs déchets a fixé des objectifs de taux de collecte, de recyclage et de réemploi de matières premières recyclées pour les prochaines années [9]. Ainsi, à l’horizon 2030 (ou 2031 selon les cas), 73 % des batteries portables devront être collectées et le cobalt, le cuivre, le plomb et le nickel devront être récupérés à 95 %. Les nouvelles batteries à usage industriel ou pour véhicules électriques mises sur le marché devront contenir des taux minimaux issus de recyclage de 16 % pour le cobalt, 85 % pour le plomb et 6 % pour le lithium et le nickel. Cela concerne les batteries produites dans l’UE ou importées.
Pour effectuer ce recyclage, des procédés existent déjà. Les premières étapes consistent à décharger et démonter les batteries, puis à les broyer. Lors du démontage, on utilise les caractéristiques physiques (densité, propriétés magnétiques, etc. ) des différents constituants de la batterie (les deux électrodes déjà mentionnées, les collecteurs de courant métalliques, l’électrolyte liquide contenant la majorité des ions lithium et le liant qui permet de maintenir la cohésion de la batterie) pour les séparer mécaniquement. Dans la voie traditionnelle, dite « hydrométallurgique », les broyats sont ensuite dissous dans des solutions aqueuses acides, dont les éléments intéressants sont successivement extraits par des méthodes de séparation chimiques et physiques [10]. Une approche alternative consiste à utiliser des procédés dits « pyrométallurgiques » dans lesquels les broyats sont amenés à haute température, ce qui induit la fusion des métaux qui peuvent alors être récupérés sous forme d’alliages métalliques [11].
Les nouveaux matériaux compliquent la donne
Bien que ces procédés de recyclage soient coûteux en énergie, très consommateurs en eau (pour l’hydrométallurgie) et émetteurs de dioxyde de carbone (CO2), leur faisabilité est établie et des usines de recyclage existent déjà. Cependant, le principal frein actuel à la mise en place d’une filière à grande échelle réside dans les évolutions technologiques, notamment pour les matériaux d’électrode employés. Ainsi, pour illustrer sur un exemple, afin de diminuer la dépendance au cobalt des batteries Li-ion, les chercheurs ont développé plusieurs approches [12].
La première consiste à substituer le cobalt par d’autres éléments chimiques proches, le nickel et le manganèse [13]. Ces deux éléments, s’ils font également partie de la liste des matières premières critiques, sont de dix à cent fois plus abondants que le cobalt. Ces matériaux forment la famille dite des oxydes de nickel, manganèse et cobalt, qui a dominé le marché au cours de la décennie 2010-2020. Le taux de substitution du cobalt a progressivement augmenté, et des matériaux contenant moins de 10 % de cobalt sont maintenant employés, alors qu’ils en contenaient 100 % pour les premières générations de batteries Li-ion.
La seconde approche consiste à utiliser un élément beaucoup plus abondant, le fer. Ainsi, un matériau à base de lithium, de fer et de phosphate [14] permet d’obtenir aujourd’hui des performances équivalentes à celles des oxydes de nickel, manganèse et cobalt, à un moindre coût et sans élément critique autre que le lithium. Le matériau à base de lithium, de fer et de phosphate est ainsi en passe de devenir le matériau le plus utilisé dans la fabrication des batteries Li-ion. Les recherches concernant d’autres types d’électrodes, visant notamment à utiliser des matériaux organiques, se sont révélées moins fructueuses.
Ces avancées ont un double impact sur le recyclage des batteries. D’une part, celles-ci contiennent moins de matières premières valorisables et il est donc moins intéressant économiquement de les recycler. Ainsi, dans le cas des matériaux à base de lithium, de fer et de phosphate, il est difficilement envisageable d’arriver à recycler le fer à un coût inférieur à celui de la matière première utilisée – le lithium est alors le seul élément valorisable d’un éventuel procédé de retraitement. D’autre part, en augmentant la variété de batteries disponibles sur le marché, on augmente la complexité des opérations nécessaires. En effet, en fonction de la composition chimique des électrodes, les étapes chimiques mises en jeu ne sont pas forcément les mêmes. Ceci signifie qu’il faut au préalable effectuer une séparation des différentes électrodes lors des premières étapes du recyclage, ce qui est difficilement réalisable en l’état actuel : lorsqu’on achète une batterie, le fabricant n’est pas tenu d’indiquer ce qu’elle contient ! Au sein de l’UE, cette limitation devrait rapidement être enlevée par l’adoption d’un passeport numérique pour les batteries, qui sera obligatoire à partir de février 2027. Ce passeport, qui prendra la forme d’un QR code apposé sur la batterie, devra notamment fournir les informations sur sa composition, sur la présence éventuelle de matières premières et de produits chimiques dangereux, sur les possibilités de réparation, de réaffectation et de démontage, ainsi que sur les processus de traitement, de recyclage et de valorisation auxquels les batteries pourraient être soumises à la fin de leur vie [9].
Vers de nouveaux procédés de recyclage
Sur le plan scientifique, de nouveaux procédés de recyclage pourraient également voir le jour. De nombreuses équipes travaillent actuellement à la mise au point d’approches permettant notamment de court-circuiter une partie des étapes des procédés actuels, en évitant de revenir aux matières premières initiales, pour former directement les matériaux d’électrode. Bien que plus difficiles à mettre en œuvre, ces approches qualifiées de recyclage « direct » permettraient d’augmenter considérablement les taux de récupération, d’empêcher la destruction des matériaux et de minimiser les pertes [15]. Ainsi des travaux prometteurs ont récemment été publiés sur l’utilisation de fluides supercritiques dans lesquels les conditions élevées de température et de pression font que les solvants adoptent un comportement hybride entre gaz et liquide [16]. Ces approches ne sont pour le moment validées qu’à l’échelle du laboratoire, et leur faisabilité industrielle doit encore être prouvée étant donné les immenses volumes de batteries à recycler dans le futur.
Conclusion
Le recyclage des batteries jouera un rôle primordial dans leur future expansion. La faisabilité est établie, et l’adoption d’un passeport électronique couplée à la mise au point de nouveaux procédés plus efficaces et moins gourmands en énergie et en eau sont des signes très positifs. Cependant, l’évolution rapide des matériaux utilisés peut rapidement rendre obsolètes les approches développées aujourd’hui. Il faut d’ailleurs noter qu’au-delà du lithium, les batteries aux ions sodium pourront occuper une part de marché croissante dans les applications de mobilité (vélos électriques, trottinettes). Cet élément, bien que plus lourd et plus difficile à intercaler dans des matériaux, est beaucoup plus abondant et permettrait de résoudre les problèmes de criticité des ressources mondiales en lithium. Les batteries aqueuses au zinc sont également envisagées pour le stockage de l’électricité. Si en principe ces technologies requièrent moins de matières premières critiques, il faudra tout de même envisager d’adapter les méthodes de recyclage actuelles.
1 | Parlement européen, « De nouvelles règles européennes pour des batteries plus durables et éthiques », 15 novembre 2023. Sur europarl. europa. eu
2 | Acea, “Vehicles on european roads”, rapport, février 2024. Sur acea. auto
3 | Parlement européen, « Tout savoir sur l’interdiction de l’UE concernant la vente de voitures neuves à essence et diesel à partir de 2035 », juillet 2023. Sur europarl. europa. eu
4 | The Royal Swedish Academy of Sciences, “The Nobel Prize in Chemistry 2019”, 18 mai 2025. Sur nobelprize. org
5 | European Commission, “Critical raw materials”, 2023. Sur commission. europa. eu
6 | Harper G et al. , “Recycling lithium-ion batteries from electric vehicles”, Nature, 2019, 575 : 75-86.
7 | Gervillié-Mouravieff C et al. , “Unlocking cell chemistry evolution with operando fibre optic infrared spectroscopy in commercial Na(Li)-ion batteries”, Nature Energy, 2022, 7 : 1157-69.
8 | Severson KA et al. , “Data-driven prediction of battery cycle life before capacity degradation”, Nature Energy, 2019, 4 : 383-91.
9 | Parlement européen, « Règlement (UE) 2023/1542 relatif aux batteries et aux déchets de batteries », Journal officiel de l’Union européenne, 12 juillet 2023. Sur eur-lex. europa. eu
10 | Yao Y et al. , “Hydrometallurgical processes for recycling spent lithium-ion batteries : a critical review”, ACS Sustainable Chemistry & Engineering, 2019, 6 : 13611-27.
11 | Mazuka B et al. , “Pyrometallurgical options for recycling spent lithium-ion batteries : a comprehensive review”, Journal of Power Sources, 2021, 491 : 229622.
12 | Armand M, Tarascon JM, “Building better batteries”, Nature, 2008, 451 : 652-7.
13 | Liu Z et al. , “Synthesis and characterization of LiNi1−x−yCoxMnyO2 as the cathode materials of secondary lithium batteries”, Journal of Power Sources, 1999, 81-2 : 416-49.
14 | Pahdi A et al. , “Phospho-olivines as positive-electrode materials for rechargeable lithium batteries”, Journal of the Electrochemical Society, 1997, 144 : 1188-94.
15 | Hayagan N et al. ,“A holistic review on the direct recycling of lithium-ion batteries from electrolytes to electrodes”, Journal of Materials Chemistry, 2024, 12 : 31685-716.
16 | Aymonier C, « Recyclage direct des batteries : focus sur la technologie sous- et supercritique », séminaire du Collège de France, 3 mars 2025. Sur college-de-france. fr
Publié dans le n° 353 de la revue
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L'auteur
Mathieu Salanne

Professeur de chimie à Sorbonne Université et travaille au sein du laboratoire Phenix (Physicochimie des (…)
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