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L’Amazonie, le « poumon » de la Terre ?

Publié en ligne le 5 mars 2020 - Environnement et biodiversité -
La rédaction de cet article a reçu l’aide de Laurent Bopp (CNRS, professeur attaché à l’ENS)

À l’occasion des incendies en Amazonie, on a beaucoup entendu dire que cette région d’Amérique du Sud serait le « poumon » de la Terre. D’autres ont dit, au contraire, que l’océan est la source principale d’oxygène pour l’atmosphère. Qu’en est-il vraiment ?

L’oxygène que l’on respire (le dioxygène, de formule O2) est ou a été généré par la photosynthèse sur terre (végétation) ou dans les océans (phytoplancton). Ce processus absorbe du dioxyde de carbone CO2, stocke du carbone sous forme de matière organique et libère de l’oxygène O2. À l’inverse, la respiration (par les êtres vivants au sens large, y compris les plantes) permet la production d’énergie à partir de matière organique, en consommant de l’O2 et en générant du CO2. Un écosystème à l’équilibre, comme l’Amazonie, consomme quasiment autant d’oxygène qu’elle en produit par la photosynthèse [1].

Par ailleurs, le flux d’oxygène produit par la photosynthèse est faible devant la quantité totale d’oxygène présent dans l’atmosphère (moins de 1015 kg par an contre environ 1018 kg). Ainsi, même si toute photosynthèse s’arrêtait, on ne risquerait pas l’asphyxie avant plusieurs milliers d’années. L’oxygène de l’atmosphère est le résultat d’un processus lent dans lequel une petite partie de la matière organique produite par la photosynthèse est enfouie dans les sédiments marins sans être décomposée par des êtres vivants, ce qui aurait consommé de l’oxygène [2].

L’utilisation des combustibles fossiles par l’être humain est venue perturber cet équilibre. Les mesures précises de la concentration atmosphérique en O2 ont débuté il y a près de 25 ans et montrent une diminution d’environ 4 ppm (parties par million) par an autour d’une valeur qui est d’environ 200 000 ppm. Sur la même période, la concentration en CO2 atmosphérique a augmenté d’environ 2 ppm par an [3]. Cette évolution de la composition atmosphérique est essentiellement due à la combustion des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz), qui consomme de l’oxygène et forme du dioxyde de carbone.

© Neil Palmer/CIAT

Au tout premier ordre, on a l’équation : C + O2 ➝ CO2. On peut alors s’étonner que l’augmentation de la concentration en CO2 et la diminution de celle en O2 dans l’atmosphère ne se fassent pas au même rythme (2 contre 4 ppm par an). La différence est expliquée en partie par le fait qu’on ne brûle pas du carbone pur. Ainsi, lorsqu’on brûle du méthane (CH4) plutôt que du charbon, la réaction associée est CH4 + 2 O2 ➝ CO2 + 2 H2O ; donc une consommation de O2 deux fois plus importante que la production de CO2. Un autre processus intervient pour expliquer la différence d’évolution de ces deux gaz : il est lié aux échanges avec les réservoirs (océans, végétation), échanges naturels mais stimulés par la croissance du CO2 atmosphérique.

Du fait de cette croissance, l’océan et l’atmosphère ne sont plus à l’équilibre et on observe un flux net de CO2 vers l’océan par simple dissolution du gaz, qui n’est pas associé à une émission significative de O2 vers l’atmosphère. La photosynthèse de la végétation est aussi stimulée par la hausse de la concentration du CO2 atmosphérique, ce qui entraîne une croissance globale de la végétation, et ce, malgré la déforestation et les incendies [4]. Cette photosynthèse accrue constitue un puits de CO2 et, contrairement à l’océan, une source d’oxygène. Sur les dernières décennies, les émissions de O2 par la végétation continentale sont donc bien supérieures à celles de l’océan.

En conclusion (i) l’Amazonie n’est pas le « poumon de la planète » ; (ii) l’océan a progressivement fourni, à un rythme extrêmement lent, l’oxygène de l’atmosphère ; (iii) la combustion de ressources fossiles diminue très faiblement la concentration en oxygène atmosphérique, diminution partiellement compensée par la photosynthèse de la végétation en croissance ; (iv) les quantités annuelles d’oxygène apportées par les échanges sont faibles devant la quantité atmosphérique totale ; (v) les incendies en Amazonie sont un désastre écologique mais ne mettent pas en péril notre réserve en oxygène.

Références

1 | Thomas P, « L’Amazonie, le “poumon de la Terre”… ou le révélateur des limites de nos dirigeants ? », 27 août 2019. Sur planet-terre.ens-lyon.fr
2 | « Origine de l’oxygène  », mise à jour le 19 septembre 2017. Sur acces.ens-lyon.fr
3 | Rapport du GIEC AR5 “Climate Change 2013 : The Physical Science Basis”, chapitre “Carbon and Other Biogeochemical Cycles”, figure 6.3. Sur ipcc.ch
4 | Ciais P, Tan J, Wang X, Roedenbeck C et al., “Five decades of northern land carbon uptake revealed by the interhemispheric CO2 gradient”, Nature, 2019, 568 :221-225.


Publié dans le n° 330 de la revue


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L' auteur

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien-climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de (...)

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