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La cosmologie : une science observationnelle précise, mais théoriquement incertaine…

Publié en ligne le 8 octobre 2021 - Information scientifique -

La communauté astronomique est agitée depuis deux ou trois ans par des controverses surgies grâce aux observations de plus en plus détaillées et précises concernant l’évolution de l’Univers. J’en ai donné un aperçu dans le numéro 331 de SPS avec la controverse concernant la « constante de Hubble » 1, dont différentes déterminations sont incompatibles, ce qui a conduit à remettre en cause des idées fondamentales [1]. Nul doute que l’Univers soit en expansion depuis environ quatorze milliards d’années, après un « Big Bang », mais comment ? L’expansion est-elle accélérée par une « énergie sombre » de nature inconnue ? L’Univers est-il dominé par une « matière noire » dont aucune observation directe n’a encore révélé la constitution ? Ne faudrait-il pas reconsidérer le modèle cosmologique standard admis actuellement, de même que le modèle standard de la physique des particules ?

Une chose est cependant certaine : 400 000 ans après le Big Bang, et pendant quelques centaines de millions d’années, l’Univers est devenu complètement noir ; c’était « l’âge sombre » ou « dark age ». Puis les étoiles et les galaxies ont émergé peu à peu par suite de la gravité et ont commencé à l’éclairer. Mais quand et sous quelle forme ? L’idée admise est que les plus petits objets (étoiles et petites galaxies) se seraient d’abord formés. Ils se seraient ensuite agglutinés pour se structurer en grandes galaxies et en amas de galaxies. C’est ce que l’on nomme le « scénario hiérarchique ». Or lui aussi est remis en cause.

De nombreux astronomes s’efforcent actuellement d’observer les objets les plus anciens de l’Univers pour définir à quelle époque ils se sont formés et quelles étaient alors leurs propriétés. Tout a commencé en 2019 par un article publié dans la revue Nature [2]. Les chercheurs avaient observé dans les ondes submillimétriques, avec le réseau de radiotélescopes Alma au Chili, une quarantaine de galaxies visibles seulement en infrarouge. Ils ont alors découvert qu’elles étaient très brillantes, ce qui signifiait qu’elles étaient couvertes d’une enveloppe de poussières produites par une intense formation d’étoiles, absorbant leur rayonnement visible et le réémettant dans l’infrarouge lointain. De la distribution de ce rayonnement, on déduisait que les galaxies en question avaient vécu environ un milliard d’années après le Big Bang 2, et qu’elles étaient alors environ dix fois plus nombreuses que ce que l’on pensait. De nombreux articles confirmèrent ces résultats et épaissirent encore le mystère. En effet, la distribution de leur énergie révèle aussi qu’elles sont dominées par une population de vieilles étoiles âgées de 700 millions d’années. La formation de ces étoiles remonte donc à moins de 300 millions d’années après le Big Bang, en plein âge sombre de l’Univers, à une période où l’on pensait qu’il n’y avait aucune étoile. Fallait-il donc réviser complètement nos idées sur la formation des étoiles et des galaxies ?

Le radiotélescope Alma installé dans le désert d’Atacama
ESO/S. Guisard – Licence CC-BY-4.0

Le mystère n’était en fait pas tout à fait nouveau car il rejoignait celui des quasars très lumineux – donc également très massifs – présents dans l’Univers quelques centaines de millions d’années seulement après le Big Bang 3. L’existence, connue depuis de nombreuses années, de ces gigantesques trous noirs « primordiaux » constituait un problème : on se demandait comment ils avaient réussi à grossir aussi rapidement et où ils avaient pu trouver la matière nécessaire à leur croissance.

Cependant, un article récent vient de révéler que, contrairement aux conclusions précédentes, le surcroît de galaxies primordiales ne serait pas d’un facteur dix mais seulement d’un facteur deux [3]. La méthode utilisée ici est complètement différente et plus directe. L’intensité lumineuse totale du ciel observé dans le domaine de la lumière visible a été mesurée à l’aide d’une sonde spatiale appelée « New Horizon », qui se trouve à 6 milliards de kilomètres de la Terre et donc suffisamment éloignée du Soleil. Les contributions de toutes les sources de lumière déjà connues (toutes les étoiles et en particulier celles de la Voie lactée) ont ensuite été retranchées à cette intensité lumineuse. Il restait alors une très faible valeur qui peut être attribuée à une population de galaxies de luminosité extrêmement faible. Cependant, cette population ne représenterait que le dixième de ce qui était annoncé précédemment, ce qui devient compatible avec le nombre prévu par les modèles.

Il ne serait donc plus nécessaire de remettre en cause nos idées sur la formation des galaxies et des étoiles au début de la vie de l’Univers. Ouf ! D’ailleurs, le prochain grand télescope JWST qui sera envoyé dans l’espace en 2022 (à moins que l’épidémie en cours ne retarde les travaux !) sera capable de détecter les galaxies de luminosité très faible et de confirmer ou d’infirmer ces résultats.

Mais tous les problèmes ne seront pas résolus pour autant. Il restera toujours à comprendre pourquoi les choses se sont passées si rapidement pendant les « âges sombres » et si le fameux scénario hiérarchique reste encore valable. Sans parler du problème de la constante de Hubble…

Références


1 | Collin-Zahn S, « Mystères cosmologiques, ou comment se fabrique la science », Science et pseudo-sciences n° 331, janvier 2020.
2 | Wang T et al., “A dominant population of optically invisible massive galaxies in the early Universe”, Nature, 2019, 572 :211-4.
3 | Lauer TR et al., “New Horizons Observations of the Cosmic Optical Background”, Astrophysical Journal, 2021, 906 :77.

1 La constante de Hubble, H0, donne le taux d’expansion de l’Univers, c’est-à-dire la vitesse des galaxies en fonction de leurs distances, dans notre voisinage local.

2 Les observations lointaines dans l’Univers permettent de remonter dans le passé. En effet, la lumière émise par les étoiles met un certain temps pour parcourir les distances considérables dont il est question ici. Ainsi, ces galaxies sont observées telles qu’elles étaient il y a environ 13 milliards d’années.

3 Les quasars sont des trous noirs très massifs (jusqu’à des milliards de fois la masse du Soleil) situés aux cœurs des galaxies géantes et rendus lumineux grâce au gaz qu’ils attirent et qui rayonne intensément avant de s’engouffrer dans le trou noir. Là encore, ces objets sont très lointains, donc on les voit tels qu’ils étaient dans le passé.