Accueil / Notes de lecture / La vie secrète des gènes

La vie secrète des gènes

Publié en ligne le 1er février 2023
La vie secrète des gènes
Évelyne Heyer
Flammarion, 2022, 252 pages, 18€

Après L’Odyssée des gènes en 2020 1, Évelyne Heyer publie La Vie secrète des gènes, un petit ouvrage très didactique qui explique ce que l’ADN nous apprend de notre évolution, et ce qui constitue notre diversité, à nous, les humains actuels. La trentaine de chapitres thématiques exposés dans ce livre ont été présentés à l’antenne de l’émission « La Tête au carré » sur France Inter.

Pour Évelyne Heyer, biologiste et professeure en anthropologie génétique, « l’ADN est une formidable machine à remonter le temps » car cette molécule porte une multitude d’informations (les gènes), reçus de nos ancêtres. Son étude nous permet d’appréhender l’évolution humaine depuis la préhistoire lointaine jusqu’à nos jours. Ainsi, chacun de nous ayant un ancêtre hors d’Afrique doit à l’Homme de Néandertal 2 2 % de son génome. Même si ces fragments de génome reçus de Néandertal sont quasi identiques aux nôtres, la génétique a montré que des subtiles différences peuvent être importantes et avoir des conséquences sur notre état de santé actuel. Certains malades souffrant de formes graves de Covid-19 pourraient devoir la gravité de leurs symptômes à certains de ces gènes néandertaliens présents dans leur génome.

L’analyse de l’ADN nous apprend également que les peuples de chasseurs-cueilleurs européens de la préhistoire avaient la peau foncée. En étudiant l’ADN de squelettes anciens, il a été possible de montrer que les Européens du Paléolithique 3, tels ceux qui ont peint les grottes de Lascaux, avaient la peau noire et les yeux bleus. Plus récemment, il y a environ 5 000 ans, avec l’arrivée des agriculteurs du Moyen-Orient et le changement de l’alimentation vers un régime plus riche en céréales mais moins riche en vitamine D, la peau des populations européennes s’est éclaircie, laissant la lumière pénétrer jusqu’au derme où elle permet la synthèse de cette vitamine.

Sur le plan nutritionnel, l’analyse génomique a contribué à identifier les mutations génétiques ayant permis la consommation croissante de viande grasse par la production d’enzymes permettant sa digestion. De même on a pu montrer que lorsque l’espèce humaine s’est sédentarisée et s’est mise à élever du bétail, les premiers agriculteurs ont commencé à intégrer le lait dans leur nourriture. Grâce à la mutation d’un seul constituant de leur ADN, la lactase, cette enzyme qui permet la digestion du lait par les nourrissons, s’est mise à subsister à l’âge adulte. Cette unique mutation a conféré un avantage aux premiers éleveurs, qui ont mieux survécu, qui ont eu davantage d’enfants qui eux-mêmes se sont mieux reproduits.

L’ADN a par ailleurs permis de revisiter le rôle des femmes dans la préhistoire. Des recherches archéologiques récentes réalisées sur le continent américain ont par exemple permis de préciser leur rôle dans la chasse aux animaux sauvages. Il y a 8 000 ans, les femmes représentaient dans les Amériques de 30 à 40 % des groupes de chasseurs et n’étaient pas cantonnées à la cueillette des végétaux et aux soins des enfants.

La dernière partie de l’ouvrage est particulièrement intéressante. Elle traite notamment de l’intelligence et de la race. Longtemps on a cru l’intelligence en partie sous le contrôle des gènes. Évelyne Heyer montre que les études récentes réfutent cette croyance et que l’intelligence dépend peu de la génétique. Une analyse effectuée sur plus d’un million d’individus a estimé que la génétique expliquerait environ 11 % de la variation du nombre d’années d’études, marqueur certes imparfait mais utilisé car mieux documenté que le QI dans de larges bases de données génétiques.

De même, la génétique réfute la notion de races. L’ADN est un grand livre écrit avec seulement quatre lettres. Chez Homo sapiens, ce livre est fait de trois milliards de combinaisons de ces quatre lettres. La diversité génétique, qui mesure l’éventail de variations de notre ADN, estime que deux personnes possèdent en moyenne une lettre différente toutes les 1 000 lettres, soit trois millions au total. Cela signifie que nous sommes tous génétiquement identiques à 99,9 %. Notre variabilité est également faible par rapport aux autres grands primates. Les chimpanzés vivant en Afrique sont génétiquement deux fois plus hétérogènes que nous et les orangs-outans de Bornéo le sont trois fois plus. Les études récentes de séquençage de l’ADN à haut débit appliqué à de larges cohortes humaines ou animales montrent ainsi que nous appartenons à une espèce à faible diversité génétique et que le concept de race n’est pas ce qui permet de décrire la diversité humaine.

On trouvera dans ce livre beaucoup d’explication que l’on pourrait, par une lecture rapide, qualifier de finalistes : l’apparition et la conservation à l’âge adulte, chez diverses populations, d’enzymes permettant la digestion de certains aliments, la bipédie concédant aux premiers humains de meilleures capacités à pratiquer une chasse basée sur l’épuisement du gibier, l’immaturité du cerveau des nouveau-nés facilitant leur naissance. Or l’apparition de ces caractères est le résultat d’une sélection naturelle. Celle-ci n’a pas pour but d’améliorer les espèces, elle n’a pas de finalité : le hasard permet à certains individus d’acquérir un avantage sur leurs congénères.

A cette remarque près, pour chacun des chapitres de ce livre, les explications de l’autrice sont convaincantes, même si certains positionnements sont encore discutés par la communauté scientifique. Le style d’écriture est clair et facile à comprendre, et permet au lecteur de réfléchir à ce que nous sommes et d’où nous venons. Une courte bibliographie clôt cet ouvrage que l’on ne peut que recommander à tout personne intéressée par la vaste saga de l’espèce humaine.

1 Heyer E, L’Odyssée des gènes, Flammarion, 2020. Note de Thierry Charpentier, Science et pseudo-sciences n° 335, https://www.afis.org/L-odyssee-des-genes

2 L’Homme de Néandertal (Homo neanderthalensis), est une espèce éteinte du genre Homo, qui a vécu en Europe, au Moyen-Orient et en Asie centrale, jusqu’à environ 30 000 ans avant notre ère.

3 Le Paléolithique débute avec l’apparition des premiers hommes (genre Homo), il y a environ trois millions d’années, et se termine il y a 10 000 à 12 000 ans.

Publié dans le n° 344 de la revue


Partager cet article


Auteur de la note

Laurent B. Fay

Laurent B. Fay est biochimiste et ancien responsable (...)

Plus d'informations