Le Puy du Faux
Publié en ligne le 28 novembre 2025Les Arènes, 2022, 192 pages, 18 €
Ce livre a été écrit par quatre historiennes et historiens qui ont entrepris de passer trois jours au Puy du Fou, parc d’attractions attirant plusieurs millions de visiteurs par an avec une offre de spectacles centrés sur le thème de l’Histoire de France.
L’introduction expose les motivations de ce séjour, l’attachement des auteurs à la vulgarisation historique, et donne un aperçu de l’histoire du parc. Celui-ci a été créé par Philippe de Villiers, homme politique conservateur ayant rejoint les rangs de l’extrême-droite, qui continue à être l’auteur de tous les spectacles et assume être animé par un combat culturel, lié – entre autres – à un ressentiment face à ce que lui et d’autres militants du même bord nomment le « génocide » vendéen 1 sous la Révolution française.
Le livre est structuré en chapitres thématiques explorant différents aspects de la vision de l’Histoire promue par le Puy du Fou, accompagnés chacun d’une courte bibliographie. Ainsi, l’obsession de l’enracinement conduit le parc à fantasmer une continuité historique parfois absurde ou mensongère, comme lorsque sont mises en avant des races d’animaux domestiques supposément très anciennes alors que leur sélection date du XIXe siècle. Le mépris du travail historique et l’ignorance des sources se traduit par la reprise ou l’invention de véritables contre-vérités, comme le prétendu « anneau de Jeanne d’Arc » acheté en 2016 par le parc et dont les preuves d’authenticité sont très faibles 2. De même, le spectacle Le Signe du triomphe, censé narrer la persécution de chrétiens sous l’empire romain, et son livret en vente dans le parc sont fondés sur de nombreuses erreurs, idées reçues et incompréhensions historiques.
Le Puy du Fou épouse l’idée d’une permanence du passé, vu comme immobile, malgré les vicissitudes de l’Histoire : ni les peuples ni les hommes n’évoluent vraiment au fil des temps, et ce passé (celui, supposé grandiose, de l’Ancien Régime) survit toujours parmi nous. L’imagerie mobilisée à ce profit emprunte aux stéréotypes et aux poncifs de la culture populaire, tant dans le choix de l’accompagnement sonore que des couleurs ou des costumes, sans souci de réalisme historique. Les auteurs du livre évoquent « un gâchis monumental » face à une si piètre rigueur scientifique malgré une dépense considérable de moyens.
Les spectacles montrent des femmes majoritairement cantonnées à des rôles passifs ou sentimentaux (on y retrouve plusieurs fois ce même cliché : une femme attend, éplorée, son époux parti à la guerre). Une attraction révèle combien cette idée imprègne l’état d’esprit du parc : dans un des studios photo d’où l’on peut repartir avec un souvenir imagé, on propose aux enfants de brandir une épée pour les garçons, et de… « croiser les jambes comme une princesse » pour les filles. À rebours de ces caricatures, les auteurs insistent sur la difficulté à rendre compte avec justesse de la position des femmes dans l’histoire, entre une domination masculine indubitable qui œuvrait à limiter leur autonomie, et une complexité des situations qui autorisait des rôles actifs, un certain degré d’autonomie et même, parfois, l’exercice d’un pouvoir ou l’expression d’une résistance.
Les relations entre classes sociales ne sont pas mieux traitées. Les paysans semblent passer leur temps à banqueter et faire la fête, ils ne sont guère montrés en train de travailler et ne s’opposent jamais à l’ordre établi (sauf s’il est républicain). Les véritables acteurs de l’histoire sont les nobles, animés de valeurs stéréotypées (bravoure, honneur, etc.) et dévoués à un roi présenté sous des traits emphatiques (Louis XVI est dépeint en « figure de martyr »). À l’inverse, les personnages marquant une rupture avec les valeurs de l’Ancien Régime (scientifiques, philosophes des Lumières, personnalités républicaines) sont soit absents des spectacles soit dépeints de manière péjorative.
Enfin, le Puy du Fou « ne cesse de faire l’apologie du christianisme », que ce soit dans la mise en scène de la persécution de preux chrétiens par un gouverneur romain (sauvés in extremis par un miracle au sens propre), dans la vente d’objets d’artisanat aux sujets majoritairement religieux, dans le récit de la conversion de Clovis au christianisme ou dans la diabolisation des cultes païens. Cette propagande s’accompagne de la glorification passéiste d’une France intrinsèquement liée à la religion chrétienne, en mobilisant une imagerie tout aussi caricaturale et parfois anachronique.
Ainsi, tout en jugeant les spectacles du parc « tout simplement magnifiques », les auteurs s’inquiètent de la multiplication des tentatives de réécrire l’histoire par des personnalités et mouvements d’extrême-droite, dont le Puy du Fou n’est qu’un exemple, et qui rencontrent un réel succès.
Enfin, en guise d’épilogue, les auteurs se sont plus à imaginer des spectacles historiques abordant des périodes et problématiques variées. Chaque proposition est détaillée sur plusieurs pages, exposant son déroulé, ses ressorts scénographiques et son intérêt historique. Les auteurs entendent ainsi montrer la possibilité de transmettre rigoureusement les connaissances historiques sur des sujets divers par le biais de spectacles captivants. On participerait volontiers, si elle existait, à une campagne de financement participatif autour de la réalisation d’un tel projet.
1 En réalité, si le soulèvement antirévolutionnaire en Vendée a fait l’objet d’une répression massive, il n’est pas considéré par les historiens comme un génocide. On trouvera de bons arguments dans cette note de lecture par Jean-Clément Martin, spécialiste du sujet : https://shs.cairn.info/revue-annales-historiques-de-la-revolution-francaise-2012-2-page-194?lang=fr
2 À propos de son acquisition, le blog du Puy du Fou titrait : « Le Puy du Fou reprend [sic] l’anneau de Jeanne d’Arc aux Anglais. »



















