La désinformation distillée par des institutions scientifiques américaines : un grave enjeu de confiance au niveau international
Publié en ligne le 26 novembre 2025 - Intégrité scientifique -
Communiqué
26 novembre 2025
Ce texte a été publié sous forme de tribune sur le site du journal Le Point.
L’indépendance et l’intégrité des agences sanitaires est un pilier de la confiance que le public peut accorder à leurs analyses et recommandations. Leurs avis fondent, ou devraient fonder, les politiques de santé publique [1]. Les décisions du nouveau gouvernement Trump sont à cet égard dramatiques. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le 19 novembre 2025, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC, Centers for Disease Control and Prevention, la principale agence de santé du pays) ont modifié une page de leur site Internet à destination du public portant sur la sécurité des vaccins. Alors qu’auparavant il était expliqué que « les vaccins ne causent pas l’autisme » et qu’aucun lien n’a été établi entre les ingrédients des vaccins et les troubles du spectre autistique » [2], on peut désormais lire, à l’encontre du consensus scientifique, que « l’affirmation selon laquelle “les vaccins ne causent pas l’autisme” n’est pas fondée sur des preuves, car les études n’ont pas exclu la possibilité que les vaccins administrés aux nourrissons causent l’autisme. Les études qui établissent un lien de causalité ont été ignorées par les autorités sanitaires » [3]. Le texte suggère différentes pistes comme celle de l’adjuvant aluminium dans les vaccins. La communauté scientifique américaine a fortement réagi en rappelant que, depuis que la rumeur avait été lancée en 1998 sur la base d’une fraude scientifique, plus de quarante études de haute qualité impliquant plus de 5,6 millions de personnes ont montré qu’il n’y avait aucun lien entre vaccins et autisme [4] [5]. Plus généralement, cet événement s’inscrit dans le cadre d’un ensemble d’actions menées par le gouvernement américain et regroupé sous le libellé « Make America Healthy Again » (rendre l’Amérique de nouveau en bonne santé) [6]. Ce programme, sous couvert de lutte contre les maladies chroniques infantiles et en se revendiquant d’une médecine fondée sur les preuves, promeut en réalité une approche idéologique sur fond de convictions anti-vaccination et plus généralement antiscience [7] [8].
L’expertise publique fragilisée au niveau international
La décision des CDC de modifier radicalement leur propos sur ce sujet correspond aux convictions antivaccin de Robert F Kennedy Jr, le ministre de la Santé et des services sociaux. Ce dernier a d’ailleurs procédé à une véritable purge parmi les responsables des agences scientifiques. Cette décision a une portée bien plus grave qu’une simple désinformation sur un sujet, certes important. Elle contribue à ruiner la confiance que peut accorder le public américain envers le système d’expertise public. Si les CDC peuvent ouvertement promouvoir des thèses antivaccin sans aucun fondement scientifique, pourquoi ce qu’elles affirment sur d’autres sujets serait-il plus crédible ?
La portée de cette décision dépasse le cadre des États-Unis : la science est internationale et les avis des agences sanitaires sont censées reposer sur un corpus scientifique commun. Le discrédit qui touche l’agence américaine ne pourra qu’avoir que des conséquences délétères sur la crédibilité de toutes les agences dans le monde. Si les CDC américains affirment que les vaccins causent l’autisme, que les adjuvants en sont possiblement la cause… pourquoi les agences européennes et françaises qui affirment le contraire auraient-elles plus raison ? C’est tout un édifice qui se trouve fragilisé.
Intégrité et indépendance de l’expertise publique
Les décisions en matière de santé et d’environnement, pour recueillir l’adhésion du public, doivent reposer sur un état validé des connaissances scientifiques. Cela ne signifie pas que les avis et les analyses des agences d’expertise sont infaillibles ou qu’ils ne peuvent pas être discutés. Les agences peuvent se tromper, voire céder à des pressions de la part d’acteurs mal intentionnés, comme l’affaire du Mediator l’a illustré de manière dramatique [9]. Mais ce rôle de l’expertise publique est irremplaçable. Ni le grand public, ni les décideurs politiques, n’ont la capacité de comprendre et d’analyser eux-mêmes l’ensemble de la production scientifique : il leur est indispensable de procéder, d’une certaine manière, par une « croyance par délégation » [10].
Toutefois, les agences d’expertise ne peuvent jouer ce rôle que si elles sont exemplaires en termes d’intégrité, de qualité scientifique et d’indépendance. Des grands progrès ont été faits ces dernières années : explicitation des méthodes de travail, transparence sur les liens et conflits d’intérêt des experts, etc. C’est bien entendu loin d’être parfait, mais la consolidation de ce processus est la seule manière de pouvoir opposer une expertise solide et consensuelle aux allégations de toutes sortes, qu’elles viennent des industriels ou qu’elles soient portées par des motivations idéologiques.
Les risques des opérations de décrédibilisation des agences d’expertise
Malheureusement, il n’y a pas qu’aux États-Unis où des courants se mobilisent pour décrédibiliser les agences sanitaires dès que leurs avis ne correspondent pas à leurs conceptions idéologiques ou politiques, ou à leurs intérêts économiques. Les exemples sont très nombreux : le Pr Didier Raoult et les promoteurs de l’hydroxychloroquine [11], les partisans d’une prétendue « maladie de Lyme chronique » résistante à tous les traitements antibiotiques [12] et plus généralement, toutes les associations antivaccin. L’industrie, particulièrement celle du tabac, a aussi beaucoup joué au niveau international dans ce registre pour promouvoir ses produits alors qu’elle en connaissait la nocivité [13]. Parfois, le simple fait de relayer un avis d’une agence sanitaire qui ne correspond pas à un agenda est suspectée de défendre des intérêts économiques douteux [14]. D’une manière générale, les expertises des agences qui déplaisent pourront être dénoncées comme n’étant pas de la science, opposant une prétendue « science réglementaire » à la « science tout court » [15].
Lorsque cet agenda idéologique arrive au pouvoir, il existe un risque réel de voir s’instaurer une politique de démantèlement de l’expertise publique. L’exemple de l’administration Trump en offre une illustration frappante, faisant écho, soixante-quinze ans plus tard, à l’affaire Lyssenko en Union soviétique, où une (pseudo)science officielle avait été imposée sur des bases idéologiques, au mépris des connaissances scientifiques établies [16]. Les répercussions internationales pourraient être aujourd’hui plus fortes depuis les Etats-Unis qu’elles ne l’ont été hier depuis l’Union soviétique. En Europe, un mouvement intitulé MEHA (Make Europe Healthy Again) regroupant de nombreux militants anti-vaccination a été lancé le 25 octobre 2025 dans une réunion qui s’est tenue au Parlement européen à Bruxelles. Il entend, à l’image de sa référence américaine, œuvrer pour une « une alimentation saine, l’eau, l’air, la terre, l’espace et des communautés sûres » et briser « les cycles de maladies chroniques », mais fait en réalité la promotion d’un véritable programme antiscience [17].
Conclusion
Préserver la confiance du public et la crédibilité internationale des agences d’expertise publique impose de renforcer leur indépendance et leur intégrité. Cela implique : une transparence encore accrue sur les méthodes et des données, une protection renforcée des agences face aux pressions politiques, économiques ou idéologiques, la consolidation des mécanismes de contrôle des conflits d’intérêts. Plusieurs sociétés savantes américaines d’infectiologie ont dénoncé le revirement des CDC comme « n’étant pas motivé par la science, mais par la politique, et ne fera qu’accroître la méfiance envers la science et la médecine ». Elles rappellent que « la désinformation sur les vaccins a des conséquences dangereuses. Actuellement, l’épidémie de rougeole qui sévit aux États-Unis met le pays au bord de la perte de son statut, longtemps acquis, de pays ayant éradiqué la rougeole » [18].
Les instances scientifiques internationales doivent coopérer pour défendre une expertise fondée sur les preuves, capable de résister aux campagnes de désinformation et aux tentatives de démantèlement idéologique. L’intégrité de l’expertise publique n’est pas seulement une question nationale : elle est un pilier de la santé et de la sécurité de tous.
1| « Des décisions éclairées par la science ? Prouvons-le ! », Science et pseudo-sciences n°354, octobre 2025.
2| "Autism and Vaccines" Page du 24 décembre 2024, archivée sur le site web.archive.org (consultée le 21 novembre 2025)
3| “Autism and Vaccines”, sur le site des CDC, 19 novembre 2025 (consulté le 21 novembre 2025).
4| Taylor L, “CDC website altered to suggest possible link between vaccines and autism”, BMJ, 21 novembre 2025.
5| “Statement on CDC’s vaccines and autism webpage”, déclaration des présidents de cinq sociétés savantes, mise à jour du 20 novembre 2025.
6| “Make América Healthier Again– Building a healthier, stronger America”, site du ministère américain de la santé (consulté le 21 novembre 2025).
7| Grimes DR. “ ‘America Healthy Again’ will make the world sicker”, EMBO Rep, 2025.
8| Kozlov M, “Psychedelics and immortality : Nature went to a health summit starring RFK and JD Vance”, Nature, 21 novembre 2025.
9| Krivine JP, « Mediator : l’expertise publique fragilisée », Science et pseudo-sciences n°295, avril 2011.
10| Bronner G, La démocratie des crédules, PUF, 2013.
11| « Le Conseil scientifique et la HAS accusent Didier Raoult de “calomnie” », TF1, 2 juillet 2020.
12| « Maladie de Lyme : et si l’on écoutait les scientifiques ? », Communiqué de l’Afis, 27 juin 2017.
13| Bero LA, “Tobacco industry manipulation of research”, Public Health Rep, mars-avril 2005.
14| « Désinformation climatique : plus de 40 députés appellent à légiférer », tribune publiée dans Ouest-France, 6 septembre 2025.
15| « « Science officielle », « science réglementaire » : comment discréditer la science au nom de la science », Science et pseudo-sciences, avril 2025.
16| Kindo Y, « L’affaire Lyssenko, ou la pseudo-science au pouvoir », Science et pseudo-sciences, juillet 2009.
17| Cullinan K, “‘Make Europe Healthy Again’ Launch is Dominated by Anti-Vaxxers and Far Right Politicians”,
Health Policy Watch, 22 octobre 2025.
18| “Statement on CDC’s vaccines and autism webpage”, déclaration des présidents de cinq sociétés savantes, mise à jour du 20 novembre 2025.


















