Le « débunk », l’important travail pour prouver...
Publié en ligne le 29 novembre 2024 - Science et médias -
Démystifier un documentaire trompeur (l’anglicisme « débunk » est souvent utilisé) nécessite un travail particulièrement complexe. Cela a été fait pour Des vaccins et des hommes, diffusé sur Arte en 2022. Ce documentaire prétend apporter une réflexion argumentée de fond sur la vaccination, mais alimente l’opposition contre ces produits. Ce travail de démystification a pris cinq mois, mobilisant une équipe d’une quinzaine de personnes [1].
Voici la méthode qui a été utilisée. Tout d’abord, le film a été retranscrit au mot près pour, d’une part ne pas être accusé de détourner le propos et, d’autre part, séparer chaque séquence en fragments de quelques phrases conservées dans leur intégralité afin de disposer d’unités plus simples à analyser. Ensuite, des thématiques ont été isolées pour pouvoir suivre le déroulé d’un même argument tout au long du film. Les fragments au sein de ces thématiques sont alors regroupés pour permettre une rédaction cohérente. Enfin, les thématiques identifiées sont confiées aux personnes du groupe de travail les plus compétentes pour les traiter. Il revient à chacun de confronter chaque affirmation de chaque fragment à la littérature scientifique, mais aussi aux textes de loi ou aux archives historiques selon le sujet traité, afin de décrire avec précision ce qui est erroné, imprécis ou mensonger, en le justifiant, source à l’appui. La démystification de Des vaccins et des hommes a ainsi fait appel à 333 références.
Il convient ensuite, par souci de rigueur scientifique, de faire relire chaque partie de l’analyse à des spécialistes externes. Ici, l’équipe a également jugé utile d’enquêter sur les intervenants et auteurs du film. Cela a révélé qu’un petit groupe de personnes est à l’origine de plusieurs documentaires problématiques. En intervertissant leurs rôles selon les projets, ils donnent l’impression que plusieurs réalisateurs différents ont des points de vue qui se rejoignent, alors qu’il s’agit d’une équipe travaillant en vase clos et qui trouve un relais complice dans la chaîne Arte. Enfin, l’équipe a analysé la rhétorique du film, celle-ci étant particulièrement bien menée.

Dépouillée de ses atours narratifs, la thèse du film est celle-ci : aucun vaccin contre aucune maladie n’a jamais eu réellement d’efficacité supérieure à ses nuisances (effets indésirables supposés et coût pour la collectivité). Cela inclut les vaccins contre la variole, le tétanos ou la rougeole. Le film réalisé en 2022 aurait pu se servir du vaccin contre la Covid-19 comme tremplin d’audience, mais la réalisatrice Anne Georget met en scène des théories soutenues par son père biologiste, un infatigable opposant à la vaccination [2] décédé avant l’épidémie. Il n’a donc jamais rien écrit à ce sujet. La réalisatrice se contente de contester l’intérêt de vaccins plus anciens.
Aucun élément du film ne résiste à une analyse un peu rigoureuse : la bénignité présumée de la rougeole, l’accusation d’inefficacité du vaccin contre le papillomavirus, la dangerosité alléguée des adjuvants… Le pouvoir de conviction repose sur la qualité du montage : des interviews de participants sont régulièrement coupées pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils voulaient exprimer (certains se sont ouvertement plaints sur les réseaux sociaux sans qu’Arte s’en émeuve). De ce fait, ce documentaire est particulièrement dangereux. Auréolée de la crédibilité d’Arte, son diffuseur et coproducteur, l’œuvre sème le doute sur certains bénéfices de la médecine. Il n’est pas sans rappeler le « travail » du médecin (radié du registre des médecins anglais depuis) Andrew Wakefield qui avait publié en 1998 une étude frauduleuse popularisant l’idée que le vaccin ROR (contre la rougeole, les oreillons et la rubéole) augmentait le risque de développer des troubles autistiques. La crainte du vaccin ainsi engendrée et le refus de vaccination qui en a découlé a eu de graves conséquences [3] et est probablement responsable de la mort de centaines de personnes. Il est à craindre que Des vaccins et des hommes ait également des conséquences funestes, en particulier concernant le vaccin contre le papillomavirus. Ce dernier protège, entre autres, contre le cancer du col de l’utérus. Il ne fait pas l’objet d’une obligation vaccinale mais bénéficie actuellement en France d’une campagne des autorités de santé.
1 | « Analyse complète du documentaire Des vaccins et des hommes », sur le site BigPragmades collectifs « Les vaxxeuses » et « Stop à la Propagande Anti-Vaccins », 14 avril 2023.
2 | La page « Michel Georget » sur le site psiram.com, consulté le 16 mars 2024.
3 | Maisonneuve H, « L’affaire Wakefield – Le rôle des lobbies anti-vaccin et les conséquences d’une fraude médicale », Science et pseudo-sciences n° 32, octobre 2012.
Publié dans le n° 349 de la revue
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L'auteur
Pauline Delahaye

Chercheuse en sémiotique et vulgarisatrice (« The Dendrobate Doctor »), au nom du collectif de démystification du (…)
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