Accueil / Regards sur la science / Les femmes dans la recherche scientifique : de l’ostracisme à l’obstacle

Regards sur la science

Les femmes dans la recherche scientifique : de l’ostracisme à l’obstacle

Publié en ligne le 19 juin 2014 - Histoire des sciences -

Les choses ont bien changé pour les femmes depuis deux ou trois décennies, et des victoires considérables concernant leur place dans la société ont été remportées. Cependant, il semble que les progrès ralentissent en ce moment et même parfois se soient complètement arrêtés. Une étude récente parue dans la revue Nature (mars 2013) a donné la parole à des femmes scientifiques, qui ont présenté un état assez négatif de la situation. Il est d’ailleurs assez amusant de constater que dans cette même revue, seulement 14 % des rapporteurs d’articles sont des femmes 1 !

Gerty Theresa Cori, née Radnitz (1896-1957), Biochimiste américaine d’origine austro-hongroise, troisième femme à recevoir un prix Nobel de science après Marie Curie et Irène Joliot-Curie, (prix Nobel de physiologie ou médecine en 1947).

Il y a en Europe 60 % de femmes diplômées au niveau master contre 40 % d’hommes, et seulement 30 % de femmes travaillant dans la recherche. En additionnant l’Europe et les États-Unis, on trouve que 50 % de ces femmes passent une thèse, mais seulement 20 % deviennent professeurs. De façon générale, on peut dire que les femmes sont beaucoup moins présentes dans « l’excellence ». Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour le constater, puisque notre chère revue Science et pseudo-sciences compte 26 parrains et seulement 2 « marraines ». Cela peut s’expliquer par le fait que ces parrainages sont demandés à des personnes de niveau élevé (académiciens, directeurs d’instituts prestigieux...) et qu’il y a justement peu de femmes atteignant ces niveaux. Par exemple, en 2009, l’Académie des Sciences comprenait 31 astronomes (en comptant les correspondants et les étrangers), dont seulement 5 étaient des femmes, et il n’y en avait aucune avant 2005 ! Quels problèmes révèlent ces disparités, alors que tout est fait en ce moment dans le milieu de la recherche scientifique pour donner aux femmes la place qui leur revient de droit ?

Si l’ostracisme envers les femmes semble désormais en grande partie vaincu, il demeure – aussi bien de la part des hommes que des femmes elles-mêmes – de nombreux obstacles dus à des préjugés inconscients correspondant à un endoctrinement culturel précoce relatif au genre : il règne l’idée inexprimée ouvertement que les femmes sont davantage faites pour l’art et les lettres que pour la science. Les femmes sont encore loin d’être présentes à égalité dans les lieux de décision où on assiste, aujourd’hui encore, à des manifestations machistes sinon misogynes. Et lorsqu’elles atteignent des niveaux élevés dans la science, il s’agit souvent de postes d’administratrices, qui réclament un énorme travail souvent ingrat, et qui sont moins prestigieux que directeurs de grands instituts ou académiciens.

Par ailleurs, les difficultés matérielles pour une femme à faire une carrière dans la recherche scientifique sont plus grandes que pour les hommes et ont augmenté encore ces dernières années. La recherche esten effet devenue beaucoup plus compétitive et nécessite un énorme investissement personnel si l’on veut y faire une carrière. Il est par exemple nécessaire de faire de plus en plus de déplacements, de participer à un grand nombre de congrès (une demi-douzaine par an est un chiffre courant) en particulier pour les jeunes chercheurs qui ont besoin de se faire connaître dans la jungle des concurrences. Il est maintenant pratiquement indispensable de partir en postdoctorat à l’étranger pendant plusieurs années avant d’obtenir un poste permanent dans la recherche. Et à moins d’avoir de l’aide ou bien un compagnon très compréhensif, une femme ne peut pas s’absenter sans cesse si elle a de jeunes enfants. C’est un problème majeur pour une femme qui se voit contrainte d’attendre d’avoir au moins soutenu sa thèse sinon d’être déjà bien connue avant d’avoir un enfant.

L’excellence scientifique, jugée par la créativité et la productivité, requiert donc une volonté de fer et beaucoup de temps. Les femmes hésitent à sacrifier leur vie familiale, et le poids des charges supplémentaires liées à des positions d’excellence leur apparaît souvent insupportable. De plus, elles ont tendance à se sous-estimer par rapport à des hommes plus « forts en gueule ».

La création, en 2007, du Conseil Européen de la Recherche (CER), destiné à financer des « chercheurs d’excellence » en est une bonne illustration. À ce jour, seulement 19 % des 3 500 bourses accordées l’ont été à des femmes. Mais il faut noter qu’elles ne constituent que 25 % des 35 000 propositions, ce qui prouve qu’elles s’auto-censurent, soit parce qu’elles estiment ne pas être à la hauteur, soit par crainte de ne pouvoir assumer le surcroît de pression qu’entraîne cet honneur.

Dans ces conditions, que faire ? L’application de quotas pour les femmes a été mise en place aux États-Unis (comme pour les minorités) mais elle est refusée dans le contexte français, pour ne pas donner aux femmes un statut au rabais. On pourrait imaginer des solutions permettant aux femmes de travailler mieux lorsqu’elles ont des enfants ; c’est ce qui est préconisé dans les pays où les crèches sont pratiquement inexistantes mais ce n’est pas le cas en France. Finalement, l’essentiel du problème est d’ordre culturel, et celui-là ne se résoudra pas avant longtemps, s’il se résout un jour.

1 Les rapporteurs sont chargés de juger si un article mérite ou non d’être publié, et de suggérer des modifications lorsqu’ils l’estiment nécessaire.

Publié dans le n° 307 de la revue


Partager cet article


L' auteur

Suzy Collin-Zahn

Astrophysicienne et directeur de recherche honoraire à l’Observatoire de Paris-Meudon.

Plus d'informations