Les ressources en uranium
Publié en ligne le 22 octobre 2025 - Environnement et biodiversité -
La matière première pour alimenter les réacteurs nucléaires électrogènes est l’uranium. Les quantités nécessaires sont faibles et leur prix a une faible incidence sur le coût du kilowattheure produit. Cependant, la filière dominante actuelle, celle des réacteurs à eau pressurisée, n’est pas durable. L’augmentation prévisible de la demande d’électricité d’origine nucléaire dans le monde [1] nécessitera de développer une nouvelle technologie reposant sur des réacteurs à neutrons rapides.
La matière première uranium
L’uranium est l’élément chimique le plus lourd existant sur terre : il contient 92 protons. Bien qu’il soit radioactif – l’effectif d’une population d’atomes d’uranium décroît progressivement avec le temps –, sa durée de vie est suffisamment longue pour qu’il en existe encore depuis la formation de la Terre. Il se décline principalement sous la forme de deux isotopes 1 : l’uranium 238 avec 146 neutrons qui viennent s’ajouter aux 92 protons et l’uranium 235 avec 143 neutrons en plus des 92 protons. Ils ont des périodes radioactives différentes, respectivement 4 469 et 704 millions d’années. La période radioactive, également appelée demi-vie, est le temps durant lequel la moitié des atomes radioactifs se désintègrent. L’uranium 235 est dit fissile car il peut fissionner 2 lors de la capture d’un neutron en libérant une grande quantité d’énergie. Cet isotope est même le seul noyau fissile existant naturellement sur Terre. C’est grâce à lui que l’Homme a pu exploiter l’énergie nucléaire. Dans la nature, l’uranium 238 (non fissile) est très largement majoritaire (99,27 %) alors que l’uranium 235 n’est présent qu’à hauteur de 0,72 %.

En 1789, le Prussien Klaproth fut le premier chimiste à identifier un oxyde d’uranium à partir de la pechblende. Il le nomma d’abord « uranite » en référence à la planète Uranus récemment découverte par Herschel, et le nom définitif de l’uranium fut établi un an plus tard. Quant au nom de la planète, il fut lui-même largement inspiré de la muse Urania, descendante du dieu grec Ouranos (assimilé à Uranus pour les Romains).
Bien que très lourd, l’uranium est relativement abondant dans la croûte terrestre (trois parties par million, ou 3 ppm). Il y a donc en moyenne 3 g d’uranium par tonne de terre et on en trouve à peu près partout sur la planète, y compris dans son jardin 3. Bien entendu, comme pour toute matière, l’uranium se trouve plus concentré en certains endroits du globe, dans des gisements où il pourra être exploité. Certaines mines, comme celle de Cigar Lake au Canada, sont très riches en uranium, avec des minerais dont les teneurs peuvent dépasser les 15 %. Plusieurs mines en France ont été exploitées au siècle passé, mais elles ne sont plus aujourd’hui économiquement viables à cause de la relative faiblesse de la teneur en uranium des minerais (0,1 %, soit 1 000 ppm).
Réserves et marché
On désigne par « réserves » la quantité d’une ressource identifiée dans la croûte terrestre qui est techniquement extractible et économiquement rentable à l’aide des technologies actuelles, aux prix actuels ou prévisibles. Les réserves mondiales en uranium sont régulièrement évaluées dans chaque pays et compilées dans le livre rouge de l’Agence pour l’énergie nucléaire qui dépend de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) [2]. On y constate que les réserves d’uranium sont relativement mieux réparties sur la planète que les hydrocarbures (voir premier encadré). Depuis une vingtaine d’années, le Kazakhstan s’est progressivement imposé comme le plus grand pays producteur d’uranium (40 % de la production totale).
La production annuelle d’uranium varie entre 50 000 et 60 000 tonnes tandis que la consommation, qui évolue principalement avec la demande en électricité nucléaire et la puissance des centrales installées, est stable depuis 25 ans à 60 000 tonnes par an (voir deuxième encadré). Le léger déficit actuel est largement couvert par le surplus accumulé durant la période de la guerre froide (1950-1991). Suite à l’effondrement de l’URSS, les accords de désarmement nucléaire ont mis sur le marché de grandes quantités d’uranium hautement enrichi (une proportion supérieure à 90 % d’uranium 235 fissile) issues des bombes nucléaires démantelées, qu’il a fallu donc appauvrir pour être utilisées comme combustible dans les réacteurs. En effet, pour la fabrication du combustible, l’uranium naturel doit être enrichi en atomes fissiles (uranium 235) à hauteur de 4 % à 4, 5 %, alors que le contenu naturel n’est que de 0,72 %. En France, cette étape d’enrichissement se réalise par ultracentrifugation dans une usine dédiée à Pierrelatte dans la Drôme.

Répartition mondiale des ressources d’uranium conventionnel récupérables à un coût inférieur à 130 $ par kg. L’ensemble des 15 pays mentionnés représente 95 % du total de l’uranium ainsi identifié (janvier 2023).
Le marché de l’uranium est relativement restreint, peu liquide, et comprend deux composantes : un prix de long terme négocié de gré à gré avec les exploitants de réacteurs qui souhaitent s’assurer un approvisionnement à un prix connu plusieurs années à l’avance, et un prix spot de court terme qui varie avec la conjoncture et la spéculation. Le marché de long terme représente plus de 85 % du volume négocié. Les deux prix ont tendance à converger aujourd’hui autour de 100 $ le kg (l’uranium s’échange sous forme d’un minerai d’oxyde d’uranium spécifique). La mise sur le marché dans les années 1990 des stocks issus du démantèlement des armes nucléaires a fait s’effondrer le marché à moins de 20 $/kg (voir troisième encadré). Inversement, en 2007, l’inondation de la mine de Cigar Lake couplée à la bulle des matières premières a propulsé le prix spot à 300 $/kg. Après une relative stabilité sur deux décennies, les perspectives de croissance du nombre de réacteurs dans le monde risquent de progressivement faire augmenter les prix du marché.

Besoins pour les réacteurs actuels
Le besoin mondial de 60 000 tonnes d’uranium par an permet d’alimenter plus de 400 réacteurs pour fournir une production annuelle de 2 800 TWh (à titre de comparaison, la totalité de la production électrique en France est de l’ordre de 500 TWh). Les besoins en matière première sont donc en moyenne de 150 tonnes par réacteur (variable bien entendu selon la puissance du réacteur). Pour le parc français, le besoin est légèrement inférieur car le plutonium fabriqué dans les réacteurs est recyclé sous forme de combustibles dits MOX 4.
Le cycle complet des matières nucléaires est décrit dans le diagramme plus bas.
Il convient ici de signaler deux choses très importantes. Tout d’abord, un constat physique :
les quantités de matière nécessaires pour le nucléaire sont extrêmement faibles lorsqu’elles sont ramenées à la quantité d’énergie générée en kWh : 100 000 fois plus faibles comparativement aux énergies fossiles. Cela se traduit pour la France par un besoin annuel de 8 800 tonnes d’uranium alors que les combustibles fossiles sont importés en dizaines de millions de tonnes (70 millions de tonnes de pétrole, 50 milliards de m3 de gaz, 6 millions de tonnes de charbon). Il est utile de garder ces ordres de grandeurs en tête. L’énergie nucléaire nécessite ainsi une activité extractive considérablement moindre que les énergies fossiles : 10 grammes d’un combustible à l’uranium enrichi peuvent générer dans un réacteur nucléaire autant d’énergie qu’une tonne de pétrole.
Le deuxième point est le coût de ces matières. On a vu précédemment que le prix de l’uranium se négociait autour de 100 $ par kg. Or 1 kg d’uranium naturel peut générer jusqu’à 50 MWh d’énergie électrique. Le prix de la matière première se situe donc autour de 2 $ par MWh. Cela représente de l’ordre de 4 % du coût total de production de l’électricité nucléaire.
Durabilité avec les réacteurs du futur
Les réserves totales d’uranium, y compris les spéculatives, sont estimées autour de 12 millions de tonnes. Au rythme actuel, cela correspond à seulement 200 ans de consommation. Par ailleurs, les prospectives énergétiques mondiales, comme celles de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) [3] prenant en compte le changement climatique, prévoient un doublement de la production électrique d’origine nucléaire à l’horizon 2050. Cette demande accrue aura pour conséquence un renchérissement du prix de la matière première. La technologie actuelle des réacteurs nucléaires n’est donc pas durable sur le long terme.

- URT : uranium de retraitement.
- URE : uranium de recyclage enrichi.
- REP : réacteur à eau pressurisée (au nombre de 57 en France, pour une puissance de 63 GW).
Fort heureusement, il existe une technologie alternative pouvant faire un meilleur usage de la matière première uranium : les réacteurs à neutrons rapides (RNR). Les neutrons du cœur des réacteurs actuels sont thermalisés, c’est-à-dire volontairement ralentis par l’eau.

Vasari illustre sur cette fresque de plafond à Florence un grand thème mythologique gréco-romain : la vengeance de Saturne, fils d’Uranus (dieu du Ciel) et de Tellus (déesse de la Terre). Après avoir été emprisonné à la naissance, Saturne se rebelle en châtrant son père à l’aide d’une faux forgée par sa mère.
En l’absence d’eau, les neutrons rapides peuvent fissionner non seulement l’uranium 235 mais également l’uranium 238. Contrairement à un réacteur à eau pressurisée qui a besoin de 200 tonnes par an d’uranium naturel (à partir duquel on produit de l’uranium enrichi), les besoins d’un réacteur à neutrons rapides sont réduits à 8 tonnes par an et uniquement en uranium appauvri. C’est le plutonium qui fait alors office de combustible fissile et celui-ci peut être recyclé indéfiniment dans un réacteur à neutrons rapides. L’uranium appauvri provient en quelque sorte des résidus de l’opération d’enrichissement (en France, cette opération est réalisée dans les usines Georges Besse de Pierrelatte exploitées par Orano). Or nous disposons déjà sur le territoire français de plus de 324 000 tonnes d’uranium appauvri stocké [4]. Avec un parc composé exclusivement de réacteurs à neutrons rapides, il ne serait plus nécessaire d’extraire de l’uranium naturel et ce, pour des milliers d’années. Qui plus est, les réacteurs à neutrons rapides peuvent également brûler le plutonium et les actinides mineurs 5 produits dans les réacteurs et aujourd’hui non valorisés, et réduire ainsi la durée de stockage des déchets hautement radioactifs. Il y aurait donc plusieurs avantages à développer cette technologie : économie de combustibles et réduction de la quantité de déchets hautement radioactifs. C’est la seule qui permette une soutenabilité du nucléaire sur le long terme.
1 | Agence internationale de l’énergie, “The path to a new era for nuclear energy”, rapport, 2025. Sur iea. org
2 | Nuclear Energy Agency, “Uranium resources, production and demand”, biennial publication. Sur oecd-nea. org
3 | Agence internationale de l’énergie, “World energy outlook”, rapport, 2024. Sur iea. org
4 | Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, « Inventaire national des matières et déchets radioactifs », dossiers de données. Sur inventaire. andra. fr<br/
1 En réalité, un troisième isotope existe en permanence, c’est l’uranium 234 produit dans la chaîne de désintégration par radioactivité de l’uranium 238. Il est également radioactif, mais avec une période nettement plus courte de 245 000 ans. Il est de ce fait en équilibre séculaire avec son noyau père l’uranium 238, et présent à hauteur de 0,0055 % dans l’uranium naturel.
2 Le processus de fission consiste en la cassure du noyau atomique en deux noyaux plus légers ayant des énergies moyennes de liaison plus fortes. L’énergie libérée lors de la fission est la différence de l’énergie de liaison des nucléons.
3 On peut donc calculer qu’il existe plus de 3 kg d’uranium sur 1 m de profondeur et une surface de 1 000 m2.
4 Le MOX est un mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium. Le plutonium, dont en particulier l’isotope 239Pu est fissile, est généré dans les réacteurs par capture neutronique sur l’isotope 238U. Le plutonium possède une grande valeur énergétique. Il est récupéré à partir du combustible usé par séparation chimique dans l’usine de traitement de La Hague. Il est ensuite remélangé à de l’uranium appauvri pour la fabrication du combustible MOX.
5 Les actinides dits mineurs sont l’américium, le neptunium et le curium. Ces éléments formés dans le cœur du réacteur se retrouvent aujourd’hui dans les colis de déchets vitrifiés à La Hague destinés au stockage géologique. Si l’on séparait ces éléments, on pourrait les brûler dans les futurs réacteurs à neutrons rapides.
Publié dans le n° 353 de la revue
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L'auteur
Henri Safa

Physicien au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
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