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Recycler les « cailloux du quotidien » : mission impossible ?

Publié en ligne le 20 octobre 2025 - Environnement et biodiversité -

Dans de nombreux pays, le défi de la consommation pour une part importante de la population ne consiste plus à survivre, mais à résister à l’appel irrésistible des promotions, des influenceurs et du marketing qui nous vendent des objets dont on ne soupçonnait même pas l’existence… jusqu’à hier.

Derrière cette opulence de biens se cache une réalité bien moins glamour : risques de pollution et exploitations inutiles de ressources naturelles végétales, animales et minérales.

Nos sociétés commencent à s’interroger sur la gestion des matières premières, laissant de côté nos modes de consommation. Le recyclage, la valorisation des ressources secondaires et l’écoconception font partie de la réflexion. Parmi les vedettes méconnues de ce tournant vers une économie plus durable figurent les minéraux industriels, ces substances aussi discrètes qu’indispensables que l’on retrouve dans tous les objets du quotidien. Leur exploitation soulève des défis à l’intersection d’un approvisionnement difficile du fait de l’accès contraint au sous-sol et des limites du recyclage.

Au cœur des industries de base et des objets du quotidien

Communément, on distingue quatre catégories de ressources minérales.

Les ressources énergétiques. La production pétrolière de la France représente environ 1 % de sa consommation [1]. Pour la production d’électricité, l’uranium reste la principale ressource énergétique. Il est entièrement importé, la dernière mine d’uranium a fermé en 2001 [2].

Les minerais, source des métaux. Ce sont les minerais desquels seront extraits des métaux tels que le lithium, le tungstène, le cuivre, etc. Il n’y a pas d’extraction en France hexagonale, mais une activité minière ultramarine pour l’or et le nickel. En revanche, le potentiel métallique de la France est important : tungstène, antimoine, zinc, or, etc. (voir le dossier « Minéraux et métaux » de Science et pseudo-sciences n° 352, avril 2025).

Les matériaux de construction. Ils sont classés en deux types : les roches ornementales, comme le marbre ou le granite, et les granulats (fragments de roche de taille inférieure à 125 mm), indispensables au béton et aux routes. En France, 2 700 carrières produisent environ 360 millions de tonnes de granulats chaque année. Cela couvre les besoins en construction et génie civil avec un approvisionnement local, et il n’y a pas d’export [3].

Les minéraux industriels. Ils sont souvent désignés sous le terme de « substances utiles ». Bien que certains noms comme le kaolin, la silice, le talc ou le mica soient relativement connus, leurs usages restent méconnus du grand public. Ces ressources naturelles jouent pourtant un rôle essentiel en tant que matières de base ou complémentaires dans les processus de fabrication de très nombreux secteurs industriels : aéronautique, automobile, défense, plasturgie, chimie, papeterie, industrie verrière, métallurgie, peinture, céramique, environnement (traitement de l’eau et des fumées), pharmacie ou encore agriculture.

Ce sont de ces minéraux industriels qu’il est question par la suite.

Les minéraux industriels

Les minéraux industriels sont des matières naturelles de grande qualité, remarquables pour leurs propriétés physiques et chimiques, difficilement substituables. Ils ne font pas la une des journaux, et pourtant… ils sont absolument partout. Littéralement. Ainsi, vos murs contiennent du talc (dans la peinture), votre tasse à café est un mélange de kaolin, quartz et feldspaths, et l’eau du robinet a été potabilisée avec l’aide précieuse de minéraux (silice, chaux. . . ). Le matin, un réveil qui contient du quartz nous tire du sommeil et nous nous brossons les dents avec du dentifrice enrichi, entre autres, en carbonate de calcium. Dans la journée, nous avons lu des articles imprimés sur un papier fabriqué grâce à eux, mangé du pain produit grâce à des enzymes elles-mêmes produites grâce à la diatomite ou encore regardé par une fenêtre, produit de l’industrie verrière (qui pèse en France quatre milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et emploie 20 000 personnes) [4].

Le Casseur de pierres (détail), John Brett (1831-1902)

Malgré son rôle fondamental dans l’économie, le secteur des minéraux industriels est largement méconnu. Comme le secteur verrier, qui dépend à 70 % de silice (et à 30 % d’autres minéraux selon la formulation des verres), toutes les filières stratégiques, quelles que soient leur nature, ont besoin de ressources pour approvisionner leurs chaînes de production et assurer une indépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Ainsi, la fonderie mobilise de la silice et de la bentonite, génère en France un milliard d’euros de chiffre d’affaires et emploie 6 000 personnes [5]. Ses clients sont les constructeurs automobiles, qui y trouvent une grande partie de leurs composants : pistons, culasses, freins, cadres… Finalement, les pièces moulées ou forgées représentent environ 15 % du poids total d’un véhicule automobile [6] et on les retrouve dans les engins agricoles, la robinetterie, etc.

Autre exemple : la production des enzymes représente un marché européen estimé entre 12 et 14 milliards d’euros. Elle est au cœur de secteurs hautement stratégiques tels que la santé, l’agriculture, l’alimentation, l’environnement ou encore les biocarburants. Là encore, les minéraux industriels sont indispensables : la diatomite joue un rôle clé dans les procédés de production enzymatique, notamment pour la filtration et la purification.

Santé, construction, cosmétique, chimie, traitement de l’eau, agroalimentaire… les minéraux industriels sont omniprésents et sont donc essentiels pour des pans entiers des filières françaises et européennes.

En amont, ces ressources reposent sur un maillage relativement restreint : à peine 180 carrières sur le territoire français (0, 007 % de la surface de l’hexagone). Mais en aval, leur présence est généralisée.

Ajoutons enfin que même la filière de recyclage a besoin de ressources minérales : le talc permet de rendre compatibles des plastiques initialement non miscibles, tandis que la diatomite intervient aussi dans les procédés de recyclage via les enzymes. Autrement dit, même nos déchets ont besoin de minéraux pour espérer une seconde vie.

Corbeille de verres (détail), Sébastien Stoskopff (1597-1657)

Il est important de savoir que la France possède un sous-sol riche (45 minéraux industriels recensés, dont 29 encore exploitables). Mais l’accès à ces ressources se heurte à des difficultés réglementaires, sociales et foncières croissantes. Aires protégées, règles d’urbanisme et absence de reconnaissance locale transforment des gisements stratégiques – comme la diatomite du Cantal – en zones inaccessibles. Résultat : selon Minéraux industriels France, il existe des risques de pénurie d’ici dix à vingt ans (50 % de la production de diatomite menacée en 2030, rupture possible de phonolite en 2042, division par deux des carrières de silice d’ici 2035). Ces minéraux sont pourtant essentiels à des secteurs clés (verre, agroalimentaire, aéronautique…). La notion de Gisement d’intérêt national (GIN) est maintenant incluse dans l’élaboration des schémas régionaux des carrières pour les substances répondant aux critères « de faible disponibilité nationale, de dépendance forte d’une activité répondant aux besoins peu évitables des consommateurs et de la difficulté à leur substituer d’autres sources naturelles ou de synthèse produites en France dans des conditions soutenables » [7]. Le recyclage, bien qu’indispensable, ne pourra pas couvrir à lui seul les besoins futurs.

Recyclage et seconde vie des minéraux industriels

Les minéraux industriels présentent des défis particuliers en matière de recyclage.

Certains procédés industriels nécessitent une très haute pureté chimique du minéral, difficile à garantir avec des matériaux recyclés. Cette exigence limite souvent la possibilité de réutiliser directement ces substances. Par ailleurs, les minéraux sont fréquemment intégrés dans des produits composites, la céramique ou les plastiques techniques, ce qui complique considérablement leur récupération. Enfin, la récupération directe des minéraux en fin de vie, que ce soit par séparation physique ou chimique, présente des contraintes techniques majeures. Ces contraintes incluent la complexité des procédés, une forte dépense énergétique, des impacts environnementaux élevés et des coûts économiques souvent dissuasifs.

Le carbonate de calcium


Le carbonate de calcium est un minéral aux multiples facettes. Sa formule chimique CaCO₃ correspond à une matière première brute largement répandue dans la nature, que l’on retrouve dissoute dans les rivières et les océans. Dans la très grande majorité des cas, ces roches se forment par accumulation et sédimentation, principalement au fond des mers à partir de coquillages ou squelettes de micro-algues et animaux marins. En réalité, il est difficile d’imaginer une vie moderne sans carbonate de calcium : presque tous les produits de notre quotidien en contiennent ou sont associés à ce minéral lors de leur fabrication.

La consommation annuelle de carbonate de calcium dans l’Union européenne est estimée à environ 53 millions de tonnes. Elle se répartit dans différentes utilisations, avec des taux moyens de recyclage variables.

  • Ciment, béton et travaux routiers. Ils représentent 30 % des usages [1]. Le taux de recyclage est de 74 % [2]. Ces produits connaissent souvent une seconde vie en étant réutilisés comme granulats dans d’autres processus de construction.
  • Papier. Ce secteur représente 25 % des usages [1]. Le taux de recyclage était, en 2020, de 73, 9 %. En Europe, les fibres de papier sont recyclées en moyenne 3, 6 fois, ce qui est nettement supérieur à la moyenne mondiale de 2, 4 fois [3].
  • Traitement des gaz de fumée. Il représente 9 % des usages [1]. Le taux de recyclage est estimé à environ 50 % [2]. Le carbonate de calcium est utilisé en quantités importantes comme réactif dans le traitement des gaz de fumée, où 60 à 80 % des gaz précipités contenant du dioxyde de soufre (SO₂) finissent sous forme de gypse, matériau largement réemployé dans le secteur de la construction. Pour calculer le taux de recyclage de ces applications finales, on peut utiliser celui des déchets de construction et de démolition en Europe, estimé à environ 50 %.
  • Plastiques. Ils représentent 7 % des usages [1]. Le taux de recyclage des déchets plastiques dans l’Union européenne en 2019 était de 32, 5 % [4]. Le carbonate de calcium est de loin le minéral le plus utilisé pour le mélange avec les polymères. Les principales applications concernent le PVC plastifié et rigide, les polyesters insaturés, le polypropylène et le polyéthylène. D’autres domaines d’utilisation importants incluent le caoutchouc et les sous-couches de moquettes en latex expansé. La plupart des plastiques sont soit recyclés, soit valorisés pour la production d’énergie. Les films industriels, les bouteilles en PET et les profilés en PVC sont parmi les produits plastiques les plus recyclés.
  • Verre. Il représente 2 % des usages. La principale application du carbonate de calcium est le verre creux destiné à l’emballage, qui représente environ les deux tiers du marché du verre. Ainsi, en tenant compte du fort taux de recyclabilité du verre d’emballage (79 %) [5] et du taux estimé de recyclage du verre plat (26 %) [6], il est raisonnable d’adopter un taux de recyclage moyen de 50 % pour cette application [5].

Les autres usages du carbonate de calcium incluent les peintures, revêtements, adhésifs, mortiers et enduits (7 %), l’agriculture (5 %), les médicaments.

On peut ainsi estimer qu’à l’échelle de l’Union européenne, 57 % de tout le carbonate de calcium utilisé est recyclé. Ce chiffre correspond à une moyenne et des disparités régionales existent [2].

Références
1 | IMA Europe, “Recycling of industrial mineral applications. Contribution to circular economy”septembre 2023. Sur ima-europe. eu
2 | Trinomics, “Emerging challenges of waste management in Europe : limits of recycling”, rapport, 2020. Sur trinomics. eu
3 | Confederation of European Paper Industries, “Monitoring report 2020 : European declaration on paper recycling 2016-2020”, rapport, 2020. Sur cepi. org
4 | Plastics Europe, “Plastics : the facts”, rapport, 2019. Sur plasticseurope. org
5 | The European Container Glass Federation, “Europe’s glass value chain reaches a major milestone at 79 % glass collection for recycling”, 30 juin 2022. Sur feve. org
6 | Glass for Europe, “2050 : flat glass in climate-neutral Europe”, rapport, 2020. Sur glassforeurope. com

Par exemple, dans l’industrie papetière, où des charges minérales comme le talc, le carbonate de calcium ou le kaolin peuvent représenter jusqu’à 50 % de la composition du papier, leur extraction spécifique n’est pas techniquement viable.

Cependant, bien que non recyclables en tant que matières premières distinctes, ces minéraux participent à l’économie circulaire à travers le recyclage des produits qui les contiennent.

Le Chaulage de la vieille maison, Laurits Andersen Ring (1854-1933)

Le recyclage, tel que défini par la directive-cadre sur les déchets de l’Union européenne, englobe « toute opération de valorisation par laquelle les déchets sont retraités en produits, matières ou substances aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins » [8]. L’efficacité du recyclage varie considérablement selon la durée de vie des produits et les pratiques spécifiques à chaque pays européen. Ainsi, même si les minéraux ne sont pas recyclables en eux-mêmes, nombre d’entre eux ont une deuxième, troisième, quatrième vie, voire un nombre infini de vies, grâce au recyclage des applications dans lesquelles ils sont utilisés, contribuant ainsi à l’économie circulaire. En Europe, grâce à ce recyclage, jusqu’à 60 % des minéraux industriels trouvent de nouveaux usages, prémisses d’une économie circulaire en devenir.

Les pistes prometteuses

Face aux défis croissants liés à l’accès aux ressources primaires (mines et carrières), le recyclage des minéraux industriels – ressources dites secondaires – apparaît comme une voie complémentaire. Aujourd’hui, de nombreux travaux de recherche sont engagés pour améliorer la valorisation des déchets des filières utilisant les minéraux industriels. Cela passe par le développement de techniques de tri avancées, telles que le tri optique, magnétique ou encore la flottation sélective, qui permettent de mieux séparer et purifier les matériaux récupérés.

Parallèlement, des pistes sont explorées pour réutiliser certains résidus ou matériaux recyclés dans des applications moins exigeantes en matière de qualité, comme les remblais, la voirie ou certains usages industriels intermédiaires.

Mais le véritable levier réside dans la collaboration avec les filières aval afin d’adapter les spécifications techniques, repenser les usages et faciliter l’intégration de matières recyclées dans les chaînes de production. En ce sens, l’écoconception est aujourd’hui une solution dominante. Le principe est soit d’intégrer dès la conception la possibilité de garantir le recyclage du produit, soit de réduire la quantité de minéraux nécessaires. Ces pistes permettent de développer des composites dont les matériaux sont plus facilement séparables, de favoriser l’utilisation de minéraux secondaires (issus de sous-produits industriels) et d’alléger les produits pour diminuer la quantité de matière.

Par exemple, le verre plat est plus difficile à recycler que le verre d’emballage car il contient des additifs spécifiques, il est souvent contaminé par d’autres matériaux (colles, plastiques, métaux) et n’a pas de filière de tri dédiée. Contrairement au verre d’emballage, standardisé et bien collecté, le verre plat est rarement recyclé en boucle fermée. Dans le verre stratifié de nouvelle génération, les films intercalaires sont conçus pour être dissociés plus facilement en fin de vie (par exemple dans les pare-brise ou vitrages de sécurité).

Dans l’automobile, des pièces comme les panneaux de porte sont éco-conçues en mélangeant un polymère (souvent du polypropylène) avec du carbonate de calcium. Ce composite permet de réduire la quantité de plastique vierge, alléger les pièces et améliorer la recyclabilité en gardant une composition homogène, sans colles ni revêtements complexes. Résultat : un matériau plus durable, moins coûteux et mieux recyclable.

Conclusion

Sur les 180 millions de tonnes produites au niveau européen, pour chaque minéral, en prenant la répartition de la consommation par marché et les taux de recyclage de leurs principales applications, on obtient grâce à ces pratiques jusqu’à 60 % de minéraux industriels « réemployés », contribuant ainsi activement au développement d’une économie circulaire [9]. Cela permet effectivement de préserver une partie des ressources, même s’il est difficile de quantifier précisément le recyclage car il dépend de l’usage du produit concerné et de sa durée de vie (comme une maison, une voiture, un parebrise ou un livre).

Les matières premières primaires et secondaires se complètent, comme c’est le cas pour le mélange de calcin de verre avec du sable siliceux primaire pour produire du verre recyclé. Cette opération est réalisée dans une installation de recyclage.

Toute circularité commence par une matière première. L’apport indispensable des minéraux industriels dans notre quotidien demande une vigilance accrue sur l’accès effectif aux gisements français ou européens. En raison notamment de l’insuffisance actuelle de la combinaison recyclageécoconception pour relever le défi de l’approvisionnement.

Références


1 | Ministère de la Transition écologique, « Ressources en hydrocarbures de la France », 2 avril 2025. Sur ecologue. gouv. fr
2 | Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, « L’exploitation du minerai d’uranium en France métropolitaine : impact environnemental et risque pour la population », dossier, 3 avril 2017. Sur irsn. fr
3 | Bureau de recherches géologiques et minières, « Minéralinfo : portail français des ressources minérales ». Sur brgm. fr
4 | Site de la Fédération des industries du verre. Sur fedeverre. fr
5 | Site de la Fédération Forge Fonderie. Sur forgefonderie. org
6 | Fédération Forge Fonderie, « La forge et la fonderie : marchés et applications », 2016. Sur forgefonderie. org
7 | Légifrance, « Instruction du gouvernement du 4 août 2017 relative à la mise en œuvre des schémas régionaux des carrières ». Sur legifrance. gouv. fr
8 | Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008relative aux déchets et abrogeant certaines directives. Sur eur-lex. europa. eu
9 | Industrial Minerals Europe, “Recycling of industrial mineral applications : contribution to circular economy”, rapport, septembre 2023. Sur ima-europe. eu