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Un organisme artificiel pour étudier la division cellulaire

Publié en ligne le 25 janvier 2022 - Information scientifique -

Quel est le point commun entre une cellule humaine et une cellule de la bactérie Escherichia coli (E. coli) ? Malgré leurs différences, les deux partagent une propriété définissant le principe biologique de la vie : elles sont capables de générer une copie exacte de leur génome et le transmettre à deux cellules « filles » lors d’un procédé appelé division cellulaire. Les cellules filles reproduiront ensuite le processus, engendrant de nouvelles cellules filles identiques, elles-mêmes capables de division cellulaire. L’étude de la division cellulaire est liée de façon inhérente à la compréhension de la vie. Pendant la division, un éventail complexe de protéines et molécules comme les acides ribonucléiques (ARN) – que l’on nommera « agents » – sont mobilisées de concert dans un élégant ballet moléculaire. La division cellulaire est différente selon qu’il s’agit d’une bactérie ou d’une cellule humaine. Néanmoins, comprendre les mécanismes de division chez l’une peut renseigner sur l’autre. Rappelons que chaque agent présent dans une cellule est le résultat du décodage du gène qui lui est associé sur le génome de cette même cellule. Ainsi, comprendre la division cellulaire passe nécessairement par l’identification de gènes jouant un rôle pendant ce processus.

L’étude d’un gène et de l’agent qui lui est associé implique l’emploi de nombreuses méthodes allant de la microscopie à la spectrométrie de masse et la manipulation génétique. Une cellule est un environnement complexe qui ne facilite pas l’étude de gènes précis, surtout pour des processus biologiques complexes : il est estimé que plus de 600 gènes sont impliqués dans la division d’une cellule humaine [1]. Le génome humain contient plus de 20 000 gènes et celui d’E. coli plus de 5 000, dont nombre sont utilisés à tout temps pendant la vie cellulaire sans être impliqués directement dans la division. Figurez-vous l’intérieur d’une cellule comme un gigantesque lac gorgé de poissons de plusieurs espèces différentes au milieu desquels évolue un unique poisson étant l’agent à étudier. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin !

Dans ce contexte, une bactérie nommée Mycoplasma mycoides (M. mycoides) fut mise en lumière en 2007 [2]. Pour cause, le génome de M. mycoides ne compte qu’un peu plus de 900 gènes ! Dans une cellule humaine, de nombreux agents sont utilisés pour synthétiser des molécules, comme des vitamines, essentielles au métabolisme et à la survie cellulaire. Les mycoplasmes sont des parasites. Au lieu de synthétiser eux-mêmes des molécules essentielles, ils les récupèrent auprès de leur hôte. Ainsi, les mycoplasmes peuvent se passer de nombreux agents et de leurs gènes respectifs pour survivre et se diviser. Le génome de M. mycoides est donc dépourvu de nombreux gènes dont la bactérie n’a pas nécessité. En apparence, la relative simplicité d’une cellule de M. mycoides semble donc en faire un modèle de choix pour étudier la division cellulaire. En 2016, une équipe américaine de l’institut Craig Venter démontra que près de la moitié des gènes sur le génome de M. mycoides ne sont pas essentiels pour sa division cellulaire [3]. L’équipe s’interrogea donc sur la possibilité de simplifier encore plus le génome de M. mycoides, afin que celui-ci ne comporte que des gènes jouant un rôle pendant la division cellulaire.

JuSun/iStock

Pour ce faire, les chercheurs eurent recours à la synthèse chimique d’ADN. Le génome de M. mycoides fut entièrement synthétisé en omettant tout gène estimé comme non essentiel à la division cellulaire. Restèrent ainsi, sur la molécule d’ADN artificielle, un total de 473 gènes. Le génome dit « minimal » fut ensuite greffé à une cellule dépourvue de génome. Techniquement, cela revient à installer un moteur sur un châssis de véhicule vide. L’organisme artificiel, baptisé JCVI-syn3.0, est actuellement l’organisme avec le génome comportant le moins de gènes et capable de division cellulaire autonome : un modèle de simplicité. Fait surprenant, parmi les 473 gènes de ce nouvel organisme, encore 149 ont une fonction inconnue pendant la division ! On est loin d’un organisme performant : trois heures sont nécessaires à une cellule pour qu’elle transmette son génome, et il ne peut être cultivé que dans un milieu complexe avec de nombreux nutriments. À titre de comparaison, une cellule de M. mycoides et une cellule d’E. coli peuvent se diviser respectivement toutes les quatre-vingts minutes et toutes les vingt minutes.

Récemment, une étude d’une autre équipe de l’institut Craig Venter [4] s’est intéressée à une propriété physique défaillante de JCVI-syn3.0 : la bactérie artificielle est dite « pléomorphique ». Cela signifie que dans une population composée uniquement de cet organisme, chaque cellule a une forme différente. En comparaison, une population de M. mycoides est composée de cellules ayant toutes la même forme. Ainsi, JCVI-syn3.0, bien que capable de division, accomplit ce processus de façon incomplète, donnant naissance à deux cellules filles de tailles et formes différentes. De cette observation découla l’hypothèse qu’il manquait au génome minimal synthétisé un ensemble de gènes assurant une division cellulaire normale, et que ces gènes devaient être présents sur le génome de M. mycoides. En comparant les deux génomes, l’équipe a trouvé sept gènes, qui une fois incorporés au génome minimal de JCVI-syn3.0, abolissaient le pléomorphisme. Les chercheurs notèrent également qu’il n’était aboli qu’avec l’intégration sine qua non des sept gènes, montrant que ceux-ci travaillent de concert pour garantir une division cellulaire normale. Or la fonction de cinq de ces gènes était inconnue chez M. mycoides. Cette étude a donc permis d’attribuer une fonction à un ensemble de gènes auparavant non caractérisés dans le cadre de la division cellulaire de M. mycoides. L’étude ne s’est cependant pas intéressée au rôle individuel de chaque gène.

L’utilisation de cellules artificielles au génome minimal semble être une approche prometteuse pour élucider de nombreux phénomènes biologiques, comme celui de la division cellulaire. D’autres approches sont également envisageables, comme l’utilisation d’outils tels que CRISPRi [5].

Références


1 | Neumann B et al., “Phenotypic profiling of the human genome by time-lapse microscopy reveals cell division genes”, Nature, 2010, 464 :721-7.
2 | Lartigue C et al., “Genome transplantation in bacteria : changing one species to another”, Science, 2007, 317 :632-8.
3 | Hutchison CA et al., “Design and synthesis of a minimal bacterial genome”, Science, 2016, 351 :aad6253.
4 | Pelletier JF et al., “Genetic requirements for cell division in a genomically minimal cell”, Cell, 2021, 184 :2430-40.e16.
5 | Lubrano P, « Désactiver CRISPR-Cas9 pour étudier la fonction des gènes : la méthode CRISPRi », Science et pseudo-sciences n° 336, avril 2021.

Publié dans le n° 337 de la revue


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L' auteur

Paul Lubrano

Membre de l’Association française de biologie de synthèse (afbs.fr) et étudiant en thèse à l’université de Tubingue.

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