Les éoliennes et la santé
Publié en ligne le 6 novembre 2025 - Technologie -
Fin 2023, la France métropolitaine comptait 9 500 éoliennes regroupées dans 2 391 parcs [1]. Les installations se poursuivent régulièrement. La hauteur du mât d’une éolienne peut dépasser 100 mètres et les pales peuvent atteindre 60 mètres de long [2]. Elles font l’objet de nombreuses contestations où sont souvent mis en avant des aspects sanitaires.
Les riverains
Les principales nuisances dont se plaignent les riverains sont relatives au bruit et à l’impact visuel. La réglementation française encadrant l’installation d’éoliennes impose un éloignement de plus de 500 mètres des zones d’habitation. Au niveau européen, les réglementations sont variables d’un pays à l’autre, allant de 400 mètres (Wallonie en Belgique) à 2 000 mètres (Écosse) [3]. En France, pour des installations d’une hauteur supérieure à 50 mètres, une enquête, une consultation publique et une étude d’impact doivent être réalisées [4].
En ce qui concerne les effets sanitaires des nuisances sonores des éoliennes, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en mars 2017 les résultats de son évaluation [5]. Elle constate le « faible nombre d’études scientifiques » sur le sujet mais note que « l’examen de ces données expérimentales et épidémiologiques ne mettent pas en évidence d’argument scientifique suffisant en faveur de l’existence d’effets sanitaires liés aux expositions au bruit des éoliennes, autres que la gêne liée au bruit audible ». En outre, sur la base d’une campagne de mesure que l’agence a réalisée, elle ne constate « aucun dépassement des seuils d’audibilité dans les domaines des infrasons et basses fréquences sonores (< 50 Hz) ». Le rapport met en avant « un effet nocebo qui peut contribuer à expliquer l’existence de symptômes liés au stress ressentis par des riverains de parcs éoliens ».
Constatant l’existence chez certains animaux d’effets physiologiques (effets sur l’oreille interne – système cochléo-vestibulaire) induits par l’exposition à des infrasons de forts niveaux, l’Anses précise que « ces effets, bien que plausibles chez l’être humain, restent à démontrer pour des expositions à des niveaux comparables à ceux observés chez les riverains de parcs éoliens ».
En conclusion, tout en recommandant de poursuivre les études, l’Anses n’identifie pas de risque sanitaire et estime qu’il n’y a pas lieu de modifier les valeurs limites existantes, ni d’étendre le spectre sonore actuellement considéré.
De son côté, l’Académie nationale de médecine, dans un rapport publié la même année, arrive à des conclusions similaires et souligne que « si l’éolien terrestre ne semble pas induire directement des pathologies organiques, il affecte, au travers de ses nuisances sonores et surtout visuelles, la qualité de vie d’une partie des riverains et donc leur “état de complet bien-être physique, mental et social”, lequel définit aujourd’hui le concept de santé » [6]. Différents éléments interviennent aussi en marge des facteurs sonores et visuels objectivables : contexte social, financier, politique, mais également communicationnel, où « la crainte de la nuisance sonore serait plus pathogène que la nuisance elle-même ».
Des contentieux sont portés devant les tribunaux. Ainsi, la cour administrative d’appel de Nantes décidait en février 2022 l’annulation de l’autorisation d’exploiter un parc éolien déjà̀ construit dans le Morbihan en raison d’un « impact visuel fort [. . . ] portant atteinte au caractère des lieux avoisinants et aux paysages naturels » [7].
S’il n’y a donc pas de risques sanitaires directs identifiés à ce jour, l’installation d’un parc éolien est de nature à altérer la qualité́ de vie, comme le ferait toute installation industrielle.
Les collisions d’animaux avec les éoliennes
Un autre sujet de controverse est celui de la mortalité d’animaux par collision. Elle concerne particulièrement les rapaces et les chiroptères (chauve-souris) [8, 9].
Bruno Liljefors (1860-1939)
Le nombre d’oiseaux ainsi tués serait compris entre 0,3 et 18,3 par éolienne et par an selon les caractéristiques des parcs [10]. Toutefois, les éoliennes n’apparaissent pas comme une cause majeure de mortalité des oiseaux du fait des activités humaines. La principale menace reste les chats domestiques en liberté, responsables de la mort de près de 72 % des oiseaux selon une compilation d’études menée aux États-Unis par l’agence fédérale chargée de la conservation, de la gestion et de la protection de la faune et des habitats naturels [11]. Viennent ensuite les collisions avec le vitrage d’un bâtiment (18 %), les collisions avec un véhicule (6 %), l’empoisonnement (2 %), les lignes électriques (1 %). Les éoliennes arrivent loin derrière. Toutefois, il s’agit là de mortalité directe. La mortalité indirecte liée à la perturbation des habitats est mal évaluée.
Certaines espèces menacées sont particulièrement affectées. Depuis plus d’une quinzaine d’années, il existe un partenariat entre la Ligue de protection des oiseaux (LPO), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le ministère de l’Écologie et les représentants de la filière éolienne autour d’un « Programme éolien et biodiversité » visant à limiter les impacts potentiels et préserver la biodiversité [12]. Par ailleurs, un document de synthèse propose des mesures d’atténuation par la sélection des dispositifs de réduction des risques de collision (asservissement des éoliennes pendant les périodes de risque, détecteurs en temps réel, dissuasion acoustique ou visuelle, etc. ) [9].
L’exploitation d’un parc éolien relève de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement. Lorsque l’installation comprend uniquement des aérogénérateurs d’une hauteur comprise entre 12 et 50 mètres pour une puissance installée inférieure à 20 MW, une simple déclaration suffit. Dans le cas contraire, une autorisation doit être accordée [13]. Un protocole de suivi environnemental impose aux exploitants des parcs éoliens terrestres la mise en place d’un dispositif permettant notamment d’estimer la mortalité de l’avifaune et des chiroptères due à la présence des aérogénérateurs [14]. Par ailleurs, « dès lors que le fonctionnement du parc éolien conduit à atteindre au bon état de conservation d’une espèce protégée », une dérogation spécifique doit être obtenue [13]. Selon les représentants de l’industrie des énergies renouvelables électriques en France, il faut compter en moyenne de 7 à 10 ans entre la conception d’un projet de parc éolien et sa mise en exploitation [15].
C’est dans ce contexte réglementaire que, le 7 avril 2025, le tribunal correctionnel de Montpellier a ordonné l’arrêt pendant quatre mois des 31 éoliennes du parc d’Aumelas dans l’Hérault jugées responsables de la mort de 160 oiseaux d’espèces protégées, et condamné pénalement la société EDF Renouvelables, exploitant des installations (société qui a fait appel). Il lui est reproché de ne pas avoir déposé la demande de dérogation [16]. Quelques jours plus tard, le même tribunal a ordonné l’arrêt d’un autre parc éolien exploité par la société Énergie renouvelable du Languedoc (ERL) suite au décès d’un aigle royal en 2023, espèce protégée. Les responsables de la société ont également été condamnés pénalement. Dans ce cas, l’Office français de la biodiversité avait mis en évidence un « dysfonctionnement du système de détection des oiseaux » qui a conduit à la collision de l’oiseau sur les pales [17].
Les élevages
Les impacts potentiels de la présence d’éoliennes à proximité d’un élevage font également l’objet de controverses. Le parc éolien des Quatre Seigneurs situé en Loire-Atlantique est emblématique de ce sujet (voir article suivant). Composé de huit éoliennes, il a été construit en 2012. Peu après sa mise en service, deux éleveurs de bovins laitiers voisins ont signalé des problèmes sanitaires chez leurs animaux, notamment une diminution de la production et de la qualité du lait, des troubles du comportement et une augmentation de la mortalité. Ils ont attribué ces troubles à la proximité des éoliennes.
La controverse s’est développée sur plusieurs années. La géobiologie, une pseudo-science héritée des sourciers qui prétendaient pouvoir détecter de l’eau souterraine au moyen d’une baguette ou d’un pendule, a étrangement trouvé place dans certaines expertises (voir l’article séparé sur ce sujet). Réexaminant l’ensemble des données, l’Anses a rendu un avis en décembre 2021 [18] concluant que « l’attribution des troubles aux éoliennes est hautement improbable ». Plus précisément : « Concernant la situation des deux élevages, pour les mammites, la diminution de la quantité́ et de la qualité́ du lait, les troubles de la reproduction et la mortalité́, le rapport d’expertise conclut que quel que soit l’agent physique considéré́, la chronologie des troubles est incompatible avec les périodes de construction et de mise en service du parc éolien. Pour les autres troubles, les niveaux d’exposition à la plupart des agents physiques sont faibles et ne diffèrent pas de ceux rencontrés habituellement dans un élevage. Les experts ont cependant constaté un niveau d’exposition aux courants parasites inhabituel dans les bâtiments des deux élevages, qu’ils estiment probablement dus à leurs installations électriques. De plus, d’autres causes non étudiées pourraient être à l’origine des troubles rencontrés, comme des maladies, des pratiques d’élevage, etc. »
Ainsi, sur le cas emblématique de Loire-Atlantique, aucun impact des éoliennes sur la santé des élevages n’a été mis en évidence. L’Anses précise toutefois qu’il n’est pas possible d’extrapoler ces résultats pour statuer sur l’impact potentiel des éoliennes sur la santé et le bienêtre des animaux d’élevage en général sans la réalisation d’études rigoureuses.
Conclusion
Toute installation industrielle à proximité d’habitations suscite des réactions négatives du voisinage. Ces attitudes sont souvent désignées par l’expression « phénomène Nimby », acronyme de « not in my backyard » que l’on peut traduire par « pas dans mon jardin ». Cette opposition exprime la contradiction entre l’intérêt collectif qui peut être compris et l’impact sur sa situation personnelle qui n’est pas acceptée : pourquoi devrais-je supporter les externalités négatives d’un projet d’intérêt collectif ? Cela concerne de nombreuses installations : infrastructures énergétiques, transports, équipements collectifs, traitement des déchets, extraction de matériaux, etc. Dans les controverses qui s’ensuivent, il est parfois difficile de faire la part des choses entre des arguments particuliers, liés à la situation locale pour les riverains, des arguments généraux liés aux installations elles-mêmes, et des arguments relatifs au bien-fondé même des projets envisagés.
Les projets d’éoliennes incarnent l’imbrication de l’ensemble de ces dimensions : quels sont les impacts réels de ces installations ? quelles sont les mesures qui peuvent être envisagées ? le développement massif de l’énergie éolienne est-il un élément nécessaire ou indispensable à la transition énergétique ? La science ne dicte pas la réponse, elle permet simplement d’éclairer une partie du débat.
1 | Connaissance des énergies, « Parc éolien français », fiche pédagogique, 9 janvier 2025. Sur connaissancedesenergies. org
2 | Connaissance des énergies, « Quels sont les constituants d’une éolienne et comment ça fonctionne ? », 9 août 2024.
3 | European Commission, “Wind potentials for EU and neighbouring countries : input datasets for the JRC-EU-TIMES Model”, Rapport Technique, JRC Publications Repository, 2018.
4 | Vie publique, « L’éolien : état des lieux et axes de développement à l’heure de la transition énergétique », 23 mars 2022. Sur vie-publique. fr
5 | Anses, « Évaluation des effets sanitaires des basses fréquences sonores et infrasons dus aux parcs éoliens », Rapport d’expertise collective, 2017. Sur anses. fr
6 | Tran-Ba-Huy P, « Nuisances sanitaires des éoliennes terrestres », rapport, Académie de médecine, 2017.
7 | Cour administrative d’appel de Nantes, 5e chambre, 15/02/2022, 20NT03738, Inédit au recueil Lebon. Sur legifrance. gouv. fr
8 | Thaxter CB et al. , “Bird and bat species’ global vulnerability to collision mortality at wind farms revealed through a traitbased assessment”, Proceedings of the Royal Society Biological Sciences, 2017, 284 : 20170829.
9 | Gaultier SP et al. , « Éoliennes et biodiversité : synthèse des connaissances sur les impacts et les moyens de les atténuer », Office national de la chasse et de la faune sauvage, LPO, 2019. Sur eolien-biodiversite. com
10 | Marx G, « Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune : étude des suivis de mortalité réalisés en France de 1997 à 2015 », Actes du séminaire Éolien et Biodiversité, 2017, 30-6. Sur eolien-biodiversite. com
11 | US Fish & Wildlife Service, “Threats to birds”, 2017. Sur fws. gov
12 | Agence de la transition écologique, « Développer la production des énergies renouvelables tout en préservant la biodiversité, le challenge de la recherche », Ademe recherche, décembre 2024. Sur infos. ademe. fr
13 | Ministère de la Transition écologique, « Éolien terrestre », 17 avril 2025. Sur ecologie. gouv. fr
14 | Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, « Protocole de suivi environnemental des parcs éoliens », 4 juillet 2019. Sur pays-de-la-loire. developpement-durable. gouv. fr
15 | Info éolien, « Comment se décide et se construit un parc éolien ? », 2024. Sur info-eolien. fr
16 | France Nature Environnement Occitanie-Méditerranée, « Première condamnation pénale d’un exploitant d’éoliennes pour destruction d’espèces protégées », communiqué, 8 avril 2025. Sur fne-ocmed. fr
17 | « Après la mort d’un aigle royal, la justice ordonne l’arrêt d’un parc éolien dans l’Hérault », Ouest France, 9 avril 2025.
18 | Anses, « Troubles dans deux élevages bovins : le lien avec les éoliennes est hautement improbable », 16 décembre 2021.
Publié dans le n° 353 de la revue
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Les auteurs
Jeanne Brugère-Picoux
Jeanne Brugère-Picoux est professeure honoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, agrégée de pathologie (…)
Plus d'informationsJean-Paul Krivine
Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
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