La dissuasion
Publié en ligne le 23 mai 2025 - Esprit critique et zététique -
La dissuasion est un mécanisme psychologique inhérent aux relations humaines : il s’agit de décourager un individu ou un État de commettre un acte, soit en le persuadant qu’il n’y parviendra pas, soit – c’est la forme la plus courante – en lui promettant un châtiment d’une valeur supérieure au bénéfice qu’il pourrait tirer de son action.
Pour dissuader, il faut persuader l’attaquant que l’on est déterminé à répondre à son acte, mais aussi que l’on a la capacité effective de riposter. En paraphrasant ce que disait Oscar Wilde à propos de la beauté, on peut dire que la dissuasion se situe dans le regard de l’autre… La dissuasion ne se « décrète » pas. Il faut enfin que la « ligne rouge » ne soit pas trop claire, faute de quoi l’attaquant saurait qu’il a les mains libres jusqu’au seuil de la riposte… Bref, une dissuasion efficace exige un subtil dosage entre clarté et ambiguïté. On peut aussi établir une gradation de punitions en fonction de la transgression possible.
La dissuasion s’applique dans le domaine militaire, mais c’est surtout l’avènement des armes nucléaires en 1945 qui lui a donné la place stratégique qu’elle occupe aujourd’hui : pour la première fois dans l’Histoire, il est en effet devenu possible de détruire des villes entières en quelques minutes. Cette dissuasion-là ajoute à l’ampleur des conséquences une part d’irrationnel, la peur de l’atome et des radiations. La dissuasion nucléaire a presque certainement joué un rôle clé pour empêcher une troisième guerre mondiale, et encore aujourd’hui limite les risques d’un affrontement militaire à très grande échelle entre États protégés par l’arme atomique. Il existe sinon un « tabou », du moins une « tradition de non-emploi » des armes nucléaires, qui a été solide jusque-là, même dans des pays tels que la Russie, la Corée du Nord ou le Pakistan. Dans le même temps, la dissuasion nucléaire confère une certaine liberté d’action aux États qui sont dotés de cette arme – ils sont neuf aujourd’hui – pour le meilleur ou pour le pire.
On peut parler d’équilibre de dissuasion lorsque deux acteurs ont chacun la volonté et les moyens de s’en prendre à l’autre en cas d’agression. Cela peut favoriser la coexistence, même si celle-ci ne sera pas toujours pacifique : l’un et l’autre des acteurs pourront chercher à « tester » l’autre, ou à « contourner » sa dissuasion. Toutefois, la stabilité est plus difficile à assurer dès lors que plusieurs acteurs indépendants sont en possession de l’arme atomique, ce qui est le cas aujourd’hui.
Publié dans le n° 351 de la revue
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L'auteur
Bruno Tertrais

Directeur adjoint à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
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