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La transition énergétique dans le secteur des transports

Publié en ligne le 11 novembre 2019 - Environnement et biodiversité -
© Harry Kasyanov | Dreamstime.com

Le secteur des transports est, à lui seul, responsable de 14 % de l’ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre [1] et de 27 % des émissions liées à la combustion de carburants au niveau européen (premier facteur devant la production d’électricité et de chaleur) [2]. Ainsi, le développement de « mobilités propres » est devenu une tendance de fond alimentant aussi bien les discours et les actions de nombre d’acteurs institutionnels que les stratégies des acteurs industriels. La perspective d’une décarbonation massive du secteur des transports, appuyée par la montée des préoccupations relatives à la lutte contre la pollution atmosphérique, pourrait avoir à un horizon plus ou moins rapproché un effet important sur le mix énergétique mondial et français.

L’écrasante domination du pétrole

Le secteur des transports est particulièrement dépendant du pétrole 1. Son mix énergétique est à ce jour composé à plus de 90 % de produits pétroliers (voir encadré). Par ailleurs, les transports pèsent pour près de la moitié de la consommation de pétrole dans le monde avec une croissance ininterrompue depuis les années 80, faisant du secteur des transports un enjeu stratégique majeur pour les industriels du pétrole.

L’énergie dans les transports en chiffres

Le mix énergétique du domaine des transports

Au niveau mondial et en 2012, le pétrole fournissait près de 92 % de la consommation d’énergie du secteur des transports (source AIE). Le profil est très similaire en France (92 % de produits pétroliers), avec une part légèrement plus importante des biocarburants et de l’électricité (respectivement 6 % et 2 % du mix total). Le gaz naturel est principalement composé de méthane (CH4). Il est appelé gaz naturel véhicule (GNV) quand il est utilisé pour les transports. Il peut être stocké dans les réservoirs des véhicules sous forme comprimée (GNC) ou liquéfiée (GNL).

Les émissions de dioxyde de carbone

Un sous-secteur apparaît comme contribuant particulièrement à cette situation : le transport par route (74 % des émissions de CO2 tous secteurs de transport confondus).Émissions de dioxyde de carbone au niveau mondial, par sous-secteur des transports en 2018 (source : Agence internationale de l’énergie, iea.org/tcep/transport/)


Un changement radical de contexte

Le rapport à la mobilité des personnes évolue. Sur les très courtes et les longues distances, il existe aujourd’hui un large choix. Ainsi, dans les zones urbaines, denses, les évolutions des offres de transport se sont principalement traduites par des efforts visant à réduire la place de la voiture individuelle au profit des mobilités « douces » (peu ou pas émettrices de CO2) ou des transports en commun. Sur les longues distances (quelques centaines de kilomètres), le développement d’alternatives au déplacement individuel a également été important ces dernières années (train, avion, voire désormais autocar). Mais c’est sur les distances intermédiaires (classiquement entre le domicile et le lieu de travail) que l’offre pêche le plus et la voiture reste, pour la plupart des personnes, le seul mode de transport envisageable.

La montée des préoccupations environnementales joue un rôle majeur : elle s’appuie sur une mobilisation croissante des opinions publiques et une évolution sensible des mentalités qui lui confèrent une légitimité politique. Au-delà des préoccupations concernant le changement climatique, la prise de conscience des effets néfastes sur la santé des émissions de polluants atmosphériques (oxydes d’azote notés NOx et particules fines en particulier) contribue à mettre sous pression le secteur des transports, en particulier celui des véhicules à moteurs thermiques. Le « dieselgate », crise intervenue en 2015 suite à la découverte de pratiques frauduleuses de certains constructeurs de véhicules, a été à cet égard particulièrement important.

Le véhicule individuel en plein bouleversement

Ainsi se dessine un paysage changeant, avec une remise en cause à un rythme accéléré de l’usage des véhicules fonctionnant avec des moteurs thermiques, favorisé par les progrès technologiques, réels ou annoncés, comme par exemple les batteries dont les coûts ont fortement baissé ces dernières années. On assiste aussi à une amélioration de l’efficacité énergétique des voitures (aérodynamisme, pneus, rendement des moteurs…). Ainsi, alors que, en France, la consommation moyenne des véhicules neufs à moteur thermique est aujourd’hui d’environ 4,6 litres aux 100 km [3] (elle est de 7,6 litres à l’échelle mondiale selon l’Agence internationale de l’énergie), une combinaison de progrès pourrait, à terme, permettre de diminuer leur consommation à 2 litres aux 100 km. Parmi ces progrès, on retiendra notamment l’amélioration de l’aérodynamisme, la réduction du poids et des frottements, ainsi que l’ensemble des gains liés à l’hybridation, notamment au démarrage.

Les biocarburants (éthanol et biodiesel) représentent une alternative en termes d’émissions de CO2 aux carburants conventionnels.

Toutefois, leur déploiement s’est heurté à des problèmes de coût (le surcoût de production d’environ 25 % est compensé par une fiscalité adaptée). Par ailleurs, des réglementations strictes ont été mises en place pour éviter une concurrence entre usages alimentaires et non alimentaires des productions agricoles. De nouvelles technologies, biocarburants de deuxième génération, sont en cours de développement, basées sur des ressources non alimentaires (par exemple, les déchets de bois).

De nombreuses incertitudes

Il est délicat de prédire ce que seront les comportements individuels en matière de services alternatifs (mobilités dites « douces »). Par ailleurs, de nombreuses expérimentations de flottes de véhicules mis en partage sont en cours et pourraient contribuer à une réduction de la place des véhicules dans les villes [4].

L’inertie du système énergétique ne doit pas être négligée dans l’analyse. L’horizon de transformation du système est souvent considéré comme celui de la durée de vie du mode de transports : trente ans en ce qui concerne un navire, plus encore pour un avion. En matière de transport routier, le temps de renouvellement du parc de la voiture particulière est de l’ordre de quinze ans, celui des véhicules lourds plutôt entre sept et dix ans. Ce constat appuie l’intérêt des dispositifs d’incitation, type « prime à la casse ».

Le transport de marchandises : gaz et biocarburants

© Productions Philippe Rossignol

Le fret maritime

Le transport maritime (principalement de marchandises, mais également de passagers) croît avec les échanges internationaux : il est source à la fois d’émission de gaz à effet de serre (31 % des émissions dues au transport), mais aussi de pollution au soufre dont la teneur est élevée dans les carburants utilisés dans ce secteur. La prise de conscience du besoin de limiter les émissions polluantes des navires a conduit, fin 2013, à l’adoption au niveau européen de la « directive soufre » qui fixe une teneur maximale de 0,5 % pour les carburants marins dès le 1er janvier 2020 sur l’ensemble du littoral des pays européens. Pour atteindre cet objectif, couplé à la volonté de réduction des émissions de gaz à effet de serre, trois options s’offrent aux armateurs : le maintien du système existant avec l’installation sur les bateaux de dispositifs (scrubbers) permettant de réduire les émissions soufrées, le choix d’un carburant liquide désulfuré ou le gaz. Toutefois le gaz naturel liquéfié se développe (par exemple, CMA CGM, le numéro trois mondial du transport maritime, a choisi la propulsion au GNL pour la moitié de ses dix dernières commandes de cargos [5]) et apparaît progressivement comme une solution efficace de dépollution du secteur (les émissions gazeuses de dioxyde de carbone sont inférieures à celles du fioul lourd et, par ailleurs, il n’y a pas d’émission de dioxyde de soufre). Il est disponible d’ores et déjà dans de nombreux ports.

Le fret routier

Le transport routier de marchandises, largement diésélisé à ce jour, est un secteur stratégique en matière de décarbonation et de lutte contre la pollution atmosphérique. À cet égard, le gaz naturel représente un carburant alternatif prometteur, notamment en raison de son niveau de maturité : il est aisément disponible, les constructeurs automobiles maîtrisent la technologie, et le réseau gazier ainsi que les infrastructures de distribution sont là. Il permet de réduire les émissions de polluants atmosphériques (NOx, dioxyde de soufre SO2, particules fines, notamment PM2,5). De plus, ses rejets en gaz à effet de serre sont inférieurs d’environ 30 % à ceux des produits pétroliers.

Il existe par ailleurs une offre à ce jour limitée de gaz naturel pour véhicules produit à partir de déchets agricoles (bioGNV). La logistique d’avitaillement se structure progressivement, en parallèle, à la fois sous la forme de stations publiques, ouvertes à tous, mais également pour l’avitaillement de flottes privées d’entreprises. Les opérateurs gaziers (GRDF, GRTGaz, Terega et SPEG) estiment que la part de marché à horizon 2035 atteindra environ 70 % pour les bus et 25 % pour les camions (voir par exemple [6]).

Le transport aérien

La décarbonation du secteur du transport aérien (fret et passagers) apparaît particulièrement problématique en raison du peu d’alternatives technologiques. Dans son ensemble, le secteur s’est fixé l’ambition de parvenir, en 2050, à diviser par deux ses émissions par rapport au niveau de 2005 [7]. En termes de carburant, pour y parvenir, la seule piste réellement sérieuse à ce jour est celle des biocarburants liquides. Toutefois, à elle seule, elle ne réalisera que la moitié des gains escomptés et des progrès importants devront également être réalisés notamment en limitant le poids des appareils.

L’électricité pour le transport automobile des personnes

Le véhicule électrique pour les courtes distances

Les véhicules électriques peuvent être de trois types : les véhicules hybrides (première génération de véhicules électrifiés qui disposent d’une motorisation électrique et d’une motorisation thermique permettant par exemple de recharger les batteries au freinage), les véhicules hybrides rechargeables (qui disposent en outre d’un système de charge par raccordement) et les véhicules 100 % électriques qui ne disposent plus de moteur thermique. La part que prendra progressivement chacune de ces technologies reste à identifier et conditionne très largement les évolutions futures du système électrique. Elle devrait largement dépendre du prix à l’achat des véhicules.

En France, en 2017, près de 120 000 véhicules électriques et hydrides rechargeables étaient en circulation. Les scénarios de l’industrie automobile (Plateforme automobile) [8] à l’échéance 2035 et au niveau mondial estiment les parts de marché (ventes de véhicules) à 60 % pour l’essence, 7 % pour le diesel, 9 % pour l’hybride ou l’hybride rechargeable et 13 % pour l’électrique. Au niveau européen, la part des véhicules tout électrique serait plus forte : 59 % pour l’essence, 10 % pour le diesel, 9 % pour l’hybride ou l’hybride rechargeable et 19 % pour l’électrique. Les scénarios pour la France, proposés par des opérateurs des réseaux électriques, varient entre un minimum de véhicules électriques en circulation de trois millions en 2035, jusqu’à quinze millions pour les scénarios les plus optimistes [9] (voir tableau la répartition attendue).

Pour accompagner le développement du véhicule électrique, l’ensemble des questions relatives aux infrastructures de distribution et à l’impact de ce développement sur la demande en électricité et ses conséquences sur les réseaux doivent être appréhendées.

L’infrastructure de recharge

Fin 2017, 171 900 points de charges étaient installés en France (soit près de 35 points pour 100 000 habitants), dont 13 % accessibles au public, 37 % chez les particuliers et 50 % en entreprise [10]. La recharge à domicile devrait jouer un rôle majeur dans l’usage quotidien du véhicule (pour les courts trajets), la recharge sur le lieu de travail interviendra principalement en complément. L’ensemble des autres modes de recharge situés dans le domaine public ne seront utilisés que plus exceptionnellement, pour des trajets de plus longue distance essentiellement. Le développement de ces bornes de recharge, publiques comme privées, soulève encore de nombreuses difficultés non résolues (compatibilité des dispositifs et des infrastructures, fiabilité des dispositifs, des véhicules, des connexions Internet des bornes pour l’échange des données).

L’énergie électrique consommée

Prévision des ventes de véhicules légers neufs en France
(source : Plateforme de la filière automobile)

On estime qu’un million de véhicules électriques engendrent une consommation annuelle de 2 TWh, à rapporter aux 480 TWh de consommation totale d’électricité en France aujourd’hui. D’après RTE, si la baisse de la demande d’électricité dans la plupart des autres secteurs de consommation annoncée dans ses scénarios pour le futur se vérifie, la gestion de la demande induite par le développement du véhicule électrique serait tout à fait absorbable. Et seul un scénario « maximaliste », à quinze millions de véhicules électriques (35 TWh par an), conduirait à un regain de consommation totale d’électricité, à un niveau qui resterait toutefois, en 2035, comparable au niveau actuel [9].

Les biocarburants

Les biocarburants participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la mesure où le CO2 dégagé lors de leur combustion est compensé par le CO2 absorbé durant la croissance des végétaux. Tout biocarburant doit prouver une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 % par rapport à l’équivalent fossile (60 % pour les unités les plus récentes), calculée selon une méthode en analyse du cycle de vie « du puits à la roue » […]. L’effet de changement d’affectation des sols indirect (CASI) crée des émissions non intentionnelles de carbone en raison de l’utilisation de terres cultivées existantes aux fins de la production de biocarburant et du déplacement consécutif de la production alimentaire (ou autre) vers de nouvelles terres arables, ce qui peut entraîner déforestation et disparition de réservoirs de carbone. Cet effet, très difficile à quantifier, pourrait dégrader le bilan carbone global des biocarburants de première génération […].

Les biocarburants de « deuxième génération » sont issus de la transformation de la lignocellulose contenue dans les résidus agricoles (paille) et forestiers (bois), dans des plantes provenant de cultures dédiées (taillis à croissance rapide) ou de la valorisation des déchets industriels […] [Un des objectifs est de permettre] de limiter les problématiques d’usage des sols et de concurrence avec les débouchés alimentaires.


Source

Ministère de la Transition écologique et solidaire (ecologique-solidaire.gouv.fr/biocarburants)

La pointe de consommation

L’impact sur le système électrique est en réalité principalement centré autour de la puissance maximale appelée lors des pics de consommation, plutôt que sur la quantité totale d’électricité consommée. À titre d’exemple, selon un scénario à neuf millions de véhicules, si tout le monde rechargeait sa voiture le soir au même moment, on verrait le besoin maximal de puissance augmenter de 10,2 GW [11] (sur une pointe de consommation d’un peu moins de 100 GW). Toutefois, des modalités simples de pilotage de la recharge pourraient permettre d’absorber cet effet. En décalant la recharge de trois heures après le passage en heures creuses, on arriverait à 1,6 GW de besoin de puissance supplémentaire, ce qui serait parfaitement gérable sans besoin de moyens de production supplémentaires. Les situations extrêmes (journée de forte affluence sur autoroute par exemple) restent toutefois encore à modéliser et des solutions spécifiques à l’aide de moyens de stockage pourraient être envisagées.

Le gaz et les biocarburants en complément

En matière de transport individuel de personnes, si l’électricité représente la principale dynamique attendue, le gaz et les biocarburants devraient cependant aussi se développer. Il y a à cela des raisons économiques (le coût des véhicules au gaz ou au biocarburant sont, à ce jour, encore inférieurs aux modèles électriques) et techniques (autonomie plus faible des véhicules électriques).

L’impact environnemental du véhicule électrique

L’impact environnemental des solutions choisies pour les véhicules devra être évalué dans une approche dite well-to-wheel (du puits à la roue) prenant en compte les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de production/consommation. Ainsi le bilan CO2 du véhicule électrique dépend-il fortement de la composition du mix électrique du pays où il est utilisé, c’est-à-dire des rejets liés à la production de l’électricité consommée par les véhicules. Si ce bilan est très favorable en France, compte tenu de la part prépondérante d’électricité non carbonée, il n’en est pas de même en Allemagne ou en Pologne, où une grande part de l’électricité est produite à partir de charbon.


Source

smartgrids-cre.fr

Les enjeux de la décision

Les décideurs qui auront à se prononcer sur le développement de la mobilité propre seront confrontés à plusieurs enjeux. D’abord un enjeu fiscal : les recettes fiscales sur les transports seront impactées par les évolutions annoncées. Ils devront s’interroger sur les sources de financement mobilisables pour assurer cette transition. Enfin, leurs décisions devront intégrer l’analyse complète du cycle de vie, notamment en ce qui concerne les batteries (production, recyclage…), mais aussi l’impact environnemental dans une approche dite well-to-wheel (du puits à la roue, voir encadré). Par ailleurs, derrière le développement de nouveaux types de véhicules se présente, pour les décideurs, un enjeu majeur de politique industrielle, s’ils souhaitent que la France et l’Europe parviennent à conserver sur leur territoire la chaîne complète de production en limitant au maximum la dépendance extérieure.

Références

1 | Giec, “AR5 Climate Change 2014 : Mitigation of Climate Change”, résumé pour décideurs. Sur ipcc.ch
2 | International Energy Agency, “CO2 Emissions Statistics”. Sur iea.org
3 | Ademe, « Chiffres clés, Car labelling ». Sur carlabelling.ademe.fr
4 | Ademe, « Enquête Nationale sur l’Autopartage – Édition 2016 », 6t-bureau de recherche, 2016. Sur ademe.fr
5 | Gaz mobilité, « CMA CGM passe commande de 5 nouveaux porte-conteneurs au GNL », 28 mars 2019. Sur gaz-mobilite.fr
6 | GRDF, « Perspectives gaz et renouvelables », Bilan prévisionnel pluriannuel gaz 2017 des gestionnaires de réseaux. Sur grdf.fr
7 |Iata technology roadmap 2013” (archive.org—21 juin 2020)
8 | Filière automobile et mobilité, « Contribution des véhicules légers et lourds à la réduction de la demande énergétique et des émissions de CO2 à l’horizon 2030 dans le monde », 15 octobre 2017. Sur pfa-auto.fr
9 |  « Les réseaux électriques au service des véhicules électriques ». Sur cre.fr
10 | Données Enedis. Sur enedis.fr
11 | Enedis, « Impact du développement de la mobilité électrique sur les réseaux de distribution », université d’été de l’association Sauvons le climat, 14 septembre 2018. Sur sauvonsleclimat.org

1 Remarquons qu’un litre de pétrole correspond à 10 kWh, qu’il est stable, facile à stocker, transporter et utiliser, ce qui explique en partie les difficultés à s’en passer pour les transports.


Publié dans le n° 329 de la revue


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L' auteur

Olivier Appert

Membre de l’Académie des technologies et en a été le délégué général de 2015 à 2018. Il a été président du Conseil (...)

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