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Le laboratoire des esprits animaux

Publié en ligne le 14 novembre 2022
Le laboratoire des esprits animaux
Modéliser le trouble mental à l’ère de la psychopharmacologie
Lucie Gerber
Éditions BHMS, Lausanne, 2022, 322 pages, 22 €

La psychopharmacologie, c’est-à-dire la connaissance de l’action des médicaments sur les aptitudes psychiques, est sans doute un des domaines qui a le plus progressé depuis un siècle. Que l’on songe à la manière terrible dont étaient enfermés ceux qu’on appelait les « fous » au XIXe siècle. Ces dernières décennies, les progrès de la psychopharmacologie sont essentiellement dus à l’utilisation de modèles animaux, un phénomène récent, puisque « la modélisation de la “maladie” a été un phénomène relativement tardif ». C’est cette utilité de l’expérimentation animale qui constitue l’objet du présent ouvrage. Il ne s’agit donc pas d’une revue générale de la psychopharmacologie et l’on ne trouvera pas présentés ici des progrès pratiques essentiels comme le traitement de la maladie de Parkinson ou de l’autisme. On y trouvera, en revanche, une discussion détaillée de l’utilisation des modèles animaux dans deux des grandes percées de la discipline : le développement des familles d’antidépresseurs et le traitement des processus mnésiques et de la maladie d’Alzheimer. Dans ces deux domaines clés, l’utilisation des modèles animaux est analysée, aussi bien quand « le phénomène expérimental est pris comme un modèle d’une maladie humaine donnée (que quand) il est considéré comme un modèle de la réponse ou de l’action thérapeutique », c’est-à-dire quand « l’activité de modélisation animale s’est constituée autour de substances que les clinicien·ne·s avaient reconnues comme des médicaments efficaces ». Dans ce cadre sont soulignés, bien sûr, le rôle des rongeurs, mais aussi celui des singes dans les célèbres expériences de Harlow et de ses successeurs sur la dépression. Si l’utilisation des modèles animaux constitue « le geste fondateur des théories biochimiques de la psychiatrie biologique » et donc un élément majeur de la médecine d’aujourd’hui, l’intérêt scientifique est aussi mis en parallèle, notamment pour les travaux de Harlow, avec l’éthique : « Dans les années 1980, cette lignée de travaux a été sévèrement critiquée, reflétant un débat de plus en plus sensible au traitement des animaux de laboratoire. » Au final « l’activité de modélisation animale s’est poursuivie, en se diversifiant, malgré les innombrables difficultés qui se dressaient sur sa route […]. La modélisation […] reste animée d’un processus d’invention incessante, toujours déçue, inlassablement remise sur le métier. » Cette analyse historique et épistémologique détaillée intéressera particulièrement ceux qui débattent de la question de l’expérimentation animale. Du fait même de son caractère très érudit, en revanche, elle s’adresse principalement à un lectorat de spécialistes.