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Les Enragés

Publié en ligne le 2 mai 2023
Les Enragés
Paola Nicolas
Éditions Globe, 2022, 251 pages, 20 €

Paola Nicolas est docteure en philosophie, spécialiste de bioéthique. Elle consacre son premier roman à un événement qui a marqué les débuts de la vaccination en France et illustre de façon saisissante les tensions entre le développement d’une technique thérapeutique, le traitement contre la rage mis au point par les savants du laboratoire Pasteur, et sa réception par la population à travers le filtre des débats publics. En effet, le jeune Jules Rouyer, mordu par un chien enragé le 8 octobre 1886, reçoit les injections antirabiques quelques jours plus tard mais, hospitalisé pour divers symptômes, il décède le 26 novembre.

Le roman, rythmé par le récit d’une quinzaine de journées qui se succèdent entre le 27 novembre et le 11 janvier 1887, met en scène non seulement les acteurs pastoriens, Jacques-Joseph Grancher, Émile Roux, Adrien Loir, avec leurs personnalités, leurs hésitations, leurs interrogations, mais aussi d’autres médecins de l’Académie, plus ou moins réservés ou radicalement hostiles vis-à-vis du traitement : le doyen de la Faculté Paul Brouardel, Constant Sappey, vice-président de l’Académie de médecine, Georges Clémenceau, alors médecin qui assistera à l’autopsie du jeune Rouyer, et surtout Michel Peter, un médecin qui milite activement contre la méthode vaccinale. Pasteur lui-même est présent, surtout en ombre portée, tout au long du roman.

En se fondant sur les chroniques de la presse de l’époque (dont quelques-unes sont reproduites dans l’ouvrage) ou les souvenirs publiés des uns et des autres, la romancière rend compte de nombreux aspects controversés des débuts du traitement antirabique : l’incompatibilité des énoncés scientifiques qui doivent composer avec un certain degré d’incertitude, avec le discours journalistique qui, lui, préfère les avis tranchés, les jeux d’influences et les tentatives de manipulation des populations par les uns comme par les autres, la validité des chiffres sur lesquels est évaluée l’efficacité du traitement, l’identification de la cause du décès des individus traités, la nature de la preuve médicale ou scientifique et même des résultats expérimentaux falsifiés… Le sujet trouve bien évidemment un écho dans la période Covid et post-Covid que nous vivons.