Contre les vaccins ?
Publié en ligne le 19 septembre 2024Michel Morange
Belin Éducation, 2024, 163 pages, 16,90 €

On n’a jamais tant écrit sur l’hésitation vaccinale ou le vaccino-scepticisme que depuis la pandémie de Covid-19. En réalité, à l’exception de quelques pionniers 1, 2, l’intérêt des chercheurs en sciences humaines et sociales pour ce phénomène – aussi ancien que les vaccins – remonte à la fin des années 2000, lorsqu’à l’occasion de la « fausse » pandémie de grippe A (H1N1), l’OMS constate une réticence accrue à se faire vacciner, y compris dans les pays où cette prophylaxie paraissait plutôt bien accepté 3. Dès lors, les études se multiplient pour tenter de cerner les mécanismes du refus.
Michel Morange, ancien membre de l’Institut Pasteur et ex-directeur du Centre Cavaillès d’histoire et de philosophie des sciences de l’ENS-Ulm, propose dans ce livre un avis éclairé par le point de vue du biologiste, sans être immunologiste. L’ouvrage comprend quatre chapitres : « La genèse du vaccin moderne », « L’âge d’or de la vaccination », « La révolution moléculaire » et « Pourquoi tant de doutes ? » On l’aura compris, il s’agit davantage d’expliquer comment fonctionnent les vaccins que d’expliquer ce qui fonde, historiquement, politiquement, anthropologiquement ou sociologiquement, l’hésitation vaccinale. Cette perspective s’appuie sur un présupposé qui sert de fil rouge à cet essai : les statistiques, ordinairement convoquées pour emporter la décision de se laisser vacciner, « parlent mal et convainquent peu ». La persistance du refus s’expliquerait donc par une « erreur de communication » de la part du corps médical et des autorités en charge de la prophylaxie vaccinale. L’ouvrage se présente dès lors comme un « plaidoyer pour une meilleure compréhension des sciences, et un encouragement à un échange en toute transparence entre le public et les scientifiques ».
Les trois premiers chapitres entreprennent d’expliquer la genèse de la technologie vaccinale, depuis sa version artisanale promue par Lady Montagu et Edward Jenner jusqu’à la version industrielle de Pasteur et ses successeurs. Contrairement à la vaccine (« un cadeau du ciel »), les travaux de ce dernier montrent en effet que le « procédé [est] applicable à toutes les maladies dues à un germe pathogène ». Mais, souligne M. Morange, Pasteur ne sait pas « expliquer » comment les vaccins fonctionnent de façon satisfaisante, ce sont ses héritiers (Metchnikoff) et ceux de l’école allemande menée par Robert Koch (Behring, Kitasato, Ehrlich) qui le feront. Ici, l’histoire des vaccins s’interrompt pour laisser place à des considérations sur le développement de l’anesthésie dont le lecteur peine à comprendre le rapport avec elle. Puis elle reprend avec l’invention des vaccins contre le choléra (1893), la fièvre typhoïde (1896), la tuberculose (1921), la fièvre jaune (1928), l’apparition des premiers adjuvants (1923) et la concurrence qui est faite aux vaccins par la réalisation des premiers antibiotiques et antiviraux, sans oublier les sérums. Après la Seconde Guerre mondiale, c’est « l’âge d’or de la vaccination » et la victoire contre la poliomyélite (1954) qui pourtant, selon l’auteur, ne relève encore que d’un « bricolage incertain ». L’ère proprement industrielle vient avec la « révolution moléculaire » et une meilleure compréhension des mécanismes immunitaires innés et acquis. De bonnes pages sont consacrées à l’émergence, plus lente qu’on ne le croit, de la technologie des vaccins à ARN (dont les principaux vaccins anti-Covid). L’auteur rappelle notamment que « les transformations de l’industrie pharmaceutique avec le développement des Biotechs et son désir, après l’arrivée à sa tête des financiers, d’un retour rapide des investissements sont des caractéristiques de la recherche biomédicale contemporaine », et qu’en l’occurrence cet intérêt bien compris, associé à une longue maturation de la recherche fondamentale, s’est mué en vertu en permettant la fabrication d’un vaccin suffisamment sûr et efficace en un temps record.
Nous en sommes à la page 115 sur 163 et il n’est toujours pas question de la « mécanique des doutes » promise dans le titre. Dans le dernier chapitre qui lui est consacré, M. Morange répète qu’elle se fonde sur un manque d’explications et examine une à une les principales réticences : vaccins non « naturels », effets indésirables, méfiance envers l’industrie pharmaceutique, refus de l’obligation. Le problème de ces pages, c’est qu’elles semblent issues d’un avis personnel de l’auteur (« je pense que l’instauration de ces pass a été une erreur... ») alors qu’il existe une abondante littérature scientifique, y compris désormais sur la pandémie de Covid-19, qui n’est jamais convoquée. Le contraste est saisissant avec les parties précédentes où l’explication des phénomènes chimiques et biologiques s’appuie sur des références de poids (articles de revues spécialisées, monographies savantes, etc.) lorsqu’il s’agit de faire l’histoire des vaccins, malgré des oublis regrettables tels que l’excellent Blume 4.
De même, quand il s’agit d’examiner les mécanismes du doute, dans leur profondeur historique comme sociologique ou politique, les bas de pages se vident. Pour se faire une idée de l’immensité du champ, il suffit pourtant de consulter les conclusions du premier rapport Icovac-France 5 avec sa copieuse bibliographie d’études sur le phénomène « antivax » (p. 115-155). Et encore, il ne s’agit ici que des recherches qui étudient le « vaccino-scepticisme » dans le contexte pré- et post-Covid-19, il faudrait y ajouter celles qui ont été produites en nombre depuis le début des années 2000 6, comme nous l’avons mentionné au début de ce compte rendu. Un exemple, quand l’auteur propose d’« allonger le temps des consultations (médicales) » pour que les médecins puissent prendre le temps de rassurer les patients. Une telle remarque ne tient compte ni du scepticisme existant chez certains médecins et personnels soignants, qui est une donnée dure de la sociologie antivax (voir p. 71-89 du rapport Icovac), ni du fait qu’il existe des études de sciences sociales tout à fait solides qui ont tenté de confirmer cette hypothèse de la « minute supplémentaire utile » dans le cadre du combat contre l’hésitation vaccinale (ibid., p. 86 et 107). On constate donc que M. Morange n’a pas voulu ou pas pu, faute de temps et d’espace, offrir à son lecteur les « explications » historiques, psychologiques, anthropologiques et sociologiques nécessaires à la compréhension de l’antivaccinisme, malgré la promesse du titre et les réelles intentions pédagogiques manifestées dans les trois premiers chapitres.
Pour conclure, le livre de M. Morange sera sans doute utile à l’amateur éclairé qui ne lirait que lui mais il ne permettra pas à ce lecteur de se faire une idée de l’actuelle appréhension du phénomène « antivax » par les chercheurs spécialisés dans ce champ. Il faut le voir comme un essai de circonstance, en quelque sorte un « effet secondaire » éditorial de la récente pandémie.
1 Bercé Y-M, Le Chaudron et la Lancette. Croyances populaires et médecine préventive, 1798-1830, Paris, Presses de la Renaissance, 1984.
2 Darmon P, La Longue Traque de la variole : les pionniers de la médecine préventive, Paris, Perrin, 1986.
3 Blume S, Immunization. How Vaccines Became Controversial, Londres, Reaktion Books, 2020.
4 Blume S, Immunization. How Vaccines Became Controversial, Londres, Reaktion Books, 2020.
5 Ward J et al., La recherche sur les aspects humains et sociaux de la vaccination en France depuis 2020 - 1re édition, CNRS-Inserm-ORS Provence-Alpes-Côte d’Azur, Villejuif, 192 p. : https://shs-vaccination-france.com/wp-content/uploads/2024/03/rapport-icovac-fr-2024.pdf
6 Ward J K, “Rethinking the antivaccine movement concept : A case study of public criticism of the swine flu vaccine’s safety in France”, 2016, Social Science & Medicine, 159, p. 48-57.
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Santé et médicament

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