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Tests microbiote, science ou pseudo-science ?

Publié en ligne le 31 mai 2023 - Médecine -

Tests microbiote, science ou pseudo-science ?

Quand Antoni Van Leeuwenhoek (1632-1723), père du microscope, observa que dans sa salive « de petits animaux vivants se déplaçaient de manière extravagante » (cité dans [1]), le monde scientifique était loin de concevoir que la moitié de ce qui compose notre corps n’est pas humain mais microbien. Il s’agissait de la première observation de ce que l’on appelle aujourd’hui le « microbiote ». Avant d’admettre cette « moitié microbienne de nous-même », la médecine est d’abord passée par l’idée que les microbes étaient avant tout la cause de maladies infectieuses. C’est avec les technologies de séquençage à haut débit que l’information gigantesque des génomes des bactéries et autres micro-organismes a commencé à livrer ses secrets, attirant l’intérêt des scientifiques, mais aussi, très vite, celle du grand public. Le microbiote nourrit l’imaginaire, mais également des fantasmes dont des « marchands du Temple » sans scrupules se sont emparés pour développer un business autour de « tests microbiote » qui ont la couleur de la science sans en avoir la rigueur.

Cet article entend faire le point sur ces tests réalisés sur des prélèvements de selles et proposés sur Internet. Ils sont à l’heure actuelle non recommandés par la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE). Cette dernière a au contraire souligné, à partir de la synthèse des études scientifiques, que ces « tests basés sur l’analyse du microbiote intestinal n’ont aucun intérêt clinique pour le médecin ou son patient », conclusion reprise dans le référentiel de microbiologie médicale de la Société française de microbiologie [2].

De quoi parle-t-on ?

Environ cent mille milliards (un « 1 » suivi de quatorze zéro) de bactéries composent l’ensemble des microbiotes d’un individu, soit autant que de cellules humaines. Il convient bien de parler « des microbiotes chez l’Homme » car les microorganismes colonisent toutes nos muqueuses (gastro-intestinale, mais également uro-génitale, pulmonaire, buccale, nasopharyngée) et la peau. Toutefois, du fait de sa quantité, le microbiote intestinal (aussi appelé « flore intestinale ») est celui auquel on fait le plus souvent référence en parlant « du microbiote chez l’Homme ». En effet, le tissu intestinal est le plus densément colonisé avec cent milliards de bactéries par gramme de matières fécales contenues dans le colon.

L’appellation « microbiome » parfois rencontrée fait référence à la partie génomique du microbiote. Dans sa définition historique, ce terme est un mot-valise composé de microbe et de biome, qui décrit l’écosystème microbien en englobant tout vivant microscopique, et pas seulement les génomes. Sachant qu’un génome bactérien comprend environ 2 000 gènes, l’estimation de 1 000 espèces bactériennes dans l’intestin conduit au nombre de deux millions de gènes portés par les bactéries. Le « métagénome », c’est-à-dire l’ensemble des génomes bactériens d’un individu, est ainsi 100 fois plus important que le génome humain ; l’enjeu de décryptage est donc colossal. Pour s’y attaquer, les instituts américains de la santé (National Institutes of Health) ont lancé en 2008 un grand projet d’étude, le Human Microbiome Project (HMP) [3]. En dix ans, plus d’un milliard de dollars ont été investis. L’Europe est aussi présente avec le projet MetaHIT [4] (pour « Metagenomics of the Human Intestinal Tract ») financé à hauteur de 11,4 millions d’euros par l’Union européenne et dont l’objectif principal est d’établir des corrélations entre les gènes du microbiote intestinal humain et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ou l’obésité. Au total, la recherche sur le microbiote est l’un des domaines scientifiques qui attire à l’heure actuelle l’un des plus forts investissements, publics ou privés.

Le Martyre de saint Érasme (détail), Dieric Bouts (v.1410-1475)
Selon La Légende dorée, les empereurs romains Dioclétien puis Maximien persécutèrent Érasme de Formia (alias saint Elme) pour lui faire renoncer à sa foi : de nombreux châtiments très inventifs lui furent infligés, le dernier consistant à lui arracher les intestins pour les enrouler sur un cabestan. C’est cette ultime torture qui est généralement représentée dans l’iconographie classique, y compris de de manière terriblement réaliste comme par les artistes Sebastiano Ricci ou Nicolas Poussin.

Ce qui est scientifiquement vérifié

Ce fort investissement est marqué, après quinze ans d’avancées majeures, par un engouement scientifique exceptionnel qui se mesure à l’allure exponentielle de la courbe du nombre des travaux publiés sur PubMed (base de données de publications scientifiques) ; ainsi, plus de 65 000 publications sont identifiées par le moteur de recherche sous les termes « human microbiome » [5].

Prévention et diagnostic

Grâce à ces travaux, nous savons que les modifications du microbiote et du métabolisme microbien, et leurs interactions avec le système immunitaire, endocrinien et nerveux, sont corrélées à un grand nombre de pathologies : maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, cancers, maladies métaboliques, cutanées, rhumatologiques, osseuses, allergies, et même troubles du comportement alimentaire et psychiques comme l’autisme ou la dépression, ou encore la sclérose en plaques.

Rappelons cependant que corrélation ne signifie pas causalité. Ainsi, les bactéries identifiées comme étant reliées à une pathologie n’en sont pas forcément la cause, mais bien souvent seulement un témoin ; on les appelle « biomarqueurs » [6]. Par conséquent, si l’étude du microbiote aide à la compréhension des mécanismes d’une bonne santé ou d’une maladie, son intérêt clinique (pour prendre en charge un patient) réside surtout dans le fait qu’il est source de biomarqueurs. Son étude offre ainsi des perspectives pour l’amélioration des diagnostics, des pronostics et des thérapies.

C’est par exemple le cas en cancérologie digestive : des signatures microbiennes intestinales ont en effet été associées au risque de cancer colorectal et au pronostic d’efficacité des thérapies anticancéreuses [7]. Ainsi, à l’avenir, si des études prospectives permettent d’identifier les personnes ayant un risque accru de cancer colorectal en lien avec des profils microbiens intestinaux spécifiques, il sera possible de mettre en place des stratégies préventives.

Thérapies

Les applications potentielles sont aussi sur le terrain de la thérapie. À l’heure actuelle, en France, la transplantation de microbiote fécal (TMF) est pratiquée pour traiter des infections récidivantes à Clostridioides difficile (infections souvent liées à la prise d’antibiotiques, qui provoquent l’inflammation du côlon et des diarrhées). C’est la seule indication validée à ce jour et, en 2014, le microbiote fécal a obtenu un statut de médicament auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui a permis d’encadrer la TMF dans le cadre du soin, mais également de la recherche clinique. Ainsi, des essais cliniques sont en cours pour évaluer la TMF dans le mélanome (cancer de la peau) [8]. En boostant la réponse à certains anticorps, la TMF améliore la survie des personnes atteintes d’un mélanome métastatique réfractaire au traitement. Si les résultats des études pilotes se confirment, la TMF pourrait devenir un traitement adjuvant (traitement complémentaire visant à réduire les risques de récidive) 1 à l’immunothérapie contre le mélanome.

Le Glouton (détail), Georg Opiz (1775-1841)

Alimentation

La digestion étant la fonction première de l’intestin, les spécialistes de nutrition se sont logiquement emparés du sujet et différents types de régime sont testés pour diverses pathologies. Dans les avancées récentes, une étude randomisée contrôlée portant sur 113 patients a montré que la TMF suivie d’un régime alimentaire anti-inflammatoire permettait sur le long terme (48 semaines) une rémission de la colite ulcéreuse (forme légère à modérée) plus efficace que le traitement de référence [9].

Les fausses promesses

Au total, sur le plan diagnostique ou thérapeutique, les perspectives d’application de la « science du microbiote » se révèlent incroyablement intéressantes et les projets d’étude se multiplient.

Mais dans cet emballement, le microbiote est sorti du giron des laboratoires de recherche pour être mis dans le catalogue des actes des laboratoires médicaux. Depuis quelque temps, des laboratoires d’analyse médicale privés et des start-up proposent des « tests microbiote » réalisés sur prélèvement de selles. Ils mettent en avant leur maîtrise technique des nouvelles technologies de séquençage ADN indispensables au décryptage des communautés bactériennes. Les tests microbiote proposés sont présentés comme des outils personnalisés de diagnostic et de suivi, voire comme un levier d’action thérapeutique.

Du discours scientifique au discours pseudo-scientifique, il n’y a qu’un pas, vite franchi quand on s’adresse au grand public avec des termes empruntés aux médecines alternatives où la notion d’« équilibre » croise celle « du bien et du mal ». Les principales promesses faites sont faciles à retrouver sur Internet, et sont reprises ici entre guillemets. Tout est fait pour persuader de l’utilité de réaliser un test microbiote. La démarche est simplifiée à l’extrême et il n’est même pas forcément nécessaire de se rendre dans un laboratoire : après une inscription en ligne, certaines sociétés envoient un kit de prélèvement de selles qu’il suffit de renvoyer par voie postale. Pour un coût moyen de 250 €, non remboursé par la Sécurité sociale (c’est heureux), le bilan microbiote est délivré sous 4 à 6 semaines directement via internet.

Promesses diagnostiques

Les tests microbiote s’adressent aux « personnes soucieuses » [10] ou « curieuses » [11] de leur santé, donc à tout le monde, car qui n’est pas soucieux ou curieux de sa santé ? Le bilan est dit « personnalisé ». Il semblerait que ce soit un argument majeur pour vanter ces tests ; il va sans dire, pourtant, que tous les tests réalisés dans les laboratoires, quels qu’ils soient, sont toujours personnalisés.

Illustration anonyme d’un cycle calendaire chinois de 60 années, publiée en 1896.

Le microbiote est comparé « au yin et yang, deux forces opposées ayant besoin l’une de l’autre pour maintenir l’équilibre » [12]. Ainsi, au sein du microbiote intestinal, certaines bactéries seraient bénéfiques et d’autres pathogènes. Cette vision dichotomique est loin de la réalité comme nous le verrons plus loin.

L’approche technologique se veut à l’avant-garde et le vocabulaire est emprunté aux articles scientifiques, certaines start-up se targuant même d’avoir un comité scientifique. On vous parlera de « métagénomique », de « cartographie exhaustive du microbiote » avec la liste des bactéries détectées et des indices permettant d’évaluer « la richesse et l’équilibre de votre microbiote », de votre « entérotype » [13], le tout étant indispensable pour « comprendre votre microbiote intestinal et agir ». Le compte-rendu donné par certains laboratoires fournit ainsi des « informations détaillées sur la composition bactérienne du microbiote intestinal » ainsi qu’un comparatif avec celle de la « population de référence ». Cette démarche est censée distinguer « bonne et mauvaise flores » et permettre la détection de « l’agressivité de la flore » considérée comme pathogène, qui « peut être très agressive dans certaines circonstances » [12].

Certaines start-up vont plus loin que ce que peuvent affirmer les chercheurs du domaine et affirment être capables, sur la base d’analyses métagénomiques, de « regrouper les différentes fonctions du microbiote sous forme de modules fonctionnels faciles à interpréter » [14] : défenses immunitaires, capacité digestive, tolérance aux sucres et même « capacités physiques et neuro-psychiques » pourront être décryptées.

L’examen biologique est présenté comme « le plus approprié pour une première évaluation approfondie de l’intestin et du microbiote » donnant « beaucoup d’informations concrètes qui seront discutées avec le médecin » [12] ; une gamme de tests de « biologie préventive » peut être aussi proposée à toute « personne en bonne santé et soucieuse de son équilibre intestinal » [15].

Promesses thérapeutiques

Certains laboratoires accompagnent, « à titre indicatif », leur diagnostic du microbiote de « conseils thérapeutiques personnalisés » comme « l’intérêt ou non de modifier le régime alimentaire ou de recourir à des probiotiques » pour « renforcer son microbiote » [14].

Des laboratoires vont même jusqu’à proposer une « thérapie intestinale régulatrice » conduisant « à la revitalisation du corps et au retour à la santé » afin « d’accompagner [les clients] dans leur démarche santé » [12].

Ces allégations peuvent paraître séduisantes. En réalité, elles reposent sur des données et une interprétation qui relèvent actuellement du fantasme, voire du charlatanisme, mais pas sur des connaissances scientifiquement validées.

Les conseils diététiques gouvernés par l’analyse du microbiote sont encore trop incertains pour être préconisés dans un cadre médical. Nombreux sont encore les vides de connaissance à combler avant de pouvoir transformer ces tests en véritables analyses de biologie médicale. Rappelons qu’un test biologique est un examen dont le but est de compléter l’examen clinique et d’apporter au médecin des informations fiables et utiles à la prise en charge du patient.

L’Arbre de la Tempérance, gravure américaine anonyme publiée en 1848.
Le tronc de l’arbre est la Santé ; ses branches sont le Bonheur, la Prospérité, la Force du corps et celle de l’esprit.

Encore un chemin scientifique complexe à parcourir

De nombreux défis scientifiques sont à relever avant d’arriver à mettre au point des tests microbiotes fiables et utiles.

Définir un microbiote sain et des valeurs de référence

L’utilisation de biomarqueurs basés sur le microbiote pour le diagnostic, le pronostic, l’évaluation du risque et la thérapie de précision nécessite de définir ce qu’est un microbiote sain. Les difficultés de fond dans l’interprétation des tests microbiote résident dans le fait que nous sommes bien incapables actuellement de donner une quelconque définition du microbiote sain.

Plus le nombre de volontaires inclus dans les études est grand, plus il devient clair que la variabilité du microbiote chez les individus en bonne santé est vaste [16]. L’une des grandes difficultés empêchant la définition du microbiote sain est que la majeure partie de la variabilité (85 %) n’est toujours pas expliquée. Le microbiote, sain ou non, est en partie le reflet de la génétique de l’hôte, mais surtout de facteurs liés à l’environnement, au mode de vie, au régime alimentaire et à la prise médicamenteuse [17]. Ainsi, par exemple, dans les pays développés, la plupart des personnes de plus de cinquante ans prennent au moins un médicament par jour, et beaucoup d’entre eux modifient la composition et la fonction du microbiote.

On s’aperçoit par ailleurs qu’il n’y a pas une configuration unique du microbiote qui permette la bonne santé. La définition d’un microbiote sain est une question simple, mais dont la réponse est complexe et qui doit être affinée pour permettre l’identification d’un microbiote de référence.

Ce constat n’est pas propre au microbiote. La notion de valeurs de référence est une question fondamentale qui s’applique à tous les paramètres de la biologie médicale et fait l’objet de recommandations internationales [18]. Ces valeurs se présentent, le plus souvent, sous la forme d’un intervalle avec des limites statistiques. Mais elles peuvent varier selon le sexe, l’âge et parfois les origines ethniques. Et pour avoir un intérêt diagnostique, il faut que les intervalles déterminés pour les populations saines et les populations malades soient suffisamment distincts.

Si l’on en revient aux tests microbiote, la question est de savoir s’il est possible de déterminer des valeurs de référence. Prenons l’exemple de l’obésité. Au cours de la dernière décennie, le rapport entre le nombre de deux types de bactéries présentes dans le microbiote (les Firmicutes et les Bacteroidetes) a souvent été présenté comme un biomarqueur d’obésité lorsque sa valeur augmente [19]. Cependant, nombre d’études n’ont pas observé de différences pour les personnes obèses ou ont signalé au contraire un rapport plus faible. Aucune méta-analyse menée depuis n’a identifié de différence dans l’abondance des Firmicutes et Bacteroidetes ou dans le rapport Firmicutes/Bacteroidetes entre les individus obèses et ceux de poids normal [20]. Des analyses statistiques ont montré qu’un nombre bien supérieur d’individus devrait être pris en considération dans les études pour parvenir à des conclusions quantitatives [21]. En résumé, le rapport Firmicutes/Bacteroidetes mentionné dans les tests microbiote n’est pas aujourd’hui montré comme un marqueur robuste de la dysbiose (écart du microbiote intestinal d’un sujet malade par rapport à un sujet sain) associée à l’obésité [21].

Cléopâtre essayant des poisons sur des condamnés à mort, Alexandre Cabanel (1823-1889)

Définir la dysbiose

C’est un concept majeur dans le commerce relatif au microbiote. Il y est suggéré que la dysbiose, écart du microbiote intestinal d’un sujet malade par rapport à un sujet sain, est un biomarqueur pour l’incidence et la progression des maladies. Sur cette base, des applications sont proposées pour le diagnostic et le pronostic des maladies inflammatoires de l’intestin ou le dépistage du cancer colorectal. Cependant, il n’existe pas à ce jour d’étude dont la puissance statistique soit suffisante pour valider les tests commerciaux et généraliser des diagnostics basés sur les différences de microbiote entre états sains et pathologiques. On observe que les caractéristiques de la dysbiose varient selon les études, ce qui invalide les tests commerciaux qui identifient la dysbiose en comparant les abondances relatives des taxons microbiens intestinaux entre l’individu testé et une petite cohorte d’individus sains.

Ceci s’applique à tous les paramètres du microbiote et force est de constater qu’à l’heure actuelle, il est impossible de préciser ce qu’est un microbiote « sain » puisque la dysbiose observée pour un individu sain n’est pas transposable aux autres individus sains. Sans valeurs de référence, les tests basés sur l’analyse du microbiote intestinal sont donc sans intérêt clinique puisqu’ils ne peuvent pas encore aider à porter un diagnostic ou à guider les choix thérapeutiques.

Cette volatilité de la notion de dysbiose s’explique par différents facteurs.

L’impact de la localisation géographique et du terrain clinique

La composition du microbiote intestinal de plus de 3 000 « individus témoins », issus de sujets vivant dans des pays industrialisés ou non, est disponible dans des bases de données métagénomiques internationales [22]. Son étude approfondie indique que les principaux marqueurs de maladie et de santé diffèrent selon les populations étudiées et que la composition des microbiotes est adaptée aux exigences fonctionnelles d’un individu, liées à son mode d’alimentation.

Dans une étude chinoise, des chercheurs ont testé l’application de modèles de diagnostic des maladies métaboliques fondés sur le microbiote [23]. Le microbiote intestinal de plus de 7 000 personnes provenant de 14 districts d’une province chinoise a été analysé. Le facteur impactant le plus le microbiote s’est révélé être le lieu d’habitation et non la maladie. Autrement dit, le modèle diagnostique des maladies métaboliques fondé sur l’analyse du microbiote intestinal validé à un endroit donné échoue quand il est appliqué ailleurs, ce qui suggère qu’aucune extrapolation ne peut être faite d’un site géographique à un autre.

Du biomarqueur à l’acteur

Au-delà d’être un biomarqueur, le microbiote peut induire des maladies ou en protéger. Cette action va dépendre du contexte clinique. Par exemple, le microbiote d’un nourrisson né à terme produit des signaux protecteurs et métaboliques bénéfiques, alors que le microbiote d’un nouveau-né prématuré peut constituer une menace en raison d’une immunité muqueuse et d’une fonction de barrière incomplètement développées. De même, un microbiote intestinal apparemment sain peut être un atout en cas de famine, mais un handicap en cas d’obésité [24].

Au total, ces données montrent que l’origine géographique et le terrain clinique ont un effet important sur les variations du microbiote intestinal humain, ce qui explique en partie l’incohérence des profils de dysbiose dans nombre d’études à petite échelle. Et cela disqualifie, à l’heure actuelle, les tests microbiote car ils ne tiennent pas compte de l’origine géographique ou du terrain clinique.

Contrôler la variabilité intrinsèque du microbiote

Un microbiote sain est une entité changeante, dynamique, sur laquelle agissent de nombreux facteurs : âge du patient, sexe, mode de vie, régime alimentaire, origine ethnique, etc. Ainsi, si l’on fait l’hypothèse que la composition du microbiote d’un patient est informative et pertinente, l’enjeu reste de savoir comment tirer l’information de cette entité biologique.

Le langage souvent utilisé (« bons/mauvais microbes » par analogie avec « le bon et le mauvais cholestérol ») est inadapté à la complexité des interactions sous-jacentes entre l’hôte et son microbiote. Plutôt que de discuter du microbiote en termes figés, sa nature changeante devrait être prise en compte en considérant les niveaux variables de taxons microbiens associés au risque ou à la maladie et de taxons protecteurs.

Augmenter le niveau de résolution des tests microbiote : la souche peut tout changer !

Les tests microbiote sont pour la plupart réalisés par des méthodes qui ne fournissent que les abondances relatives de différents groupes bactériens du microbiote (méthodes dite « métagénomique ciblée »). Cette description ne donne qu’une vision partielle de l’assemblage microbien.

Déterminer les caractéristiques du microbiote intestinal associées à la santé nécessite une résolution non pas au niveau du genre bactérien p. ex. Staphylococcus) mais au niveau de l’espèce p. ex. Staphylococcus aureus) voire au niveau de la souche p. ex. souche de S. aureus productrice d’entérotoxine). Il est admis que cette hétérogénéité au niveau des souches de nombreuses espèces est importante p. ex. productrice ou non de toxines). Or elle n’est pas détectée par les méthodes utilisées dont l’efficacité d’attribution taxonomique n’atteint même pas le niveau de l’espèce.

Un niveau de résolution taxonomique plus fin est atteignable par une approche plus élaborée (métagénomique dite « shotgun »). Mais celle-ci est encore peu répandue dans les laboratoires qui proposent les tests microbiote car elle est plus complexe et plus coûteuse. Cette approche permet aussi l’intégration d’informations non seulement taxonomiques, mais également sur les fonctions assurées par le microbiote.

En résumé, la distinction des différentes souches d’une même espèce au sein d’un individu a une incidence clinique importante ; il faudrait pouvoir en tenir compte dans des tests microbiote de nouvelle génération.

Le panier divinatoire ou l’allégorie des tests microbiote

G. Héry-Arnaud©

« La divination avec un panier est la plus prestigieuse des nombreuses techniques divinatoires parmi les peuples du Haut-Zambèze et du Haut-Kasai. Le devin interprète des “signes” dans son oracle, un panier plat contenant des dizaines d’objets (figurines, petits artefacts, éléments naturels végétaux, animaux et minéraux) qui symbolisent tous les aspects du monde. Le devin y “voit” le monde des humains et celui des esprits en interaction. Par l’apparente manipulation des objets, parfois en état de transe, il devine les circonstances du malheur et son origine, soit l’action des esprits mahamba, soit celle des ancêtres ou celle des sorciers. Ensuite, après le paiement par ses clients, il propose une cure. »

Source : texte de l’exposition « Afrique, les religions de l’extase » à l’Abbaye de Daoulas, Finistère, 2022.

Passer du taxon à la fonction

Comme plusieurs bactéries ont souvent des fonctions métaboliques similaires, la redondance fonctionnelle est une caractéristique importante du microbiote intestinal. Ainsi, malgré l’extrême diversité de composition inter-individuelle et la variabilité temporelle intra-individuelle, la fonction métabolique est beaucoup moins diverse et hautement conservée. Cela suggère qu’une définition fonctionnelle serait préférable à la taxonomie pour distinguer microbiote normal et anormal.

Conclusion

Les études du microbiote offrent des perspectives enthousiasmantes en médecine humaine et emportent l’adhésion des agences de recherche et autres investisseurs. À ce stade de nos connaissances, la responsabilité des scientifiques et du personnel médical est de rappeler combien les essais cliniques sont nécessaires avant d’avancer toute notion thérapeutique, et combien les références biologiques sont un prérequis à tout diagnostic. Les connaissances sur le microbiote ne sont pas encore assez étendues et vérifiées pour proposer aujourd’hui un « diagnostic microbiote » reposant sur une seule mesure de paramètres microbiens fécaux chez un individu.

Les investigations doivent se poursuivre pour comprendre la manière dont le microbiote varie chez les personnes en bonne santé, son évolution avec l’âge et les effets de l’alimentation, des médicaments, de la géographie et du mode de vie. Gageons que le projet French Gut porté par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et lancé en septembre 2022 sera précieux pour avancer dans cet objectif. Son ambition est de « cartographier et comprendre l’hétérogénéité des microbiotes intestinaux sains français, les facteurs qui les impactent, ainsi que leurs déviations dans les maladies chroniques » [25]. Le projet se fixe pour objectif de recueillir d’ici 2027 les selles de 100 000 volontaires ainsi que les données nutritionnelles et cliniques associées.

Actuellement, 3 048 essais cliniques intégrant le mot « microbiote » (ou « microbiome ») et couvrant 1 437 maladies sont référencées sur le site international des essais cliniques [26], ce qui laisse augurer de nombreux résultats à venir. Mais ce n’est qu’à l’issue de ces essais que la science du microbiote pourra se mettre au service des patients de manière individuelle. Il faut faire preuve d’humilité face aux limites actuelles de cette science, tout en l’expliquant et sans donner de faux espoirs comme le font actuellement les tests microbiote qui tiennent plus de l’art du panier divinatoire (voir encadré) que de la science.

Références

1 | Boutibonnes P, « Antoni van Leeuwenhoek, 1683 : une image simple, simplement une image… », Genesis (manuscrits-recherche-invention), 2003, 20 :71-80.

2 | Société française de microbiologie, « Microbiote et métagénomique », in RÉMIC : référentiel en microbiologie médicale, SFM, 2022.

3 | Site du Human Microbiome Project. Sur hmpdacc.org

4 | Commission européenne, “Metagenomics of the human intestinal tract”, fiche descriptive, juillet 2019. Sur cordis.europa.eu

5 | Gilbert JA et al., “Current understanding of the human microbiome”, Nat Med, 2018, 24 :392-400.

6 | Biomarkers Definitions Working Group, “Biomarkers and surrogate endpoints : preferred definitions and conceptual framework”, Clin Pharmacol Ther, 2001, 69 :89-95.

7 | Villéger R et al., “Microbial markers in colorectal cancer detection and/or prognosis”, World J Gastroenterol, 2018, 24 :2327-47.

8 | Stower H, “Microbiome transplant-induced response to immunotherapy”, Nat Med, 2021, 27 :21.

9 | Kedia S et al., “Faecal microbiota transplantation with antiinflammatory diet (FMT-AID) followed by anti-inflammatory diet alone is effective in inducing and maintaining remission over 1 year in mild to moderate ulcerative colitis : a randomised controlled trial”, Gut, 2022, 12 :2401-13.

10 | Eurofins Biomnis, « Eurofins Biomnis lance son test “Microbiote intestinal pour toute personne en recherche de bien-être” », communiqué de presse, janvier 2020. Sur eurofins-biomnis.com

11 | Culture Nutrition, « À la rencontre de son microbiote avec Nahibu », février 2020. Sur culture-nutrition.com

12 | Site de Cerballiance. Sur cerballiance.fr

13 | Site de Luxia Scientific. Sur luxia-scientific.com

14 | Site de Nahibu. Sur nahibu.com

15 | Juvenalis, « Microbiote intestinal », informations destinées aux patients. Sur eurofins-biomnis.com

16 | Falony G et al., “Population-level analysis of gut microbiome variation”, Science, 2016, 352 :560-4.

17 | Rothschild D et al., “Environment dominates over host genetics in shaping human gut microbiota”, Nature, 2018, 555 :210-5.

18 | Horowitz G et al., “Defining, establishing, and verifying reference intervals in the clinical laboratory : approved guideline”, EP28-A3C, 2008, 28 :30. Sur clsi.org

19 | Crovesy L et al., “Profile of the gut microbiota of adults with obesity : a systematic review”, Eur J Clin Nutr, 2020, 74 :1251-62.

20 | Schwiertz A et al., “Microbiota and SCFA in lean and overweight healthy subjects”, Obesity, 2010, 18 :190-5.

21 | Magne F et al., “The Firmicutes/bacteroidetes ratio : a relevant marker of gut dysbiosis in obese patients ?” Nutrients, 2020, 12 :1474.

22 | Pasolli E et al., “Accessible, curated metagenomic data through ExperimentHub”, Nature Methods, 2017, 14 :1023-4.

23 | He Y et al., “Regional variation limits applications of healthy gut microbiome reference ranges and disease models”, Nature Medicine, 2018, 24 :1532-5.

24 | McBurney MI et al., “Establishing what constitutes a healthy human gut microbiome : state of the science, regulatory considerations, and future directions”, The Journal of Nutrition, 2019, 149 :1882-95.

25 | « Le microbiote français – Le French Gut », page de description du projet. Sur microbiome-foundation.org

26 | Site de ClinicalTrials. Sur clinicaltrials.gov

1 Concept d’« immunobiotics », proposé par Laurence Zitvogel, oncologue et immunologiste des tumeurs.


Thème : Médecine

Mots-clés : Alimentation