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Les inventions deviennent des découvertes !

Publié en ligne le 28 janvier 2016 - Histoire des sciences -

Les théorèmes et les structures mathématiques, ou certaines particules élémentaires évanescentes, sont-ils inventés ou découverts (c’est-à-dire préexistants dans la nature) ? La question fleure bon les disputatio moyenâgeuses entre le nominalisme et le réalisme, les réalistes affirmant que les universaux, les « qualités » par exemple, ont une existence en soi, les nominalistes qu’ils sont des concepts produits par l’esprit. Les êtres mathématiques généraux comme les groupes, les infinis ou l’ensemble des nombres premiers sont-ils des produits naturels ou sont-ils le fruit de la créativité humaine, sans réelle existence ?

Disputatio entre clercs chrétiens et Juifs. Johann von Armssheim, 1483

Des mathématiciens, nominalistes critiques, dénoncent les vertiges de l’abstraction, à leurs yeux inutiles. Certains, comme Alain Connes, ont changé d’avis : ayant développé une structure mathématique, Alain Connes cherchait à la rattacher à d’autres branches des mathématiques, et trouva qu’elle s’insérait très bien dans un élément des poupées gigognes abstraites imaginées par celui qui fut peut-être le plus grand mathématicien du XXe siècle, Alexandre Grothendieck.

Autre exemple d’inventions devenues découvertes, les masers, ces dispositifs d’amplification des ondes fondés sur l’émission stimulée. Inventés en 1953 par les physiciens américains Charles Townes, James Gordon et Herbert Zeiger, on trouvera dans des régions de formation d’étoiles massives, des masers naturels d’un milliard de kilomètres de long. Si ces structures n’avaient pas été « inventées », elles n’auraient pas été « découvertes ».

Les physiciens théoriciens vont plus loin, pensant que toute structure imaginable, qui n’est pas contraire aux lois de la physique, est réalisable… Cette prédiction a toujours été vérifiée.

À l’inverse, certaines structures imaginées amènent des contradictions et ne sont pas viables, comme l’ensemble de tous les ensembles. Parallèlement, le nominaliste Paul Valéry argumentera que l’expression « etc. » (inventée pour éviter les répétitions) n’existe pas dans la Nature. Ces exemples semblent de peu de portée : les contradictions logiques sont évidemment à éliminer, et les constructions linguistiques ne sont pas universelles. Au contraire, les indiscutables vérités mathématiques, fondées sur un système d’axiomes, sont les joyaux cachés dans une caverne d’Ali Baba, attendant d’être appréhendés.

La faculté d’abstraction est une source de découvertes et un prolongement de la créativité humaine. Cette créativité peut et doit être encouragée. « Comment ? » est une grande question ! Terminons sur une anecdote : une écolière de dix ans s’affairait sur son dessin et le professeur lui demanda ce qu’elle dessinait. « Dieu » répondit-elle. « Mais Dieu est une abstraction, nul ne sait à quoi il ressemble » lui objecta le professeur. « Dans dix minutes, ils le sauront » répondit la réaliste gamine.

Publié dans le n° 314 de la revue


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L' auteur

Philippe Boulanger

Philippe Boulanger est physicien et fondateur de la revue Pour la Science. Il est membre du comité de parrainage (...)

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