Accueil / Notes de lecture / Les origines troubles de l’épidémiologie

Les origines troubles de l’épidémiologie

Publié en ligne le 20 octobre 2022
Les origines troubles de l’épidémiologie
Comment le colonialisme a transformé la médecine
Jim Downs
Autrement, 2022, 357 pages, 24 €

Le livre est la traduction en français de l’ouvrage Maladies of empires : how colonialism, slavery and war transformed medicine écrit par l’historien Jim Downs. Il révèle comment aux XVIIIe et XIXe siècles, l’esclavage, le colonialisme et la guerre ont multiplié les occasions, pour les médecins de l’époque, d’observer la propagation de diverses maladies et parfois d’évaluer des mesures de prévention et de lutte. Les rapports et articles médicaux tirés de ces observations sont considérés par l’auteur comme des prémices à l’émergence de l’épidémiologie à partir du milieu du XVIIIe siècle. À travers plusieurs exemples, il met en avant le rôle des populations étudiées, les considérant comme des acteurs à part entière de la recherche que l’histoire aurait aussitôt effacés pour ne retenir que le nom de ceux qui observèrent et relatèrent les faits. Par exemple, après avoir fait état des observations sur le scorbut et sa prévention effectuées par Thomas Trotter, un médecin embarqué sur un navire négrier, J. Downs insiste sur le fait que les esclaves n’apparaissaient dans la publication tirée de ces observations que sous l’expression « multitude de cas ». Il considère qu’ils auraient dû être envisagés comme ayant contribué à la recherche puisqu’avec leurs corps et leur souffrance, ils avaient aidé le médecin à mettre en évidence l’effet bénéfique de la consommation d’agrumes.

Le livre présente ainsi une série de cas concrets, explicitant comment certains professionnels (blanchisseuses, aides-soignants) et certaines populations (esclaves, prisonniers, peuples colonisés, soldats, patients hospitalisés) ont pu constituer des terrains d’étude sur la propagation des maladies, sans jamais être considérés comme des acteurs de cette recherche. J. Downs s’attache ainsi à montrer à quel point les pionniers de l’épidémiologie et de la santé publique dépendaient essentiellement d’anonymes, d’esclaves ou de colonisés pour la plupart, afin de comprendre la diffusion des maladies infectieuses.

Même sans adhérer à l’ensemble des thèses de l’auteur, on peut reconnaître que les études de cas présentées apportent un éclairage particulièrement intéressant sur la manière dont les médecins font état de leurs observations, puis mènent ou évaluent des actions de santé publique. Sur la forme, on peut regretter – mais peut-être est-ce un effet malencontreux de la traduction ? – l’utilisation systématique du mot « bureaucratie » pour désigner l’administration, ou de la confusion entre statistique et collecte de données. On regrettera également le sous-titre français restreint à la seule colonisation quand la version anglaise inclut aussi l’esclavage et les guerres. Enfin, il est nécessaire de prendre avec du recul certaines conclusions sur la notion de contagion tirées de ces études de cas, dont certaines, comme le choléra en Jamaïque ou la fièvre jaune au Cap-Vert, furent infirmées lorsque les causes microbiennes des maladies infectieuses furent mieux connues. Certes, J. Downs y fait référence, mais c’est souvent de manière discrète et tardive dans le déroulé du livre.

Malgré ce qui paraît être une vision subjective de la part de l’auteur, cet ouvrage s’adresse à tout lecteur intéressé par l’histoire et en particulier celle de la médecine.