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Les oubliés de l’atome : mensonge par omission

Publié en ligne le 15 novembre 2024 - Science et médias -
À travers l’examen de quelques documentaires, différents auteurs portent ici un regard visant à illustrer certaines des analyses du dossier.

La radioactivité fait peur. Les conséquences sanitaires des rayonnements issus des bombardements atomiques sur le Japon en 1945 ont été largement documentés. De même, l’accident de Tchernobyl a exposé des pompiers intervenants à des doses très importantes conduisant à une mort rapide, et les populations à une contamination plus diffuse mais néanmoins avec des effets sanitaires avérés. Ces impacts ont été amplement médiatisés. Par ailleurs, la radioactivité est invisible, renforçant l’inquiétude qui entoure son évocation.

Et pourtant, l’immense majorité de la population est mal informée ; elle ne connaît pas les unités (becquerel, gray, sievert) permettant de quantifier les doses reçues et leurs impacts, et peu savent que la radioactivité est d’abord un phénomène naturel dans lequel nous baignons tous à des degrés divers. Voilà donc un bon sujet pour documentaires. Mais force est de constater que nombreux visent à entretenir cette peur plutôt que d’informer.

Les oubliés de l’atome, réalisé par Suliane Favennec diffusé par France Télévision en 2023 et projeté à l’Assemblée nationale [1], est un bon exemple. Il s’intéresse aux populations de Polynésie Française dont la santé serait altérée par la radioactivité dispersée par les essais nucléaires Français menés entre 1966 et 1996. Le spectateur suit en particulier Hinamoeura Cross, une femme de 35 ans environ, atteinte d’une leucémie qu’elle attribue à ces essais. Elle est pourtant née bien après les essais atmosphériques dont le dernier a eu lieu en 1974, et son exposition à la radioactivité artificielle a donc été totalement négligeable. Il a été montré que des essais nucléaires français ont conduit à une irradiation mesurable des populations avant 1974, mais à des niveaux comparables ou inférieurs à la radioactivité naturelle. L’impact attendu sur la santé est donc faible, et les études épidémiologiques n’ont pas mis en évidence d’impact probant [2].

L’Oublié !(détail), Émile Betsellère (1847-1880)

Pourtant, le réalisateur lui laisse la parole et n’interroge aucun spécialiste de médecine nucléaire. Le spectateur reste donc sur l’idée que le lien de causalité est avéré. Le documentaire indique que les cancers sont particulièrement fréquents dans la population polynésienne. Mais aucun chiffre n’est énoncé sur la réalité de l’exposition des populations et cette affirmation est contraire aux résultats des études épidémiologiques qui montrent au contraire que l’incidence du cancer en Polynésie française est nettement inférieure à celle de la métropole sur la période 1985 à 2011 [3]. De même, le documentaire évoque des effets sur les générations suivantes qui seraient la cause de graves problèmes de santé chez les jeunes. Pourtant, de tels effets n’ont jamais été mis en évidence chez les humains, et ce, malgré des études poussées par exemple sur les survivants des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945 [4]. Le documentaire ne fait jamais référence à la littérature scientifique, telle l’étude de l’Inserm (citée plus haut) qui a réuni plusieurs spécialistes sur la question ; il repose uniquement sur des impressions et des témoignages de personnes malades.

Ainsi, ce documentaire ne ment pas, en ce sens qu’il donne le micro à des personnes qui sont certainement persuadées des causes de leurs souffrances qu’elles attribuent aux retombées radioactives. Mais en l’absence d’analyse, de points de vue différents et de preuves scientifiques, il porte un message clairement erroné.

Références


1| Guibert N, La question des essais nucléaires en Polynésie française de retour à l’Assemblée nationale, Le Monde, 26 Octobre 2023,
2| Bréon FM, Conséquences sanitaires des essais nucléaires français en Polynésie, Science et pseudo-sciences n°342, octobre 2022.
3| Essais nucléaires et Santé. Conséquence en Polynésie française
, expertise collective de l’Inserm, 2020.
4| Jordan B, Les survivants d’Hiroshima/Nagasaki et leur descendance , Médecine/Science, 2018.

Publié dans le n° 349 de la revue


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L'auteur

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien-climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de (…)

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