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Les pesticides sont-ils un facteur de l’augmentation des cancers du pancréas ?

Publié en ligne le 9 février 2025 - Science et médias -

Un article paru en décembre 2024 dans le journal Le Monde [1] titre « Progression du cancer du pancréas en France : la piste des pesticides ». Il rappelle que le cancer du pancréas est relativement rare en France mais que, avec une incidence qui progresse rapidement et un pronostic vital défavorable, il pourrait devenir la deuxième cause de mortalité par cancer. En effet, selon l’Institut national du cancer [2], 15 991 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2023 et la progression du taux d’incidence 1 depuis 1990 est de 2,3 % par an chez les hommes et 3,3 % chez les femmes. En 2021, le nombre de décès est estimé à environ 12 700 tous sexes confondus. Il y a donc un motif légitime d’inquiétude et de recherche des causes de ce type de cancer.

Plusieurs études épidémiologiques ont permis d’identifier les principaux facteurs de risque évitables du cancer du pancréas [3]. Les facteurs de risque avérés sont le tabac, le surpoids, des prédispositions génétiques et le diabète. D’autres facteurs de risque sont suspectés, dont la consommation d’alcool et de viande rouge ainsi que l’exposition professionnelle aux rayonnements ionisants. L’augmentation constatée de l’obésité contribue probablement à la hausse de l’incidence du cancer du pancréas.

La piste des pesticides ?

L’article publié dans Le Monde s’appuie sur une étude publiée dans un journal scientifique [4]. Cette étude est du type « écologique ». En épidémiologie, une étude écologique compare la fréquence de survenue d’une pathologie au sein de plusieurs populations qui diffèrent statistiquement quant à leurs facteurs de risque [5]. Ici, la distribution géographique de l’incidence du cancer du pancréas est analysée en fonction de l’exposition aux pesticides et d’autres variables telles que le taux de fumeurs, l’incidence des maladies liées à l’alcool, l’obésité ou la facilité d’accès aux soins. Insistons sur le fait que l’analyse, dans une étude écologique, est faite sur les caractères moyens au niveau de la population considérée et non pas sur les individus (par exemple, on analyse la fréquence du cancer et de l’obésité au niveau du territoire mais sans analyser si le cancer est plus fréquent chez les personnes obèses). Les auteurs ont quantifié l’exposition aux pesticides par la quantité de pesticides vendus, rapportée à la surface agricole sur l’unité de territoire. C’est un choix surprenant. En effet, une personne habitant sur un territoire peu agricole est considérée comme autant exposée qu’une personne vivant dans un territoire très majoritairement agricole, si les surfaces cultivées reçoivent les mêmes quantités de pesticides à l’hectare 2.

Les résultats de l’étude montrent une corrélation significative entre l’exposition aux pesticides (évaluée comme décrit ci-dessus) et l’incidence des cancers du pancréas. Mais l’amplitude de l’effet apparent est particulièrement faible : le risque de cancer du pancréas augmente de 1,3 % quand les achats de pesticides augmentent de 2,63 kg/ha, sachant que les achats de pesticides sont en moyenne de 1,31 kg/ha avec un écart inter-quartile de 0,49 à 2,98. Ainsi, en supposant toutes les prémisses de l’étude valides, l’exposition aux pesticides ne pourrait expliquer qu’environ 1 % du total des cancers du pancréas et ne peut donc pas expliquer l’augmentation de plusieurs pourcents par an. On doit donc en conclure que l’immense majorité des cancers du pancréas a une ou plusieurs autres causes, qui ne sont pas identifiées, et qui ne sont ainsi pas prises en compte dans les facteurs explicatifs 3. Cette étude ne peut donc pas accréditer la piste des pesticides comme cause du cancer du pancréas et de son augmentation.

L’article du Monde fait aussi référence à une autre étude, également publiée en 2024, du même auteur [6]. Il s’agit d’une étude de type cas-témoins qui compare des individus (et non plus des groupes d’individus) présentant l’événement de santé d’intérêt (ici le cancer du pancréas) à des personnes ne le présentant pas, et qui recherche de façon rétrospective ce qu’a été le niveau de l’exposition de chacun aux facteurs de risque [5]. Cette étude indique que « les marqueurs de l’exposition au chlordane est associée à un risque multiplié par quinze de contracter un cancer pancréatique » (le chlordane est un insecticide interdit en Europe depuis 1981). Une telle multiplication du risque est extraordinairement élevée et semble donc indiquer un effet majeur de ce pesticide, pourtant interdit depuis plus de trente ans. Mais l’article scientifique décrivant l’étude explique que l’intervalle de confiance du facteur d’excès de risque est très large (entre 2,7 et 87) et surtout que les auteurs ont testé la présence de 345 substances différentes dans un groupe réduit (26 patients ayant développé un cancer du pancréas et 26 « témoins » aux autres caractéristiques similaires). Avec un échantillon de personnes réduit et un très grand nombre de substances testées, il ne serait pas surprenant de trouver quelques faux positifs indiquant que des substances ont un effet apparemment significatif, même en l’absence d’effet réel. Les résultats obtenus peuvent suggérer une piste de recherche, mais certainement pas faire l’objet d’une communication à destination du grand public sans indiquer l’intervalle de confiance et les limites de l’étude.

Le cancer du pancréas chez les agriculteurs

Si l’on s’intéresse au potentiel impact des pesticides sur l’occurrence des cancers, on doit analyser leur fréquence chez les agriculteurs qui est la profession la plus exposée à ces substances.

Une étude internationale publiée en 2021 compare les incidences de cancer chez les agriculteurs et dans la population générale obtenues par des études de cohorte dans plusieurs pays [7]. En épidémiologie, une étude de cohorte suit dans le temps un ensemble de personnes et leurs pathologies. En France, c’est la cohorte Agrican qui a été prise en compte (128 000 agriculteurs). Les études en France, aux États-Unis et en Norvège indiquent une moindre incidence (d’environ 30 %), statistiquement significative, du cancer du pancréas chez les agriculteurs de ces pays. Des cohortes similaires en Australie et en Corée du Sud montrent aussi une incidence moindre, mais avec un intervalle de confiance de 95 % qui englobe le « 1 » (incidence identique à la population générale 4). Ces cinq études sont cohérentes et démontrent sans ambiguïté que les agriculteurs sont moins sujets au cancer du pancréas que la population générale.

Certes, les agriculteurs fument moins et sont moins souvent obèses que la population générale, et il faut tenir compte de ces effets confondants potentiels. Les résultats démontrent cependant que l’impact des pesticides ne peut pas être majeur devant les facteurs liés à l’hygiène de vie, bien au contraire, y compris chez les personnes les plus exposées. Et puisque ces facteurs sont manifestement importants dans le cas du cancer du pancréas, il est illusoire d’espérer identifier un effet « pesticide » dans le cadre d’une étude de type écologique sur la population générale (moins exposée aux pesticides que les agriculteurs), comme c’est fait dans l’étude relayée par l’article du journal Le Monde.

Conclusion

Les deux études scientifiques citées dans Le Monde sont très fragiles et les résultats obtenus ne soutiennent pas la piste des pesticides pour expliquer la progression du cancer du pancréas en France, contrairement à ce qu’indique son titre. À l’inverse, les études de cohortes menées chez les agriculteurs et dans la population générale, non citées dans l’article du Monde, indiquent que l’effet des pesticides, s’il existe, est bien inférieur à l’impact de l’hygiène de vie. Une fois de plus, Le Monde diffuse un message anxiogène mettant en accusation les pesticides, sans fondement scientifique et sans restituer l’ensemble des connaissances disponibles. L’impact de ce type d’article est malheureusement bien réel, puisqu’il est ensuite repris par le monde politique sans les précautions qui devraient s’imposer.

Références


1| Foucart S, « Progression du cancer du pancréas en France : la piste des pesticides », Le Monde, 30 décembre 2024.
2| Institut national du cancer, « Panorama des cancers en France », rapport, 2024.
3| Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard, « Cancer du pancréas », 2022.
4| Mathias Brugel et al., “Pesticides and risk of pancreatic adenocarcinoma in France : a nationwide spatiotemporal ecological study between 2011 and 2021”, European Journal of Epidemiology, 2024, 39:1241-50.
5| Institut national de la santé et de la recherche médicale, « Repères en épidémiologie », Note Inserm, 2009.
6| Brugel M et al., “Association between pancreatic adenocarcinoma risk and concentration of organochlorine pesticides in adipose tissue and urine : a targeted‐screening analysis case‐control study (PESTIPAC)”, United European Gastroenterology Journal, 2024, 12:951-9.
7| Togawa K et al., “Cancer incidence in agricultural workers : findings from an international consortium of agricultural cohort studies (AGRICOH)”, Environment International, 2021, 157:106825.

1 Taux d’incidence standardisé (TSM) qui corrige l’impact des différences d’âge entre les populations étudiées.

2 Par exemple, une personne vivant dans une zone géographique de 10 000 ha dont un seul hectare est cultivé, et dans laquelle 1 kg de pesticides ont été achetés, sera considérée comme autant exposée qu’une personne vivant dans une zone géographique de même surface, dont 9 000 ha sont cultivés, et dans laquelle 9 000 kg de pesticides ont été achetés.

3 Les facteurs explicatifs sont les variables utilisées pour décrire les variations statistiques de l’effet observé. Dans la présente étude, ce sont le taux de fumeurs, les maladies en lien avec la consommation d’alcool, l’obésité, et l’accès aux soins.

4 Les résultats de ces deux études indiquent donc qu’il est probable que les agriculteurs développent moins de cancer du pancréas que la population générale, mais que le résultat obtenu peut être dû au hasard statistique avec une probabilité supérieure à 5 %, seuil généralement retenu pour déterminer si oui ou non le résultat est « statistiquement significatif ». Elles sont donc cohérentes avec les trois autres études nationales citées, même si un nombre de participants plus réduit ne permet pas d’avoir la même certitude statistique.


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L'auteur

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien-climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de (…)

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