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Les politiques publiques de lutte contre l’abus d’alcool

Publié en ligne le 18 mars 2023 - Santé et médicament -
Cet article est extrait de « Enjeux économiques et politiques publiques de lutte contre la consommation nocive d’alcool en France », Santé Publique, 2016/4, 28 :461-70. Avec l’autorisation de l’auteure.

Si, en termes de décès, les risques de long terme excèdent les risques de court terme, les politiques de lutte contre l’abus d’alcool se sont toutefois majoritairement attachées à lutter contre les risques de court terme (répression de l’ivresse, prévention routière, etc.), en négligeant en partie les risques de long terme. Toutefois, puisque les adolescents sujets aux alcoolisations ponctuelles importantes sont plus susceptibles, une fois adultes, de présenter une dépendance à l’alcool [1], la lutte contre les risques de court terme permet d’agir, en partie, en prévention des risques de long terme.

En population générale

Les ordonnances du 29 novembre 1960 énoncent que l’objectif que doit poursuivre l’État réside dans la modération des usages, seule la consommation excessive d’alcool est considérée comme nocive […]. La publicité pour les boissons alcooliques du cinquième groupe[[1]] est interdite, de même que la publicité dans les enceintes sportives. Mais, en 1980, la Commission des communautés européennes condamne la République française pour réglementation discriminatoire de la publicité des boissons alcooliques. La Commission fait valoir que le régime de publicité a été mis en place de façon à prohiber ou à limiter la publicité pour les produits alcooliques importés et à favoriser la publicité pour les produits nationaux concurrents. Si la publicité pour l’alcool est interdite sur les chaînes télévisées publiques, la libéralisation des ondes en 1981 voit naître des chaînes privées non soumises à la même réglementation. Ainsi, en 1984, la Cinq obtient une autorisation de diffuser des publicités en faveur des alcools à moins de neuf degrés. Cette autorisation s’étend peu à peu à TV6, Canal+ et TF1 [2]. Mais la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987, dite loi Barzach, interdit la publicité pour toute boisson alcoolique de plus de un degré sur les chaînes de télévision publiques et privées.

La loi Évin de 1991
La loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, dite loi Évin, vise à dissuader « les consommations excessives ou inadaptées ». La loi Évin interdit la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques, exception faite pour la publicité dans la presse écrite, par radiodiffusion, etc. Lorsque la publicité pour l’alcool est autorisée, elle doit s’accompagner du message : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. » Cette loi entend aussi lutter contre la consommation d’alcool dans les enceintes sportives, interdisant les buvettes et la publicité dans les stades, piscines et terrains de sport.

Champagne Ruinart, Alfons Mucha (1860-1939)

La loi Évin a ensuite été prolongée par différentes mesures réglementaires. Avec la loi du 6 décembre 1993, l’ivresse dans les enceintes sportives devient un délit pouvant être puni de peine de prison, notamment en cas de violences. La délibération n° 2008-51 du 17 juin 2008 renforce l’interdiction de publicité en faveur des boissons alcooliques. Mais, ne sont pas constitutifs d’une publicité indirecte ni d’une propagande « les reportages évoquant directement ou indirectement la production d’alcool, notamment le vin, dans la mesure où l’œnologie et la viticulture relèvent du patrimoine national ou encore l’information sur des événements saisonniers à forte notoriété tels que la mise en vente du “Beaujolais nouveau” ».

La loi Évin progressivement affaiblie
Toutefois, sous le poids de l’industrie alcoolière, la loi Évin est progressivement affaiblie. Si le décret du 26 août 1992 prévoit une dérogation annuelle [par club] de la vente d’alcool dans les enceintes sportives, le décret du 8 août 1996, dit « amendement buvette », porte ce nombre de dérogations annuelles à dix. De plus, le projet de la loi d’orientation agricole du 17 octobre 2005 prévoit la création d’un conseil de modération et de prévention sur les risques liés à l’alcool, conseil devant être consulté lors de projets de campagne de communication publique sur la consommation de boissons alcooliques. En réaction, Philippe Martin – député de la Marne – déclare que la création de ce conseil permettra de « modérer les campagnes de prévention parfois discriminatoires envers les producteurs de vins et de champagne » (cité dans [3]).

Ensuite, la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), autorise la publicité pour l’alcool sur Internet, à l’exception des sites destinés à la jeunesse, au sport et à l’activité physique. Enfin, le 15 septembre 2015, est adopté un amendement à la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron. Proposé par Roland Courteau – sénateur de l’Aude – cet amendement redéfinit les contours de la loi Évin. En différenciant information et publicité, cet amendement assouplit l’évocation de l’alcool dans l’information médiatique et œnotouristique. Les contenus relatifs à une région de production ou une indication géographique liés à une boisson alcoolique ne sont alors plus considérés comme de la publicité. En réaction, plusieurs addictologues et associations de santé sont venus dénoncer les conséquences sanitaires de cet amendement, à l’image de Fédération Addiction, énonçant que « l’histoire retiendra que la régulation qu’avait préservée une loi de santé a été détruite par une loi économique dite “de croissance et d’activité” » [4].

Les populations vulnérables

Absinthe Pernod Lunel, Victor Leydet (1861-1904)

Différentes politiques publiques ont cherché à protéger les populations les plus vulnérables à l’alcool telles que les mineurs et les femmes enceintes. Concernant la protection des mineurs, la loi Théophile Roussel de 1873 dispose que les débitants d’alcool ayant servi de l’alcool à des mineurs encourent une amende et jusqu’à l’emprisonnement si le mineur est ivre. Puis, la circulaire du 8 août 1956 restreint la consommation de boissons alcooliques dans les cantines et internats scolaires. La volonté de protéger les plus jeunes s’affirme par l’ordonnance de 1959 qui interdit aux mineurs de moins de 20 ans la consommation de boissons distillées dans les débits de boissons, la vente à emporter étant autorisée dès 16 ans. Toutefois, la vente de boissons fermentées (vin, cidre, poiré, bière, hydromel) est permise pour les mineurs de 12 ans et plus.

La loi n° 2004-806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, instaure une taxation sur les boissons alcooliques aromatisées, aussi appelés prémix 1.

Ensuite, la loi HPST [de 2009] interdit la vente et l’offre gratuite d’alcool aux mineurs de moins de 18 ans. Cette loi marque aussi la fin des open bar – consommation d’alcool à volonté contre le paiement d’un forfait –, des opérations de distribution gratuite d’alcool et impose aux débits de boissons pratiquant des happy hours de proposer également des boissons non alcoolisées à prix réduits.

Pour les femmes enceintes, les politiques publiques de lutte contre les méfaits de l’alcool visent à protéger le fœtus. La consommation d’alcool au cours de la grossesse peut provoquer un syndrome d’alcoolisation fœtale se traduisant, chez l’enfant, par un retard de croissance, des anomalies du système nerveux central ou encore des anomalies craniofaciales. Le 2 octobre 2006, en dépit d’une forte opposition parlementaire, est adopté un arrêté imposant l’inscription d’un message à caractère sanitaire préconisant l’absence de consommation d’alcool pour les femmes enceintes sur les étiquettes des boissons alcooliques.

Références


1 | Marshall EJ, “Adolescent alcohol use : risks and consequences”, Alcohol and alcoholism, 2014, 49 :60-4.
2 | Lenglet R, Topus B, « Santé publique et pouvoir politique face aux lobbies industriels », Les Tribunes de la Santé, 2003, 1 :47-58.
3 | Bourdillon F, « Les lobbies agroalimentaires contre la santé publique », Santé Publique, 2005, 17 :515-6.
4 | « Palme de l’inconséquence : la Loi du Marché casse la Loi Evin ! », communiqué de presse de la fédération Addiction, 11 juin 2015. Sur federationaddiction.fr

1 Les prémix se composent d’un mélange entre une boisson alcoolisée et une boisson non-alcoolisée (soda, etc.), de telle sorte que les effets de l’alcool soient présents mais que le goût de l’alcool soit masqué par le goût sucré. Leur titre alcoométrique volumique est compris entre 3 et 5 %.

Publié dans le n° 342 de la revue


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L' auteur

Miléna Spach

Maison des sciences économiques, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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