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Les protections solaires

Publié en ligne le 19 janvier 2021 - Santé et médicament -

Dans le monde occidental contemporain, le teint bronzé est généralement perçu comme une marque de bonne santé (il n’y a pas si longtemps, à peine plus d’un siècle, le fait d’être bronzé était mal vu car lié à un travail manuel à l’extérieur, contrairement aux classes aisées qui avaient la peau blanche ; c’est encore le cas en Asie où les hommes comme les femmes préfèrent avoir la peau claire). Cependant, depuis peu, suite aux campagnes d’information des autorités de santé publique montrant l’augmentation préoccupante des cancers cutanés [1], l’idée que l’exposition du corps au soleil puisse nuire à la santé s’est peu à peu répandue. En dehors des mesures d’abstinence solaire ou de couverture par des vêtements, les produits cosmétiques de protection solaire, s’ils sont utilisés de façon raisonnable et adaptée, constituent un moyen efficace permettant de vivre pleinement les périodes estivales au grand air [2]. Pour cela, ces produits doivent être faciles à utiliser, agréables à appliquer et ne doivent pas présenter de risques pour le consommateur. Toutefois, certains effets indésirables des produits de protection solaire sur la santé et l’environnement sont parfois mis en avant dans les médias (voir par exemple [3]). Qu’en est-il ? Risquent-ils de remettre en cause les bénéfices observés des campagnes de santé publique ?

La femme à l’ombrelle, Jules Breton
(1827-1906)

Les risques de l’exposition au soleil

Grâce aux progrès de la médecine, de l’hygiène et plus généralement de la science, l’espérance de vie a plus que doublé en un siècle en France. Si l’on ajoute à cela l’instauration des congés payés en 1936, la réduction du temps de travail, la démocratisation des moyens de transport rapide comme l’avion et la tendance à voyager, été comme hiver, vers des destinations ensoleillées, il en résulte que la durée de l’exposition au soleil a considérablement augmenté, et donc les risques pour la santé également.

Au-delà de la sensation de plaisir qu’il nous procure grâce à sa luminosité (effet du rayonnement visible) et sa chaleur (effet du rayonnement infrarouge), le soleil émet également des rayonnements excessivement énergétiques que sont les ultraviolets (UV).

Il y a très peu d’effets bénéfiques attribuables aux UV : le plus évident est la production par l’organisme de vitamine D. Un autre effet que l’on pourrait considérer comme bénéfique, ou tout au moins « cosmétique », est la synthèse de mélanine qui protègera faiblement la peau contre les UV et lui donnera une couleur plus ou moins foncée, selon le type de peau.

Pour ce qui est des effets néfastes, on peut les catégoriser en deux types : les effets délétères aigus et les effets délétères chroniques. Nous avons malheureusement tous expérimenté les désagréments du coup de soleil (appelé aussi érythème). Le coup de soleil est une congestion vasculaire, souvent accompagnée d’un œdème et d’une sensation douloureuse. Selon l’intensité de l’exposition, il apparaît entre deux à sept heures plus tard et passe par un maximum à vingtquatre heures, puis diminue progressivement.

Les effets délétères chroniques se développent à plus long terme, au bout de dix ou vingt ans, voire plus. Il peut s’agir du photo-vieillissement (caractérisé par un creusement des rides à la surface de la peau elle-même épaissie et déshydratée ; sa pigmentation devient irrégulière et elle perd de son élasticité du fait d’une diminution de la synthèse du collagène et de l’élastine et d’une modification de leurs propriétés). Mais, et c’est beaucoup plus grave, des cancers peuvent se développer. C’est un processus long et complexe qui passe par plusieurs étapes : initiation, promotion, progression. Les cancers les plus fréquents sont les cancers de la peau non-mélanomes. Ils sont la plupart du temps relativement faciles à soigner. Beaucoup plus grave, le mélanome malin est un cancer un peu plus rare mais en constante augmentation. Il est très grave si on ne le détecte pas à temps, car seule une ablation chirurgicale totale de la tumeur ou des thérapies ciblées permettent d’en guérir [4].

Se protéger du soleil

Saules au soleil couchant, Vincent Van Gogh (1853-1890)

Aujourd’hui, malgré les campagnes de prévention, ces cancers continuent malheureusement de progresser – sauf en Australie où l’on note une stagnation probablement due à une campagne de prévention initiée une dizaine d’années avant l’Union européenne [5, 6, 7]. Pourtant, se protéger du soleil est simple en évitant autant que possible l’exposition et en portant des vêtements. Les produits solaires ne devraient être que des moyens additionnels de photo-protection. De nos jours, c’est plutôt l’inverse : on met généralement de la crème solaire, éventuellement avec des lunettes et un chapeau, mais rarement un vêtement, notamment sur la plage.

S’il nous paraît évident aujourd’hui qu’il faut se protéger du soleil, l’histoire de la photo-protection est relativement récente. C’est en 1928 que les premières émulsions contenant deux filtres solaires sont apparues aux États-Unis. Il a fallu attendre 1936 et Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, pour que la première crème solaire soit disponible en France. La même année, les Français pouvaient profiter de leur première semaine de congés payés et donc des premières expositions au soleil durant les vacances. La première définition du facteur de protection solaire que l’on retrouve aujourd’hui sur les tubes de crème solaire – le fameux SPF (sunburn protection factor, ou facteur de protection solaire) – est apparue en 1956 et il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que les premiers avertissements venant des scientifiques modèrent ce culte du bronzage et pour voir l’apparition des premiers produits avec une valeur de SPF de 10. Dans les années 1980 à 1990, le SPF monte jusqu’à une valeur de 20 à 30. Notons qu’avant les années 2000, il était rare de trouver des produits de protection protégeant de tous les UV (UVB et UVA). Ce n’est que dans les années 2000-2005 que les produits solaires ont commencé à protéger dans tout le spectre des ultraviolets, et c’est désormais le cas de tous les produits solaires vendus en Europe.

Les dessous des indices de protection

Sur la plage, Wilhelm Simmler (1840-1914)

Beaucoup de confusions tournent autour de l’indice SPF. Cet indice correspond en réalité plus à une mesure du niveau de protection contre l’érythème que « contre » le soleil. Il est mesuré en laboratoire en évaluant la dose d’ultraviolet nécessaire pour avoir un coup de soleil avec le produit solaire, divisée par la dose d’ultraviolet nécessaire pour avoir un coup de soleil sans produit solaire. Ce n’est donc pas un rapport de temps comme on l’entend quelquefois.

Cette méthode est standardisée par une norme ISO [8] et la grande majorité des pays l’utilisent, excepté les États-Unis qui ont recours à une méthode très similaire agréée par l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). Le protocole de mesure impose une gestuelle pour l’étalement du produit ainsi qu’une quantité très stricte de produit à appliquer : 2 mg/cm².

Mais pourquoi donc utiliser 2 mg/cm² car, quand on y réfléchit, cela représente une quantité énorme de produit à étaler sur le corps, de 30 à 40 grammes selon la zone couverte, et cela toutes les deux heures ? En une journée, le tube de crème devrait être vide ! Pourtant, le groupe de travail de l’ISO qui a défini les critères de cette norme sait très bien que le consommateur final va étaler une quantité de 0,5 à 1 mg/cm². L’explication est simple : lorsqu’une méthode doit être validée, les deux premiers critères à respecter sont la répétabilité et la reproductibilité du test. Seule cette quantité de 2 mg/cm² permet de valider ces critères. Le SPF est évalué dans des conditions de laboratoire aussi réalistes que possible, où la reproductibilité est un facteur essentiel, mais non dans des conditions réelles.

On voit donc que le SPF indiqué sur le produit ne sera jamais le SPF effectif pour chaque individu, dans toutes les conditions de soleil et d’application. Pour cela, en plus de la quantité de produit à étaler, il faudrait connaître le phototype de sa peau, la latitude, la longitude, l’altitude, l’intensité du soleil minute par minute, le pouvoir de réflexion du milieu ambiant…

Le SPF n’est donc qu’une échelle relative de classement des efficacités protectrices des produits contre l’érythème, servant de repère pour le choix du consommateur. Des études [9, 10] ont démontré que la quantité appliquée et l’uniformité de l’étalement avaient un poids total dans l’indice SPF de plus de 80 % ! Il est donc moins risqué d’utiliser un SPF 15 bien étalé avec une quantité suffisante qu’un SPF 30 moins bien appliqué avec une faible quantité de crème.

S’inquiéter des composants utilisés ?

Le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques a pour objectif d’assurer « un niveau élevé de protection de la santé ». Il prévoit notamment l’évaluation de la sécurité des ingrédients (matières premières) et celle du produit fini [11]. Cette réglementation européenne traite notamment de sécurité des cosmétiques et s’applique à tous les produits commercialisés dans l’Union européenne et donc en France. Elle évolue en fonction des progrès scientifiques : on peut ainsi noter vingttrois mises à jour depuis six ans.

Au niveau européen, le Comité scientifique pour la sécurité du consommateur (CSSC), un organisme scientifique indépendant placé sous l’autorité de la Direction générale de la santé et de la protection des consommateurs de la Commission européenne, fournit à cette dernière des avis scientifiques concernant les produits cosmétiques. C’est lui qui examine la sécurité des ingrédients utilisés en cosmétique. À l’échelle de la France, ce sont l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) qui sont les autorités en charge du contrôle des produits cosmétiques.

Pourtant certains consommateurs, ONG ou médias s’inquiètent des matières premières et des composés utilisés dans les produits solaires, notamment les filtres UV qui permettent d’obtenir le SPF [12, 13, 14]. Notons que ces filtres UV sont soit organiques (une petite trentaine de composés aromatiques conjugués avec un groupe carbonyle sont autorisés dans l’UE actuellement, mais seule la moitié est utilisée couramment) soit inorganiques (comme l’oxyde de zinc, ZnO, ou le dioxyde de titane, TiO2).

Il est vrai que des risques ont été identifiés par les autorités sanitaires pour le dioxyde de titane [15]. Mais, dans les cosmétiques, cela ne concerne que les risques liés à l’inhalation. C’est d’ailleurs pourquoi il est interdit dans les produits inhalables en spray, par mesure de précaution. Le CSSC a confirmé que les nanoparticules de dioxyde de titane évaluées, qui sont utilisées à une concentration de 25 % maximum en tant que filtre UV dans les écrans solaires, peuvent être considérées comme sûres pour les humains après application sur une peau saine, intacte ou présentant des brûlures du soleil [16].

Depuis peu, les filtres solaires sont aussi accusés d’avoir un impact négatif sur les coraux et de provoquer leur blanchissement. Quelques publications reprochent aux filtres UV des produits de protection solaires de jouer un rôle déterminant dans la dégradation des coraux [1719]. D’autres démontrent leur présence mais en quantité inférieure aux limites de toxicité [20, 21]. Un rapport de l’ICRI (International Coral Reef Initiative, organisation intergouvernementale fondée en 1994 pour la protection des récifs coralliens et des écosystèmes associés), rendu public en 2018, relève que « à ce jour, des expériences ont été menées en grande partie ex situ et il est à craindre qu’elles ne reflètent pas correctement les conditions sur le récif, où les polluants pourraient être rapidement dispersés et dilués. En général, les concentrations de filtres UV utilisées dans les travaux expérimentaux ont été plus élevées que celles susceptibles d’être rencontrées dans l’environnement récifal » [22]. Toutefois, les auteurs notent que la plupart des expériences ont été menées sur de faibles durées (12 ou 24 heures) et que les filtres UV à des concentrations plus faibles « peuvent s’accumuler dans les organismes et les sédiments et devenir ainsi persistants, avec des conséquences largement inconnues ». Ils appellent à de nouvelles études et, par précaution, au recours à des composés moins toxiques. Ils inscrivent cette recommandation dans le contexte où le changement climatique mondial « est considéré comme l’une des plus grandes menaces pour les récifs dans le monde et provoque le blanchissement des coraux et des changements dans les écosystèmes à des niveaux sans précédent » et où « les récifs coralliens subissent également un stress considérable dû à la surpêche, à la pêche destructrice, au développement côtier et à la pollution », impliquant que des mesures soient prises « à tous les niveaux si leur intégrité et leurs valeurs doivent être maintenues ».

Même soumis à une législation stricte et des contrôles réguliers, les produits présentant un risque zéro n’existent pas. Les efforts de recherche de l’industrie afin de réduire au maximum les impacts se développent. Les produits de protection solaire, de nos jours, sont très efficaces, d’une utilisation de plus en plus simple et sans risque pour la santé dans les conditions normales d’utilisation. Les campagnes de prévention commençant à porter leurs fruits, il serait regrettable que les arguments de ceux qui confondent danger et risque et oublient la balance bénéfice – risque poussent des utilisateurs à s’exposer au soleil sans protection adaptée.

Ce texte n’engage que son auteur et aucunement l’entreprise dont il est salarié.

Références


1 | « Mélanome cutané », sur cancer-environnement.fr
2 | Santé publique France, « Risques solaires : se protéger du soleil, c’est protéger sa santé ». Sur prevention-soleil.fr
3 | Mari E, « Mauvaise pour la santé et l’environnement, faut-il jeter sa crème solaire ? », Le Parisien. Sur leparisien.fr 24 août 2018.
[4 |« Le mélanome : une révolution dans les traitements », entretien avec le Dr Ewa Hainaut, chef du service de dermatologie du CHU de Poitiers, 6 février 2018. Sur chu-poitiers.fr
5 | Roth GA et al., “Global, regional, and national age-sex-specific mortality for 282 causes of death in 195 countries and territories, 1980–2017 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017”, The Lancet, 2018, 392 :1736-88.
6 | Australian Institute of Health and Welfare, “Skin cancer in Australia”, Cat. no. CAN 96, 2016, Canberra : AIHW, 73 p.
7 | Bray F et al., “Global Cancer Statistics 2018 : GLOBOCAN Estimates of Incidence and Mortality worldwide for 36 Cancers in 185 Countries”, CA Cancer J Clin, 2018, 68 :394-424.
8 | Le comité ISO/TC 217 sur les cosmétiques. Sur iso.org
9 | Diffey BL,“Sunscreens and UVA : a major issue of minor importance”, Photochem Photobiol, 2001, 74 :61-63.
10 | Pissavini M et al., “Predicting the efficacy of sunscreens in vivo veritas”, Int J Cosm Sci, 2012, 34 :44-48.
11 | Union européenne, « Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques », 2009. Sur eur-lex.europa.eu
12 | Zachos E, « Les crèmes solaires sont nocives pour les océans (mais des alternatives existent) », National Geographic. Sur www.nationalgeographic.fr
13 |« Comparatif Substances toxiques dans les cosmétiques – Produits solaires », Que Choisir ? Sur quechoisir.org
14 | « Substances préoccupantes dans 185 produits cosmétiques. Les consommateurs appelés à passer à l’action ! », Que Choisir ? Sur quechoisir.org
15 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Dioxyde de titane », mise à jour du 15/04/2019. Sur
anses.fr
16 | CSSC, “Opinion on Titanium Dioxide (nano form) COLIPA n° S75 (SCCS /1516/13)”, avril 2014. Sur ec.europa.eu
[17] Danovaro R et al., “Sunscreens Cause Coral Bleaching by Promoting Viral Infections”, Environ Health Perspect, 2008, 116 :441-7.
[18] Downs CA et al., “Toxicopathological Effects of the Sunscreen UV Filter, Oxybenzone (Benzophenone-3), on Coral Planulae and Cultured Primary Cells and Its Environmental Contamination in Hawaii and the U.S. Virgin Islands”, Arch Environ Contam Toxicol, 2016, 70 :265-88.
[19] Downs CA et al., “Toxicological effects of the sunscreen UV filter, benzophenone-2, on planulae and in vitro cells of the coral, Stylophora pistillata”, Ecotoxicology, 2014, 23 :175-91.
20 | Fel J et al., “Photochemical response of the scleractinian coral Stylophora pistillata to some sunscreen ingredients”, Coral Reefs, 2019, 38 :109-22.
21 | Mitchelmor CL et al., “Occurrence and distribution of UVfilters and other anthropogenic contaminants in coastal surface water, sediment, and coral tissue from Hawaii”, Sci Tot Environ, 2019, 670 :398-410.
22 | Wood E, “Impact of sunscreens on coral reefs”, International Coral Reef Initiative (ICRI) Plan of Action 2016-2018. Sur icriforum.org

Publié dans le n° 333 de la revue


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L' auteur

Marc Pissavini

Docteur en chimie, directeur de recherche en photoprotection dans une entreprise de cosmétiques depuis quinze ans (...)

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