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Quelques questions relatives à la vaccination

Publié en ligne le 18 mai 2021 - Vaccination -

L’obtention d’un vaccin sûr et efficace a toujours représenté une des meilleures formes de lutte contre les pandémies infectieuses, comme celle liée à l’émergence du virus SARSCoV-2 dont nous souffrons tous aujourd’hui.

La vaccination contre le SARS-CoV-2 a commencé en décembre 2020 à l’échelle internationale, offrant pour la première fois depuis un an un réel espoir de contrôler la dissémination de la maladie et ce, dans une optique à long terme. Les mesures de prévention, d’hygiène individuelle et collective par distanciation sociale restent indispensables, mais sont insuffisantes à elles seules, de même que le degré d’immunité collective atteint actuellement. Néanmoins, l’apparition rapide de nouveaux vaccins innovants suscite en parallèle de légitimes interrogations dont il faut éviter qu’elles ne conduisent à un sentiment de défiance tel qu’il pourrait mettre en péril le succès de la campagne vaccinale pour éradiquer l’épidémie. La réussite d’un projet d’une telle envergure implique la vaccination d’une majorité de la population et donc la compréhension et l’adhésion entière de celle-ci, qui pour ce faire doit bénéficier d’une information scientifique claire et fiable.

Que peut-on espérer en termes d’efficacité ?

Au 22 février 2021, seize vaccins étaient en phase 3 dans leur processus de développement [1].

Début décembre 2020, les autorités russes et chinoises avaient approuvé six vaccins (deux vectorisés et quatre inactivés) distribués depuis dans ces pays ainsi que dans des pays partenaires. Parmi ces six candidats, seules des données de phase 3 pour le vaccin russe Gam-COVID-Vac (« Spoutnik-V ») ont été publiées à ce jour [2]. En décembre 2020 également, les agences de régulation américaine (Food and Drug Administration – FDA) et européenne (European Medicines Agency – EMA) ont délivré une autorisation d’utilisation d’urgence pour les vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna (vaccins ARNm). Le 30 décembre 2020, c’est le vaccin AstraZeneca (vaccin avec vecteur non réplicatif) qui obtenait l’approbation de l’autorité de régulation au Royaume-Uni. Ainsi, la vaccination de masse a commencé dans de nombreux pays. Depuis, l’agence européenne a autorisé le vaccin AstraZeneca (29 janvier 2021) et examine le vaccin de la firme Johnson and Johnson (vaccin vectorisé qui ne nécessite qu’une seule injection).

Affiche de promotion du vaccin contre la diphtérie au Royaume-Uni (années 1940)

De nombreux résultats correspondant à différentes formulations évaluées dans divers états d’avancement ont été publiés. Ces résultats sont difficiles à comparer entre eux vu l’absence de standardisation des types d’études et de leurs méthodologies (par exemple la variabilité des tests d’efficacité utilisés pour quantifier les résultats dans les études immunologiques). Par ailleurs, la Covid-19 étant une maladie nouvelle, nous ne disposons pas encore de corrélats de protection (taux seuil d’anticorps ou tests cellulaires fonctionnels) permettant de définir de façon certaine qu’une immunité protectrice a été obtenue grâce au vaccin. Le problème existe également lors de l’évaluation de l’efficacité clinique (in vivo), puisque la majeure partie des études ne répertorient parmi les cohortes d’individus (vaccinés ou pas) que les cas symptomatiques de la maladie et ce, en utilisant des définitions et des durées de suivis variables, rendant toute comparaison des résultats obtenus encore délicate.

En termes d’efficacité clinique, à ce jour, quatre études de phase 3 ont été publiées, détaillant leur protocole et résultats et enrôlant de 20 à 40 000 adultes volontaires (plus cent adolescents âgés de 12 à16 ans dans l’étude de Pfizer-BioNTech).

Bien au-delà des exigences minimales fixées par l’OMS, l’étude Pfizer-BioNTech a montré une efficacité clinique moyenne de 95 % mesurée sept jours après la deuxième dose [3] et certaines données encore à paraître semblent rassurantes concernant la protection conférée également contre le nouveau variant anglais [4].

Dans le même ordre d’idée, la firme Moderna rapportait 94.1 % d’efficacité moyenne après deux doses [5].

La publication de l’équipe d’AstraZeneca/Oxford a démontré quant à elle une efficacité moyenne de 70 % pour son vaccin ; toutefois, ces résultats semblent pouvoir être améliorés de façon subséquente au prix d’une adaptation du protocole initial (diminution de la quantité délivrée dans la première dose, augmentation de l’intervalle entre les deux doses à douze semaines) [6]. À noter que ces résultats ont été obtenus chez des individus âgés de 18 à 55 ans, raison pour laquelle les institutions nationales de plusieurs pays européens en charge de la réglementation vaccinale ont restreint à ce jour l’utilisation de ce vaccin aux groupes d’âge plus jeune, dans l’attente de données complémentaires. Les données immunologiques de phase 2 chez des individus plus âgés vaccinés avec ce candidat sont par contre déjà prometteuses [7].

La dernière étude publiée concerne l’analyse intermédiaire de l’essai de phase 3 du vaccin russe Spoutnik V montrant une efficacité moyenne de 91,1 % contre les formes documentées de Covid-19 après deux doses de vaccins [2].

Enfin, la firme Johnson and Johnson a déjà annoncé que son candidat avec un schéma à une dose offrait une efficacité de 66 % (72 % avec l’analyse restreinte à la cohorte des États-Unis) pour prévenir les formes modérées à sévères de la Covid-19. La publication est attendue prochainement.

La durée de suivi des patients dans ces premières études étant courte (six mois maximum), une des questions qui persiste néanmoins concerne la pérennité des réponses immunitaires induites (tant cellulaire qu’humorale) à moyen et à long terme et la nécessité éventuelle d’une dose ultérieure de rappel. Le rôle que pourrait jouer le nombre d’injections administrées pour induire une immunité protectrice reste aussi un point d’interrogation peu documenté.

Impact sur la transmission

Jusqu’à présent, le degré de protection publié ou énoncé portait toujours sur la protection individuelle contre la maladie Covid-19 ou ses conséquences (diminution – par rapport au groupe placebo – du nombre d’individus développant des infections symptomatiques de sévérité variable). Cependant, aucune donnée ne permet de conclure actuellement au sujet de l’impact sur le portage asymptomatique et donc sur la transmission du virus. Les études animales ont démontré que les anticorps neutralisants de type IgG induits par le vaccin réduisaient la quantité de virus sécrété dans les voies respiratoires, mais sans pour autant l’éliminer complètement [8]. Une excrétion virale plus courte et plus faible est également attendue chez l’Homme au vu de données préliminaires. Si tous les candidats actuellement en phase 3 génèrent la production de tels anticorps IgG neutralisants, aucun n’a été démontré capable d’induire des anticorps de type IgA connus pour lutter efficacement contre la colonisation des voies aériennes supérieures par le pathogène [9]. De tels anticorps sont générés principalement lorsque le vaccin est administré par voie nasale. Cependant, peu de vaccins antiSARS-CoV-2 sont développés pour permettre une telle voie d’administration, et encore moins sont déjà entrés en tests cliniques.

Sécurité

En termes de sécurité vaccinale, chaque étude de phase 3 a inclus des milliers de participants, offrant un bon recul sur la possibilité de réactions à court terme apparaissant dans les six semaines après l’injection [10]. Aucun des essais n’a signalé de réaction secondaire majeure. Pour les réactions secondaires mineures ou modérées (locales ou systémiques), elles semblent plus importantes chez les gens jeunes et après la deuxième dose pour les vaccins ARNm ou la première dose pour les vaccins vectorisés.

Récemment, quelques inquiétudes ont surgi concernant des cas de réactions allergiques sévères signalés suite à l’administration du vaccin Pfizer, principalement dues aux particules lipidiques qui enveloppent l’ARN messager. Au-delà de l’impact médiatique, le taux d’anaphylaxie (manifestation la plus sévère de l’allergie) observé pour le moment n’a pas été estimé comme suffisamment alarmant pour représenter une contre-indication par les autorités compétentes ou l’OMS. Néanmoins la prudence est recommandée (surveillance en milieu médical requise de quinze à trente minutes minimum après l’injection d’un des deux vaccins à ARN messager) pour tous les individus, avec attention particulière en cas d’antécédents d’allergies. Seules quelques contre-indications bien spécifiques ont été édictées concernant notamment les gens ayant fait des réactions allergiques très sévères dans le passé ou ayant des maladies bien particulières [11, 12]. Quelques craintes ont également été émises au sujet de cas de paralysie faciale, mais l’hypothèse d’un lien de causalité avec le vaccin Pfizer n’a pas été retenue pour le moment. Pour le vaccin d’AstraZeneca, l’inquiétude concernait trois cas de myélite transverse survenus dans la période post-vaccinale, dont finalement un seul serait peut-être imputable à la vaccination [6].

À noter que pour tous les vaccins, la période de suivi dans les études ayant précédé l’autorisation de mise sur le marché était très courte en raison de l’état d’urgence (trois mois au maximum après la deuxième dose et six mois au total). Si les effets secondaires enregistrés ne semblent pas représenter un problème actuellement et sont bien loin de contrebalancer le bénéfice offert par la vaccination, la prudence reste de mise pendant la campagne de vaccination universelle. Comme pour tous les vaccins développés antérieurement, le fait d’élargir considérablement le nombre de sujets vaccinés et la période de suivi révèlera peut-être la survenue d’effets secondaires beaucoup plus rares (fréquence inférieure à un pour 10 000 ou pour 100 000), telles que des réactions anaphylactiques sévères ou des complications neuro ou auto-immunes. Une période de recul beaucoup plus large est nécessaire pour infirmer ou confirmer l’existence d’une relation causale entre ces effets très rares et le vaccin. La mise en place d’un système de surveillance international, comme établi récemment par l’OMS, enregistrant toutes les réactions secondaires dans l’ensemble des catégories d’âge et incluant des personnes souffrant au préalable d’autres pathologies, sera de la plus haute importance dans les mois à venir.

Enfin, une autre inquiétude, mais qui pour l’instant ne semble heureusement pas être confirmée par les essais in vitro et in vivo, était la possibilité d’aggravation de la maladie liée à la production d’anticorps facilitant la réplication virale au lieu de la neutraliser, comme observé pour certains virus très différents comme le virus responsable de la Dengue [13]. Ce phénomène (appelé ADE en anglais pour antibody-dependant enhancement of disease) semble s’observer surtout lorsque, suite à l’infection naturelle ou à la vaccination, la quantité d’anticorps induite est faible ou que les anticorps sont de faible qualité (« affinité » basse). Il dépend également de caractéristiques propres au virus comme le type de cellules infectées. Ce phénomène est d’autant plus important à surveiller qu’il n’est pas que théorique : il a été signalé dans certains modèles animaux lors d’essais de vaccination contre le SARS-CoV-1 et le MERS-CoV [14]. L’hypothèse d’un tel phénomène dans le cas du SARS-CoV-2 reste pour le moment heureusement peu probable, vu que les études cliniques n’ont rapporté aucun cas d’ADE ni après l’infection naturelle, ni après vaccination dans de larges groupes d’individus dont l’infection préalable était avérée. Néanmoins, une vigilance particulière s’impose et notamment dans certaines catégories particulières comme les personnes âgées.

Affiche de promotion du vaccin contre la variole au Nigéria (années 1950 ?)

La logistique et le schéma vaccinal à mettre en place

En plus des délais de production difficiles à respecter, les campagnes de vaccination devront impérativement tenir compte des aspects logistiques à adapter aux caractéristiques de conservation (chaîne de froid et de congélation) et d’utilisation (temps de conservation, dose unique ou multidoses, etc.) ou des formulations choisies. Il faudra également prendre en considération les chaînes de distribution et le rôle essentiel joué par les vaccinateurs.

Dans un autre ordre d’idée, un débat a aussi été ouvert sur le temps d’intervalle maximum à respecter entre deux doses du vaccin, intervalle initialement recommandé de 21 jours dans le cas du vaccin mRNA Pfizer-BioNtech et de 28 jours pour le Moderna. Cette recommandation est fondée sur le fait qu’une immunité protectrice commence à être détectée 12 jours après la première dose. De nombreux pays faisant actuellement face à une recrudescence de cas, et ce notamment à cause de l’apparition de variants plus transmissibles, l’OMS et l’EMA ont donné l’autorisation d’étendre l’intervalle entre les deux doses à 42 jours [15], afin d’augmenter le nombre de personnes recevant une première dose tout en faisant face aux retards de livraison. Néanmoins, si retarder l’administration de la seconde dose n’altérera pas, en théorie, l’efficacité finale du vaccin, l’allongement du temps entre les injections crée une fenêtre « d’immunisation suboptimale », non suffisante pour protéger complètement l’individu contre la maladie et potentiellement favorable à la sélection de certains mutants ou à la genèse de cas d’ADE. Il est donc important de respecter au maximum le schéma d’administration initialement recommandé (en dehors de circonstances exceptionnelles) et surtout de rappeler l’importance de ne pas relâcher les mesures d’hygiène et de distanciation dans l’intervalle, une seule dose de vaccin n’étant pas suffisamment efficace et n’annihilant sûrement pas la possibilité de transmission.

Comment choisir entre les différentes formulations disponibles ?

Il existe de nombreux types de vaccins se trouvant à différents niveaux de développement, tous présentant des avantages et des inconvénients. Aujourd’hui, leur utilisation est déterminée non seulement par leurs performances, mais également par les autorisations de mise sur le marché délivrées par les agences réglementaires et par les accords commerciaux préalables ayant permis l’anticipation de la production.

Afin d’optimiser la sécurité et l’efficacité pour tous, le choix de la meilleure formulation parmi celles qui sont disponibles devra constamment être réévalué, et adapté si nécessaire, notamment selon l’âge, le statut immunitaire ou de grossesse, les antécédents médicaux et d’allergies, etc.

Par ailleurs, un candidat vaccinal considéré comme idéal dans un contexte peut s’avérer ne pas l’être du tout dans un autre, tenant compte de ses conditions de conservation et de distribution, de sa durée de validité et de son schéma d’administration (nombre de doses, voie d’administration, etc.). Cependant, une politique de prévention vaccinale prônant l’équité et l’accessibilité à la vaccination pour tous doit être privilégiée, et la recherche doit être encouragée afin de développer des candidats vaccinaux convenant à un maximum de contextes sociaux et géographiques en restant abordables financièrement afin d’offrir une solution mondiale contre la pandémie.

Enfin, dans une optique d’amélioration de l’efficacité vaccinale, une stratégie particulière ayant déjà montré de l’intérêt contre d’autres virus, notamment ceux des hépatites, consiste à donner deux doses de vaccin mais appartenant chacune à une formulation différente. Le système immunitaire est ainsi stimulé par les mêmes antigènes vaccinaux, mais de façon différente, ce qui renforcerait la réponse induite [16]. Cette stratégie s’appelle le « prime-boost hétérologue » et est à la base de plusieurs candidats vaccinaux contre le SARS-CoV-2. Elle pourrait donner des résultats prometteurs.

Mutations du virus

Une campagne de vaccination à grande échelle ne peut être couronnée de succès que si, parallèlement, un système proactif de surveillance non seulement des infections mais aussi des souches circulantes du virus est mis en place à l’échelle internationale. De nouveaux variants présentant des mutations au sein des protéines de surface (par rapport à la souche initiale isolée à Wuhan en décembre 2019) ont été identifiés depuis plusieurs mois et commencent à devenir dominants dans certaines régions [17]. Si les conséquences sur la sévérité de la maladie de ces mutations semblent heureusement limitées jusqu’à présent, la transmissibilité des souches en est par contre facilitée, nécessitant la mise en place de mesures de confinement drastiques pour faire face à la recrudescence des cas [17, 18, 19]. Le SARS-CoV-2 étant un virus à ARN, il est soumis fréquemment à des changements génétiques (mutations ou délétions) lorsqu’il se réplique. Néanmoins, grâce à la grande taille de son génome et à un système de « correction » enzymatique, ceux-ci surviennent avec une moindre fréquence que pour les autres virus à ARN comme ceux de la grippe.

Outre la transmissibilité accrue, la crainte principale liée aujourd’hui à ces mutations est qu’elles pourraient amoindrir l’efficacité d’une immunisation par une infection passée ou par un vaccin, surtout si elles engendrent des modifications dans les régions de la protéine Spike, cible principale de la majorité des vaccins. Heureusement, des données préliminaires semblent rassurantes quant à la protection conférée par les vaccins disponibles actuellement sur le nouveau variant anglais se répandant maintenant de plus en plus en Europe (mutant SARS-CoV-2 lignée B.1.1.7 portant notamment la mutation N501Y). En revanche, des inquiétudes émergent quant à la protection conférée contre les variants sud-africain, brésilien ou autres mutants plus rares (ayant acquis la mutation E484K), mais de plus amples études et précisions sont encore attendues [20].

Timbre distribué en Espagne (années 1940 ?) dans le cadre d’une campagne de vaccination anti-variolique

Par ailleurs, les mutations faisant partie de la dynamique naturelle de ces virus, il est probable que d’autres variants continueront à émerger au cours du temps, avec ou sans implications sur la gravité clinique, mais nécessitant une analyse continuelle de l’efficacité vaccinale avec adaptation ultérieure des produits si nécessaire, comme on l’a observé depuis des décennies avec les virus de la grippe. Conjointement à la vaccination, une surveillance précise des personnes vaccinées présentant une infection SARS-CoV-2 jouera un rôle clé afin de savoir si ces cas sont dus à l’échec de la réponse immunitaire de l’individu lui-même ou à une nouvelle mutation du virus.

Population à vacciner et « couverture vaccinale »

Un point crucial concerne le choix des populations à vacciner. S’il est évident que le vaccin doit être distribué dans un premier temps aux personnes les plus à risque de développer des formes ou des complications graves de la Covid-19 en raison de leur âge ou de leur état de santé antérieur, ainsi qu’au personnel médical et paramédical impliqué dans les soins de santé et les maisons de retraite [21], la question est de savoir dans quelle mesure étendre la vaccination au sein de la population générale. Sur le modèle d’autres infections virales plus connues, l’objectif idéal serait de vacciner une proportion maximale de la population permettant de réduire voire d’éliminer la circulation épidémique du virus en diminuant son réservoir. L’histoire de l’humanité est riche en exemples montrant qu’il est possible d’endiguer des épidémies infectieuses par la vaccination, comme dans le cas de la variole qui a pu être éradiquée ou de la poliomyélite dont la circulation du virus a pu être complètement interrompue dans de nombreux pays grâce à la vaccination obligatoire.
Pour des maladies telles que la rougeole par exemple, d’excellents résultats ont également été obtenus par la vaccination à large échelle, bien que plus de 95 % de la population ait dû être immunisée, tant la contagiosité de ce virus est élevée. Mais un manque d’accès à la prévention dans certains pays ou un refus de vaccination dans certaines communautés ont suffi à faire réapparaître rapidement des foyers épidémiques pouvant conduire ensuite à une dissémination dans la population générale. Ce phénomène bien documenté dans nos régions et en Amérique du Nord [22, 23] démontre la nécessité d’obtenir et de maintenir suffisamment longtemps une « couverture vaccinale optimale ».

La couverture vaccinale optimale est le taux minimum de personnes à vacciner dans une population afin d’éliminer la transmission épidémique du virus et d’offrir une immunité de groupe. Ce taux est fonction des caractéristiques propres du pathogène (taux de reproduction de base R0, mode de transmission, durée d’incubation, réservoir…) et a été estimé initialement autour de 60 à 70 % pour SARS-CoV-2 [24]. Cette estimation est cependant susceptible d’évoluer avec le temps, entre autres du fait de l’émergence de nouveaux variants, de l’incertitude quant aux possibilités de réinfection ou de transmission après infection naturelle ou vaccination et du mode de calcul lui-même qui tient compte de certaines variables changeantes comme l’hétérogénéité de la population ou les comportements sociaux.

Par ailleurs, l’existence de formes très graves de Covid-19 chez des individus apparemment sans comorbidité, ajoutée au taux non négligeable de complications post-infectieuses (notamment les syndromes inflammatoires étiquetés « MIS-C », proche du syndrome de Kawasaki chez les enfants), renforcent la nécessité de vacciner la population générale afin de protéger le plus grand nombre contre la survenue de cas sévères et des conséquences désastreuses de la pandémie.

Bien que de plus en plus de facteurs de risque de sévérité de la maladie continuent à être identifiés [25, 26], personne ne peut aujourd’hui prédire qui va ou non développer une forme sévère ou ses complications. Se cantonner aux groupes à risque pour vacciner serait donc, à notre sens, largement insuffisant, d’autant que certaines personnes fragilisées pourraient ne pas avoir d’emblée accès au vaccin ou pourraient présenter une réponse immunitaire insuffisante, voire souffrir d’une contre-indication à la vaccination en raison de leur état de santé.

Populations spécifiques

Les données concernant les individus appartenant à des tranches d’âge particulières (enfants ou plus de 65 ans) n’ont pas été encore précisément étudiées de façon séparée. Ces analyses spécifiques seront d’autant plus importantes à faire dans un futur proche que les patients âgés sont malheureusement plus à risque de développer des infections sévères voire létales et qu’ils présentent, avec le temps, une décroissance de leurs capacités immunitaires connue sous le terme d’immunosénescence. Ce phénomène bien connu a déjà été étudié pour certains autres vaccins, entraînant parfois une adaptation du protocole de vaccination. La réponse à la vaccination anti-SARS-CoV-2 du sujet âgé reste actuellement encore difficile à prédire et pourrait nécessiter une stratégie vaccinale particulière. Inversement, la réponse des enfants au vaccin étant d’ordinaire plus forte, une détermination précise de la stimulation immunitaire obtenue en post-vaccinal dans cette population particulière se justifie amplement pour adapter les doses requises (nombre de doses, quantités d’antigène données, etc.) et limiter ainsi la survenue d’effets indésirables, même mineurs ou modérés. De plus amples données sont également attendues pour des groupes tels que les femmes enceintes ou allaitantes et les patients souffrant de problèmes immunitaires afin de préciser les recommandations de vaccination les concernant [15, 27, 28].

Vacciner ceux ayant déjà contracté la maladie ?

Déterminer si les personnes ayant déjà fait une infection documentée (présence du virus confirmée dans les voies respiratoires) doivent oui ou non se faire vacciner ensuite représente actuellement une question très pertinente. À ce jour, nul ne peut statuer sur la durée et l’intensité de la protection conférée par l’infection naturelle. Si, dans les études immunologiques in vitro, on retrouve des marqueurs témoignant de la persistance de celle-ci entre six et huit mois après le contact [9, 29], des cas de réinfections (symptomatiques et asymptomatiques) ont été clairement documentés pour le SARS-CoV-2 chez l’Homme [30] et pour le MERS-CoV chez l’animal [31]. L’hypothèse d’aggravation de la maladie par la vaccination (« ADE », voir plus haut) pouvant être raisonnablement écartée à ce jour, administrer le vaccin au-delà des six mois suivant l’infection semble un bon compromis [15]. Le vaccin agirait alors comme un rappel qui renforcerait la mémoire immunitaire et permettrait l’obtention d’une réponse plus rapide et plus efficace en cas de contact ultérieur avec le pathogène.

À titre individuel, la réalisation d’un test sérologique pourrait aussi être utile, puisque si le taux d’anticorps neutralisant est encore fort élevé, l’injection du vaccin pourrait logiquement être repoussée jusqu’au moment où le taux d’anticorps se situe sous un certain seuil (qui reste encore à établir). La réalisation de tels examens de laboratoire à grande échelle, préalablement à chacune des vaccinations chez les individus ayant été porteurs ou infectés, constitue un scénario irréaliste compte tenu des implications logistiques et financières considérables qu’elles engendreraient. Néanmoins, la connaissance du statut sérologique pourrait guider le nombre de doses nécessaires à titre individuel dans des cas particuliers ou dans des sous-groupes d’individus plus fragiles comme les personnes âgées, les femmes enceintes ou les patients immunodéprimés. Une stratégie vaccinale proposant une seule dose de vaccin chez les personnes ayant fait une infection clairement documentée est d’ailleurs à ce jour de plus en plus considérée par les autorités.

À l’heure actuelle, une réserve particulière reste en revanche de mise chez les patients ayant fait une Covid-19 sévère, chez lesquels le bénéfice de la vaccination reste incertain et à pondérer comparé aux craintes de réintroduire des antigènes du virus.

Défiance vaccinale

Une autre question, et non des moindres, concerne l’acceptation et l’adhésion de la population à la vaccination contre le SARS-CoV-2. Indépendamment des réticences habituelles portées par certains milieux opposés aux pratiques vaccinales, divers aspects particuliers liés aux vaccins contre la Covid-19, dont leur rapidité de production et le fait que certains d’entre eux ont recours à des techniques innovantes peu utilisées jusqu’alors chez l’Homme, peuvent conduire à des inquiétudes somme toute légitimes, mais également, malheureusement, à des réactions de rejet. Seule une grande transparence et un surcroît d’informations objectives pourront limiter de telles réticences. Des campagnes d’information pourraient être utiles en ce sens. En France, aujourd’hui, le vaccin n’est pas obligatoire et l’opportunité de se faire vacciner est laissée au choix de chaque individu, de sorte que la compréhension et l’adhésion de tout un chacun est indispensable à la réussite du processus.

Conclusions et perspectives

En près de quatorze mois, la Covid-19 a provoqué la mort de plus de 1 600 000 personnes dont 57 000 en France, ainsi qu’une récession économique mondiale majeure. Du fait de l’ampleur de la pandémie, une mobilisation sans précédent s’est instaurée afin de contrer la propagation du virus.

Les mesures de prévention individuelles et collectives par distanciation sociale, même si elles sont indispensables pour éviter notamment le débordement des systèmes de soins de santé, sont insuffisantes à elles seules pour empêcher la dissémination de la maladie, surtout dans une optique à long terme. Quant au niveau d’immunité collective atteint actuellement, il est encore amplement insuffisant, comme en témoigne la persistance de l’épidémie avec de nouveaux variants et le recours récurrent à des mesures de confinement drastiques. Comme l’Histoire en témoigne face à de nombreuses épidémies infectieuses passées, vacciner la population reste le meilleur moyen de prévention et de lutte contre l’infection.

Grâce à des moyens d’exception mis en œuvre, de nombreux vaccins anti-SARS-CoV-2 ont pu être développés en un temps record. La vaccination a commencé en décembre 2020 à l’échelle internationale. De nombreuses questions restent cependant en suspens, mais des progrès significatifs sont réalisés chaque jour, tant dans la compréhension de la maladie que dans le traitement et la prévention. Même s’il faut reconnaître que des données complémentaires sont nécessaires pour mieux préciser certaines des performances, adapter la stratégie présente et future ou déterminer les effets secondaires potentiels à moyen et long terme, il faut éviter que la prudence légitime envers ces vaccins ne conduise à un sentiment de méfiance et d’opposition inconditionnelles dans le grand public qui minerait les espoirs mis dans la vaccination. Un choix judicieux de la meilleure formulation à utiliser doit être fait et réévalué régulièrement selon des arguments scientifiques, en plus des contraintes économiques et logistiques. Par ailleurs, des systèmes de surveillance post-vaccination scrupuleux doivent être mis en place car ils sont indispensables pour s’assurer de l’efficacité et de la sécurité de tout un chacun.

La Guerre contre l’obligation vaccinale, Leônidas Freire (1882-1943). Paru dans le journal O Malho(Brésil) fin octobre 1904, ce dessin satirique annonce la période d’agitation civile connue sous le nom de « Révolte du Vaccin ».

Certaines données restent encore à préciser et des études à réaliser, mais, de même que pour les mesures de confinement, le contrôle de la pandémie par l’approche vaccinale ne sera possible qu’avec la participation entière de la population, ce pourquoi il est essentiel d’offrir une information avisée. Si la pandémie de SARSCoV-2 nous frappe durement aujourd’hui, il est important d’en tirer des leçons pour le futur, car d’autres virus à réservoirs principalement animaux pourraient se disséminer de façon impromptue et nous mettre à nouveau en danger. À l’instar de ce qui est mis en place aujourd’hui, la vaccination occuperait alors très certainement à nouveau un rôle central dans la gestion de futures pandémies.

Références


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Publié dans le n° 336 de la revue


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Les auteurs

Sophie Blumental

Pédiatre infectiologue, chef de clinique adjoint à l’unité de maladies infectieuses pédiatriques de l’hôpital (…)

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Patrice Debré

Professeur émérite de médecine, département d’immunologie, APHP, Sorbonne Université, CIMI (Inserm U1135), Hôpital (…)

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