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Statines et douleurs musculaires : un cas d’école d’effet nocebo, amplifié par les médias

Publié en ligne le 10 janvier 2022 - Médecine -

L’effet nocebo

Connaissez-vous l’effet nocebo ? Ce terme, « jumeau maléfique » du placebo 1 désigne la perception de symptômes nuisibles liés à la prise d’une substance, non pas du fait de ses propriétés pharmacologiques mais par des mécanismes psychologiques et neurophysiologiques. Sa survenue et son intensité sont induites ou renforcées par des attentes négatives du patient vis-à-vis du traitement, de par les informations qu’il en aura reçues des soignants et non-soignants, mais aussi de ses perceptions sensorielles (goût, odeur…), du prix du traitement…

Cet effet a pu rendre compte de la grande fréquence d’effets indésirables chez des patients participant à des études cliniques et qui prenaient pourtant un « placebo » (bien mal nommé dans ce cas) pharmacologiquement inactif. Mais cet effet, comme l’effet placebo, peut aussi intervenir lors de l’usage d’une substance active : il peut alors induire à lui seul des effets indésirables ou aggraver des effets secondaires qui, eux, sont explicables par la pharmacologie de ce produit. Par exemple, il a été rapporté un doublement des troubles sexuels chez les patients prenant des bêta-bloquants quand ils étaient informés de ce possible effet secondaire par rapport à un groupe de patients qui n’en avaient pas connaissance [1].

Le scoop et le générique

Les Repasseuses, Edgar Degas (1834-1917)

Les médias couvrent souvent des actualités liées à la santé. L’information est cependant parfois d’une rigueur scientifique douteuse. Cela participe à créer des « attentes négatives » aux conséquences parfois non anticipées. Ainsi, en 2018 en Nouvelle-Zélande, la substitution de l’antidépresseur venlafaxine par un générique bio-équivalent ne s’est accompagnée d’une véritable « épidémie » d’effets secondaires que plusieurs mois après la substitution. Les deux « pics » de celle-ci se trouvaient être temporellement associés à la diffusion par des grands médias nationaux de campagnes peu nuancées sur des putatives moindres efficacité et tolérance du générique (fondées sur le témoignage de… deux patients). Les effets indésirables spécifiquement décrits par les articles en question – idées suicidaires, maux de tête… – ont considérablement plus augmenté que d’autres symptômes non mentionnés par la presse [2].

Statines et douleurs musculaires

Les statines sont une classe médicamenteuse largement prescrite au long cours chez les patients présentant une maladie cardiovasculaire ou ayant un risque estimé significatif d’en présenter une. Leur efficacité sur la prévention de ces dernières chez ces patients est un fait solidement documenté, admis par la communauté médicale [3].

Générique et bio-équivalence

Deux formulations de médicaments contenant le même principe actif sont considérées bio-équivalentes lorsque, administrées par la même voie et à la même dose, elles aboutissent à une concentration sanguine du médicament identique. Lors de la commercialisation d’un générique, il est nécessaire de prouver cette bio-équivalence au médicament « princeps » par une étude dédiée répondant à une méthodologie standardisée.

Notons qu’il existe généralement des différences de composition entre générique et princeps portant sur les excipients dont certains peuvent avoir des effets indésirables, notamment chez les gens intolérants à ces derniers. Les symptômes des gens sous générique de venlafaxine en Nouvelle-Zélande n’étaient néanmoins pas attribuables à de quelconques excipients.

Mais voilà, ces médicaments ont dorénavant mauvaise presse. Tout d’abord, au cours de la dernière décennie, la réalité de leur efficacité a été contestée par des livres et reportages télévisés n’ayant pas soutenu cette thèse par une quelconque argumentation scientifiquement rigoureuse et honnête, ce qui ne les a pas empêchés d’avoir une grande audience [4, 5]. Un deuxième argument a également été avancé : celui des effets secondaires.

Le Jeu des muscles, Osmar Schindler (1867-1927)

Car on assiste depuis le milieu des années 2000 à une vague « d’intolérance musculaire aux statines ». Les symptômes décrits sont classiquement des douleurs musculaires (« myalgies » étant le terme médical qui les désigne) touchant les racines des membres, apparaissant dans le mois suivant l’initiation du traitement ou l’augmentation de la dose. Chez une très grande partie des patients qui en souffrent, on ne note pas d’anomalie objectivable, en particulier pas de détection d’une élévation significative d’enzymes musculaires dans le sang – appelées créatines kinases – signant la souffrance des cellules musculaires. D’après des études épidémiologiques observationnelles récentes [6], ces symptômes semblent toucher approximativement 10 % des patients en moyenne, avec de larges variations régionales. Comment expliquer qu’une classe de médicaments d’apparence aussi mal tolérée ait pu avoir une autorisation de mise sur le marché puis être largement prescrite ?

Les raisons d’une discordance

Les études réalisées avant commercialisation des statines étaient des essais thérapeutiques contrôlés (il y a un groupe de patients traités par la molécule à l’étude et un autre traité soit par un autre médicament de référence soit, plus souvent, par un placebo), randomisés (pour chaque patient, l’attribution du traitement étudié ou du placebo dépend du hasard), et en double aveugle (ni le patient, ni le médecin évaluateur ne savent si c’est la molécule testée ou le placebo qui est pris). Cette méthodologie est considérée comme la plus rigoureuse et apportant le plus haut degré de preuve car elle permet de s’affranchir d’un grand nombre de biais entachant les études « observationnelles » où, à l’opposé, les chercheurs n’assignent pas de traitement aux patients pour les besoins de l’étude, celui-ci étant prescrit dans les conditions habituelles de la pratique médicale.

Heures d’angoisse, Julio Romero de Torres (1874-1930)

Les essais thérapeutiques avaient bien identifié de rares cas de myopathies (< 0,1 % des patients traités) différant des simples myalgies par la détection anormale d’enzymes musculaires dans le sang des patients. En revanche, ces études n’avaient pas mis en évidence de différence significative entre la survenue de symptômes d’« intolérance musculaire » chez les patients traités par une statine par rapport à ceux qui prenaient un placebo (11,7 % vs. 11,4 %, selon une méta-analyse) [6].

Comment expliquer ces discordances entre les études épidémiologiques observationnelles et les essais thérapeutiques ? On peut certes soulever une critique récurrente à l’encontre des essais thérapeutiques : les participants ne seraient pas parfaitement représentatifs de la population réelle chez qui ces médicaments seront prescrits. Mais dans le cas des statines, au vu de la taille importante, du nombre et de la diversité des essais réalisés, il est peu probable que cette raison explique entièrement cet écart. Dès lors que les patients se sachant prendre une statine – ce qui est le cas dans les études observationnelles – rapportent plus de symptômes, il est licite de se poser la question d’une participation de l’effet nocebo.

Une étude récemment publiée dans la revue New England Journal of Medicine s’est donné pour objectif d’éclairer le débat [7]. Soixante patients ayant par le passé arrêté leur statine en raison de myalgies survenues dans les quinze jours suivant l’initiation du traitement ont participé à ce protocole. Ils ont reçu quatre tubes contenant de l’atorvastatine (une statine), quatre tubes contenant un placebo, et quatre tubes vides ; les investigateurs leur ont demandé de prendre chaque mois le contenu d’un tube tiré au sort. Les patients ne pouvaient pas distinguer le placebo de l’atorvastatine. L’intensité des effets secondaires était quotidiennement rapportée par les participants via une application smartphone. Le résultat ? Les douleurs musculaires étaient plus fréquentes quand les participants prenaient un comprimé que quand ils n’en prenaient pas, mais il n’y avait pas de différence significative d’intensité des symptômes entre les périodes sous comprimés de placebo ou d’atorvastatine. La part attribuable à un effet nocebo a été estimée à 90 %.

Cette étude ne peut prétendre suffire à clore la controverse et exclure toute cause « organique » aux symptômes des intolérants aux statines, mais elle apporte tout de même des éléments solides en faveur d’une grande part d’effet nocebo.

Le journaliste et l’infarctus

Le problème des « intolérances musculaires » est souvent rapporté de façon particulièrement tendancieuse par les médias. De quoi induire « l’attente » négative préalable à l’effet nocebo, qui déclenchera des symptômes invalidants chez un certain nombre de patients, à la façon d’une prophétie auto-réalisatrice. Or les douleurs musculaires représentent le principal motif d’arrêt des statines par les patients eux-mêmes. Suite à la publication en 2013 du livre du Pr Even La vérité sur le cholestérol, la proportion de patients interrompant leur traitement a significativement augmenté [8]. Une étude danoise a aussi démontré une association entre couverture médiatique « négative » à propos des statines et arrêt de ces traitements, induisant un sur-risque d’infarctus du myocarde et de décès d’origine cardiovasculaire chez les patients les ayant arrêtés [9].

Les médias ont leur pierre à apporter à l’édifice de la santé publique, puisqu’ils permettent de toucher rapidement le plus grand nombre. À ce titre, ils représentent une opportunité majeure pour les sciences médicales, qui peuvent y trouver un moyen aisé d’informer et de sensibiliser la population. L’effet nocebo est le revers pouvant résulter de ce très large accès à l’information telle qu’elle est produite par les médias. Il relève donc de l’éthique journalistique de publier les données scientifiques le plus factuellement possible pour éviter, outre la désinformation, des effets potentiellement désastreux en termes de santé publique.

Références


1 | Colloca L, Barsky AJ, “Placebo and Nocebo Effects”, New England Journal of Medicine, 2020, 382 :554-61.
2 | MacKrill K et al., “Evidence of a Media-Induced Nocebo Response Following a Nationwide Antidepressant Drug Switch”, Clinical Psychology in Europe, 2019, 1 :1-12.
3 | CTT Collaboration, “Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol : a meta-analysis of data from 170 000 participants in 26 randomised trials”, The Lancet, 2010, 376 :1670-81.
4 | Swynghedauw B, « Y aurait-il un grand mensonge du cholestérol ? », Science et pseudo-sciences n° 302, octobre 2012.
5 | « Quand Arte nous trompe sur le cholestérol », Communiqué de l’Afis, 23 octobre 2016.
6 | Newman CB et al., “Statin Safety and Associated Adverse Events : A Scientific Statement From the American Heart Association”, Arteriosclerosis, Thrombosis, and Vascular Biology, 2019, 39 :e38-e81.
7 | Wood FA et al., “N-of-1 Trial of a Statin, Placebo, or No Treatment to Assess Side Effects”, New England Journal of Medicine, 2020, 383 :2182-4.
8 | Bezin J et al., “Impact of a public media event on the use of statins in the French population”, Archives of Cardiovascular Diseases, 2017, 110 :91-8.
9 | Nielsen SF, Nordestgaard BG, “Negative statin-related news stories decrease statin persistence and increase myocardial infarction and cardiovascular mortality : a nationwide prospective cohort study”, Eur Heart J, 2016, 37 :908-16.

1 Ces deux termes proviennent du latin : « placebo » signifie « je plairai », alors que « nocebo » signifie « je nuirai ».