Accueil / Un médecin peut-il prescrire librement ce qu’il veut ?

Un médecin peut-il prescrire librement ce qu’il veut ?

Publié en ligne le 4 janvier 2024 - Santé et médicament -
Introduction du dossier

Dossier coordonné par Jean-Jacques Pik, Jacques Amsilli et Jean-Paul Krivine,
avec la participation de Michel Baussier, Jean Brissonnet, Jacques Cohen, Hervé Foehrenbach, Catherine Hill et Jean-Loup Parier, membres de la commission médecine de l’Afis.
Merci à Quentin Duteil pour son aide.

Un médecin a-t-il toute liberté de prescrire les médicaments qu’il juge adaptés à la situation de ses patients ? Suffit-il qu’un médicament soit disponible en pharmacie pour qu’il puisse être prescrit à un patient ? La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a été l’occasion d’une vive controverse à ce sujet. Un collectif de médecins intitulé « Laissons les médecins prescrire » [1] s’est ainsi constitué pour s’opposer à un décret du gouvernement du 25 mars 2020 (au début du premier confinement) limitant les conditions d’accès à l’hydroxychloroquine pour la prise en charge des malades atteints de Covid-19. Promoteur de cette approche médicamenteuse en dépit de son inefficacité avérée contre cette maladie, ce collectif a parallèlement distillé le doute sur l’innocuité de la vaccination [2] (voir l’article de Matthieu Mulot, « Hydroxychloroquine : prescrire un médicament hors AMM en temps de crise ? »).

Un médecin ne peut pas prescrire « ce qu’il veut »

En réalité, un médecin n’a pas toute liberté pour faire ce qu’il veut et la prescription est fortement encadrée. Elle doit principalement se faire dans le respect des indications de l’autorisation de mise sur le marché du médicament (AMM). L’AMM est délivrée en fonction d’un dossier d’évaluation remis par l’entreprise qui souhaite commercialiser un produit, et précise les indications thérapeutiques pour lesquelles le médicament est autorisé (les maladies qu’il cible), mais également sa posologie (dose et souvent durée du traitement) et le profil des patients auxquels il est destiné. Cette autorisation résulte d’une analyse de son efficacité, des bénéfices attendus, mais également des risques encourus (effets secondaires). La réglementation a cependant prévu des cas particuliers où un médicament, sans disposer d’une AMM, peut néanmoins être utilisé (« accès précoce » et « accès compassionnel » 1). La prescription d’un médicament en dehors de ce cadre réglementaire reste possible, mais alors, le médecin doit pouvoir s’appuyer sur une base scientifique substantielle prouvant une balance bénéfices/risques positive (voir l’article d’Alain Saint-Pierre, « Les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché »). Le Code de déontologie, partie intégrante du Code de santé publique, le rappelle : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance » (article 8) [3].

Ala ad-Din Muhammad droguant ses disciples, Maître d’Egerton, c.1410.

Ainsi, le médecin ne peut prescrire hors AMM que si sa décision correspond aux « données acquises de la science ». En outre, l’article 39 précise que « les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite » et l’article 40 ajoute que « le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié ».
Ainsi, aujourd’hui, le médecin doit pouvoir justifier de fondements scientifiques à sa décision de prescription hors AMM. Par ailleurs, il doit également informer son patient et obtenir son consentement éclairé.

Autorisation des médicaments : trop lente ? trop rapide ?


L’autorisation de mise sur le marché (AMM) est la pierre angulaire du système de régulation des médicaments. Cette procédure administrative par laquelle un industriel sollicite la possibilité de commercialiser un produit constitue une garantie de qualité, d’efficacité et de sécurité pour le prescripteur. Elle repose sur un système de tests et d’évaluations qui permettent de mesurer les bénéfices et les risques d’un médicament et de statuer sur son intérêt pour la santé publique en fonction des maladies visées et des patients concernées.

Néanmoins, des situations spécifiques ont conduit à la mise en place d’un cadre dérogatoire permettant de prescrire en dehors des conditions décrites lors de l’AMM. Les raisons pour ces prescriptions hors AMM sont variées : données de la science en évolution, populations visées sur lesquelles il est difficile ou coûteux de faire des essais cliniques, manque d’intérêt des laboratoires pharmaceutiques pour solliciter ou étendre une AMM, etc.

La réglementation de la prescription hors AMM trouve un prolongement dans un cadre plus général appelé « homologation progressive » (adaptive pathways ou adaptive licensing) promu par différentes agences de santé dans le monde (Agence européenne du médicament [1], Food and Drug Administration aux États-Unis [2] ou encore Santé Canada [3]) qui propose un développement itératif du médicament passant par plusieurs étapes sur des populations de patients progressivement élargies et sur la base d’approbations conditionnelles.

La possibilité de prescrire hors AMM est unanimement reconnue comme nécessaire et utile car elle permet de répondre à des besoins médicaux non satisfaits. Mais des dérives sont craintes par certains professionnels de santé. Ils redoutent en particulier que ces exceptions réglementaires ne soient mises à profit pour affaiblir la procédure d’évaluation du médicament [4]. D’autres, à l’inverse, voient dans ces possibilités un moyen de mieux gérer le dilemme éthique entre « besoins non satisfaits » et « moins de certitudes » et, dans le même temps, favoriser l’innovation [5].

Références
1 | European Medicines Agency, “Adaptive pathways”, 2016. Sur ema.europa.eu
2 | U.S. Food and Drug Administration, “Structured approach to benefit-risk assessment in drug regulatory decision-making”, Draft PDUFA V implementation plan, février 2013. Sur fda.gov
3 | Gouvernement du Canada, « Approche de la vigilance de produit par cycle de vie à Santé Canada », 10 septembre 2021. Sur canada.ca
4 | « AMM “fractionnées” : mise en danger des patients et capture de régulation », conférence-débat, Pilule d’Or Prescrire, 2016. Sur prescrire.org
5 | Eichler HG, “From adaptive licensing to adaptive pathways : delivering a flexible life‐span approach to bring new drugs to patients”, Clin Pharmacol Ther, 2015, 97 :234-46.

Les prescriptions hors AMM justifiées, et celles injustifiées

Les prescriptions hors AMM ne sont pas marginales. Les médecins sont tenus d’indiquer explicitement sur l’ordonnance quand une prescription se fait hors AMM, mais la plupart d’entre eux ne le font pas, que ce soit pour permettre un remboursement par l’Assurance maladie pour un traitement qu’ils jugent indispensable à leur patient 2, ou pour que leur responsabilité ne soit pas engagée [4]. Il est ainsi difficile d’évaluer précisément la proportion exacte de prescriptions hors AMM, mais celle-ci est estimée, en France, à environ 20 % [5].

Homéopathie, phytothérapie : des exceptions réglementaires


Certains produits bénéficient d’exceptions réglementaires et peuvent être dispensés de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM).

Il s’agit en particulier des préparations homéopathiques pour lesquelles les entreprises qui les commercialisent peuvent demander un simple enregistrement. Elles ne peuvent alors plus mentionner d’indication thérapeutique particulière sur l’emballage et les produits doivent avoir un « degré de dilution garantissant [leur] innocuité ». Il n’est alors plus nécessaire d’établir la moindre preuve d’efficacité [1]. Depuis janvier 2021, ces produits homéopathiques ne sont plus remboursés par l’Assurance maladie (selon la Haute Autorité de santé qui a pris la décision : « absence de démonstration d’efficacité » et « absence de démonstration de leur impact sur la santé publique notamment sur leur intérêt pour réduire la consommation d’autres médicaments » [2].

Les médicaments à base de plantes (phytothérapie) bénéficient de dispositions similaires [3]. Une simple procédure d’enregistrement peut être demandée. Il suffit alors de mettre en avant un « usage traditionnel à des fins médicales […] d’au moins trente ans avant la date de la demande, dont au moins quinze ans dans l’Union européenne » ainsi que des éléments prouvant l’innocuité du produit (par exemple, « une étude bibliographique des données de sécurité accompagnée d’un rapport d’expert »). Ces produits ne sont pas remboursés par l’Assurance maladie.

Tous ces produits sont en vente libre dans les pharmacies et ne nécessitent pas d’ordonnance.

Références
1 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Notre périmètre : homéopathie », page web, 2020. Sur ansm.sante.fr
2 | Haute Autorité de santé « Évaluation des médicaments homéopathiques : avis défavorable au maintien du remboursement », 4 novembre 2019. Sur has-sante.fr
3 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Réglementation relative aux AMM et enregistrements », documents de référence, 25 mai 2021. Sur ansm.sante.fr

Dans un rapport conjoint rendu public en 2018, l’Académie de médecine et l’Académie de pharmacie rappellent que « le respect du libellé de l’Autorisation de mise sur le marché […] doit être la règle » [5]. La prescription hors AMM doit donc rester l’exception. Les académies distinguent cependant les prescriptions hors AMM « indispensables à une bonne prise en charge de certains patients (en particulier enfants, personnes âgées, femmes enceintes…) » de celles « injustifiables » qui doivent être proscrites. Entre les deux, il y a sans doute tout un continuum allant des prescriptions hors AMM justifiées à celles relevant de la charlatanerie à mesure que l’on s’éloigne des preuves scientifiques.

Justifiées : des situations très variables selon les domaines

Les situations justifiées correspondent souvent à des populations dans lesquelles les essais cliniques n’ont pas été faits par les industriels (femmes enceintes, enfants, certaines maladies rares) quand ces populations ne représentent qu’une petite partie du marché potentiel du médicament.

Mais pour que la prescription soit justifiée, il doit malgré tout exister une littérature scientifique permettant d’identifier un rapport bénéfices/risques satisfaisant. Dans ces cas-là, la possibilité de prescrire hors AMM est non seulement légitime, mais parfois indispensable. Et le faire ne signifie pas nécessairement se situer en dehors des recommandations des sociétés savantes : il existe de nombreux exemples où ces prescriptions hors AMM justifiées font partie des recommandations de bonnes pratiques.

On estime que 50 % des médicaments prescrits en pédiatrie n’ont pas fait l’objet d’une évaluation chez les enfants et sont donc prescrits hors AMM (pour l’indication, pour l’âge ou pour la posologie) [6]. En gériatrie, la proportion de prescriptions hors AMM dans le traitement de la douleur serait de 34 % [7]. En psychiatrie de l’enfant, ce taux serait également très important [8, 9]. Il en est de même en psychiatrie de l’adulte, où les raisons poussant à prescrire hors AMM sont variées (voir l’article de Fabien Vinckier, « Prescription hors autorisation de mise sur le marché en psychiatrie adulte »).

Enfin, mentionnons le cas de la transition de genre (parcours de soins qui vise à réduire les caractéristiques physiques du sexe de naissance et à développer celles du genre auquel s’identifie la personne) où la prescription de traitements hormonaux se fait hors AMM. Un récent rapport remis au ministre de la Santé précise que, « à ce stade, l’extrême diversité des médicaments et des dosages utilisés, de même que les voies d’administration, ne permettent pas à l’ANSM d’évaluer le [rapport] bénéfice/risque pour un schéma médicamenteux spécifique aux parcours de transition » [10]. Cette question est très sensible car elle soulève de nombreuses controverses où se mêlent des dimensions médicales, éthiques et sociales, particulièrement aiguës quand elles concernent les mineurs (effets secondaires à long terme, réversibilité, consentement éclairé).

Portrait d’un gentilhomme, attr. à Charles Mellin (1597-1649)

Par ailleurs, les préparations magistrales et officinales peuvent combler des manques dans les médicaments autorisés disponibles (voir encadré ci-dessous). Toutefois, les conditions strictes de prise en charge alliées aux exigences de sécurité croissantes concernant les locaux et le matériel nécessaires à leur fabrication font que ces préparations sont de plus en plus rares et que de moins en moins d’officines ont la possibilité d’en réaliser. En outre, sur le plan économique, les matières premières coûtent cher et sont souvent proposées en grandes quantités, risquant d’être perdues compte tenu du faible nombre de préparations effectuées.

Injustifiées : éthique et charlatanisme

S’agissant des prescriptions hors AMM « injustifiables », les deux académies soulignent les risques pour les patients et mettent en cause, pour expliquer ces pratiques, « des connaissances insuffisantes ou obsolètes, une méconnaissance des recommandations des pouvoirs publics, des habitudes erronées de prescription, la référence à des informations insuffisamment validées ». Ajoutons la pression de certains patients influencés par de fausses informations circulant dans certains médias ou sur les réseaux sociaux.

Les préparations magistrales et officinales


Une préparation magistrale est un « médicament préparé au vu de la prescription destinée à un patient déterminé ». Une préparation officinale est un « médicament préparé en pharmacie, inscrit à la pharmacopée ou au formulaire national » (Code de la santé publique).

Les critères de prise en charge par l’Assurance maladie
L’objectif thérapeutique. Seules les préparations poursuivant à titre principal une visée thérapeutique sont prises en charge, ce qui exclut les préparations à visée cosmétologique, diététique ou d’hygiène comme les préparations à base de DHEA 3, de bêta-carotène, de créatine, etc.

L’efficacité thérapeutique. Les préparations à base de plantes (quelle que soit leur forme : poudre, extraits secs, extrait hydroalcoolique, etc.) et d’oligo-éléments ne sont pas prises en charge en raison d’une efficacité mal établie et d’une place mineure dans la stratégie thérapeutique.

L’absence de spécialités ou produits équivalents. Les préparations pour lesquelles il existe des spécialités pharmaceutiques ou produits commercialisés (remboursables ou non remboursables) et répondant au même usage thérapeutique ne sont pas prises en charge […].

L’inscription à la pharmacopée de toutes les matières premières. Pour qu’une préparation puisse faire l’objet d’une prise en charge, toutes les matières premières entrant dans sa composition doivent être inscrites à la pharmacopée (nationale [1] ou européenne [2]).

Les modalités de prescription
Le médecin voit désormais sa responsabilité engagée lorsqu’il prescrit une préparation magistrale ou officinale. S’il estime, au regard de la pathologie de son patient et des différents traitements disponibles, que la préparation respecte les règles de prise en charge, il inscrit sur l’ordonnance la mention « prescription à but thérapeutique en l’absence de spécialités équivalentes disponibles ». Cette mention sur l’ordonnance conditionne la prise en charge par l’Assurance maladie de la préparation magistrale ou officinale qu’il prescrit.

Il faut souligner que seul le médecin a la responsabilité d’apprécier qu’il est bien dans le cadre des maladies rares, orphelines, maladies chroniques d’une particulière gravité ou pathologies pour lesquelles certaines préparations restent remboursables. Dans les autres cas, il ne doit pas inscrire cette mention sur l’ordonnance ; la préparation ne pourra pas faire l’objet d’une prise en charge par l’Assurance maladie.

Source
Assurance maladie, « Préparations magistrales et officinales », 13 décembre 2021. Sur ameli.f

Références
1 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « La Pharmacopée française », 10 janvier 2023. Sur ansm.sante.fr
2 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « La Pharmacopée européenne », 30 décembre 2022. Sur ansm.sante.fr

Les médicaments coupe-faim sont emblématiques des prescriptions hors AMM dans la mesure où ils sont une composante de plusieurs scandales retentissants (Isoméride puis Mediator). Rappelons néanmoins que le cœur de ces scandales réside dans la tromperie du laboratoire Servier et la complaisance de l’Agence du médicament. Le premier a été condamné en 2021 en première instance pour tromperie aggravée et les deux pour homicides involontaires et blessures involontaires. Dans le cas du Mediator, les seules prescriptions explicitement hors AMM (indiquées comme telles sur l’ordonnance) ont représenté entre 20 % et 35 % selon les évaluations [11]. Nous sommes là dans un cas typique de situation injustifiée où un médicament ayant une autorisation pour la prise en charge de patients atteints de diabète a été prescrit comme coupe-faim. Le sujet des médicaments coupe-faim reste très controversé (voir l’article d’Emmanuelle Sokol « Maigrir à tout prix ? »).

En France, la prévalence de l’obésité globale était estimée à environ 17 % en 2020 (même proportion pour les hommes et pour les femmes) [12]. Mais le marché de la perte de poids est bien plus important. Une enquête menée en 2007 indiquait que près de 50 % des femmes de corpulence normale interrogées ont suivi un régime pendant l’enquête ou l’année précédente. Dans ce contexte, en 2015, l’ANSM met en garde contre la prise de médicaments ou de compléments alimentaires sans justification ni suivi médical [13]. L’agence pointe les achats sur Internet, le recours à des méthodes pouvant relever du charlatanisme (« [association de] conseils hygiéno‐diététiques et des méthodes diverses à base de massages, de cabines à infrarouges, d’appareils d’électrothérapie, à ultrasons ou de drainage lymphatique ») ainsi que l’usage détourné de médicaments (laxatifs, diurétiques, pseudo‐éphédrine vendus sans ordonnance). Elle demande aux médecins, dans le cadre d’une démarche de perte de poids, de ne pas prescrire de médicaments hors AMM et de ne pas prescrire de préparation magistrale.

Enfin, dernier exemple, le cas singulier du baclofène, molécule utilisée en neurologie, qui bénéficie maintenant, après une véritable saga d’une dizaine d’années, d’une AMM pour la prise en charge des patients atteints de troubles liés au mésusage d’alcool. L’affaire était partie de l’expérience personnelle d’un médecin (voir l’article de Jean-Jacques Pik et Thierry Kin, « Baclofène et alcool : la saga atypique d’un médicament »).

Une pharmacie, anonyme français, c.1700

Il existe enfin, en dehors du cadre de la recherche de perte de poids, des pratiques clairement charlatanesques, malheureusement encore largement relayées par une partie de la presse. Citons le cas de la maladie de Lyme dite « chronique » où des traitements sans aucune base scientifique sont promus en dehors de tout cadre réglementaire par certains praticiens (cures antibiotiques au long cours par exemple) [14]. C’est également le cas, encore aujourd’hui, de l’hydroxychloroquine contre la Covid-19 (prouvée comme sans effet sur la maladie, mais avec des risques bien établis), à tel point que l’ANSM a dû émettre un nouvel avertissement en avril 2023 [15]. Autre exemple : l’usage de la cyproheptadine (médicament indiqué dans le traitement symptomatique des manifestations allergiques) à des fins esthétiques, avec des risques associés ayant conduit l’ANSM à émettre une alerte en 2022. [16]. Dans tous ces exemples, la pression des patients s’informant sur les réseaux sociaux peut être très forte (voir l’encadré en fin d’article « Un phénomène de société à ne pas méconnaître : le hors AMM des patients »).

Conclusion

La prescription médicamenteuse est un vaste sujet, bien plus large que ce qui est abordé dans ce dossier de Science et pseudo-sciences. L’information médicale et la formation continue des professionnels de santé, le marketing des laboratoires, les visiteurs médicaux, ou encore les processus de pharmacovigilance sont autant de dimensions que ce dossier ne pouvait qu’évoquer sans les traiter sur le fond.

Références


1 | Le site du collectif « Laissons les médecins prescrire ». Sur stopcovid19.today
2 | « Un site sème le doute sur la vaccination », Le Temps, 20 mars 2021. Sur letemps.ch
3 | Conseil national de l’Ordre des médecins,« Code de déontologie médicale », février 2021. Sur conseil-national.medecin.fr
4 | Laude A, « Dans la tourmente du Mediator : prescription hors AMM et responsabilités », Recueil Dalloz, 2011, 4 :253-8.
5 | « Les prescriptions médicamenteuses hors AMM (Autorisation de mise sur le marché) en France : une clarification est indispensable », Rapport de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie, novembre 2018. Sur academie-medecine.fr
6 | « Prescription et populations particulières : médicaments en pédiatrie », Vidal, 5 février 2015. Sur vidal.fr
7 | « La prescription et délivrance de médicaments hors AMM », Conseil national de l’Ordre des médecins et Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, septembre 2020. Sur conseil-national.medecin.fr
8 | Perraudin M et al., « La prescription hors autorisation de mise sur le marché (hors AMM) en pédopsychiatrie », L’information psychiatrique, 2018, 94 :101-7.
9 | Winterfel U et al., « Utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM) des psychotropes en pédiatrie : une étude prospective », Archives de pédiatrie, 2009, 16 :1252-60.
10 | Picard H, Jutan S, « Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans », janvier 2022. Sur sante.gouv.fr
11 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Pharmacovigilance », Commission nationale de pharmacovigilance exceptionnelle, compte rendu de la réunion,15 novembre 2010. Sur archive.ansm.sante.fr
12 | Inserm, « Obésité et surpoids : près d’un Français sur deux concerné : état des lieux, prévention et solutions thérapeutiques », communiqué de presse, 20 février 2023. Sur presse.inserm.fr
13 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Point sur les risques liés à l’utilisation des produits de santé à des fins d’amaigrissement. », actualités, 5 mars 2021. Sur ansm.sante.fr
14 | Krivine JP, « Les “Lyme doctors” : un risque pour les patients », SPS n° 322, octobre 2017. Sur afis.org
15 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « L’ANSM rappelle que l’hydroxychloroquine, l’azithromycine et l’ivermectine ne constituent pas des traitements du Covid-19 », actualités, 5 avril 2023. Sur ansm.sante.fr
16 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Periactine 4 mg (cyproheptadine) : risques liés à l’utilisation non conforme comme orexigène à des fins esthétiques », informations de sécurité, 20 janvier 2022. Sur ansm.sante.fr

Un phénomène de société à ne pas méconnaître : le hors AMM des patients


Même si, pour reprendre les termes du rapport de l’Académie de médecine de 2022 sur la perception du risque médicamenteux par le public, la défiance voire l’hostilité à l’égard des médicaments n’est le fait que d’une minorité de la population, il faut convenir que cette minorité très active, bruyante sur les réseaux sociaux, est surévaluée par les médias et les pouvoirs publics. Valorisant le « naturel » au détriment de l’artificiel (entendez le médicament), ces citoyens manifestent par ailleurs beaucoup de défiance à l’égard de l’expertise scientifique dont ils contestent l’indépendance et donnent souvent le pas au témoignage vécu sur le savoir rationnel. Aussi, quand ils condescendent à prendre un médicament, le strict respect des conditions de l’AMM est bien le cadet de leurs soucis. Certains révisent les posologies de leurs traitements ou leurs durées (au risque de favoriser une antibiorésistance quand il s’agit d’antibiotiques) en fonction de leur seule perception du risque médicamenteux et au motif qu’il n’est jamais bon de prendre « trop » de médicaments ou de s’en rendre dépendants.

À l’opposé et paradoxalement, à l’ère du « tout sécuritaire » et de la domination de l’idéologie de la précaution, nombre d’associations de patients s’indignent des « retards » de mise à disposition de certains produits encore en évaluation et nombre de patients font pression sur leur médecin pour obtenir la prescription hors AMM de produits dont ils ont entendu vanter les supposés mérites sur les réseaux sociaux, à plus forte raison lorsqu’ils considèrent les traitements autorisés qu’ils reçoivent comme insuffisamment efficaces.

Les prescriptions hors AMM d’hydroxychloroquine à la demande instante des patients (il a même pu s’agir d’ultimatums) à laquelle il était difficile aux praticiens de résister, sauf à être accusés de non-assistance à personne en danger pendant la pandémie de Covid-19, est un cas de figure particulièrement illustratif. Tout rappel du prescripteur à la nécessité du respect de l’AMM était alors illusoire et contre-productif, aux limites de la provocation. En revanche, dans le contexte de cette pandémie, il faut bien reconnaître que les prescriptions hors AMM d’ivermectine, de fluvoxamine et de colchicine n’ont résulté que de décisions médicales.

[…] Un point très positif est que la pandémie de Covid-19 aura permis aux journalistes, à l’occasion de débats de caractère souvent très vif, de mieux maîtriser les notions de niveau de preuve et de balance bénéfices/risques des médicaments. Par la même occasion, elle aura permis au public de comprendre ce qu’est une AMM et d’en admettre, dans sa grande majorité, la nécessité, malgré l’érosion de sa confiance dans l’expertise scientifique et sa suspicion vis-à-vis des institutions de santé.

Extrait de : Bouvenot G, « À propos des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) : réflexions sur l’évolution de l’image de l’AMM chez le prescripteur et dans le public en France », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2023, 207 :165-70.

1 Anciennement : autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et recommandations temporaires d’utilisation (RTU).

2 Un traitement prescrit en dehors du cadre réglementaire (AMM, accès compassionnel ou accès précoce) n’est pas pris en charge par l’Assurance maladie.

3 Hormone naturellement présente dans l’organisme à qui l’on prête des propriétés diverses (contre le vieillissement par exemple) [Note de la rédaction].