Accueil / Véracité et preuve des allégations marketing

Véracité et preuve des allégations marketing

Publié en ligne le 21 janvier 2021 - Santé et médicament -

Selon la réglementation européenne, on désigne par cosmétique « toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles » [1]. Ainsi, aucun produit administré par voie orale ou nasale, par voie d’injection intramusculaire ou intraveineuse ou par voie anale ne sera considéré comme « cosmétique ». La « cosmétique orale » n’existe pas ! Quel qu’il soit, un produit cosmétique est administré par voie topique, c’est-à-dire sur les parties externes du corps, ce qui inclut les lèvres, les dents et les muqueuses nasales (pour les parfums) et génitales externes. C’est un des critères primordiaux qui distinguent le produit cosmétique d’un aliment ou d’un médicament. Le second critère important est sa fonction indiquée ouvertement ou implicitement par le fabricant (nettoyer, parfumer, protéger…).

Pénétration et action d’un produit cosmétique

On entend parfois qu’un produit cosmétique ne doit agir qu’à la surface de la peau et non pas dans les couches plus profondes, sinon il serait un médicament. En réalité, la réglementation ne contient aucune clause de cette nature, elle exige juste que l’administration du produit se fasse par voie externe. Pour un certain nombre de substances, les propriétés de pénétration cutanée sont plus ou moins bien connues, mais pour la majorité des 20 000 substances énumérées dans la nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques (INCI, International Nomenclature of Cosmetic Ingredients) [2] ce n’est pas le cas. Un ingrédient d’un produit cosmétique donné qui pénètre à travers la couche cornée vers l’épiderme, voire le derme et l’hypoderme, a de fortes chances d’interagir avec les cellules, les enzymes et les macromolécules de la peau. Cette interaction est parfaitement capable (et réglementairement autorisée) d’avoir des effets bénéfiques qui conduisent à des améliorations de l’état et de l’apparence de la peau, ce qui est un des buts affichés des produits cosmétiques.

Les allégations marketing

Depuis 1993 (6e amendement de la directive de 1976), le législateur exige que « lorsque la nature ou l’effet du produit cosmétique le justifie, les preuves de l’effet revendiqué par le produit cosmétique » soient incluses dans le dossier d’information sur le produit. En 2013, un réglement de la Commission européenne a précisé les six critères exigés [3] : véracité, éléments probants, honnêteté, sincérité, équité, choix en connaissance de cause. Mais, sur le terrain, il est possible de présenter un produit en parfait accord avec les critères de la réglementation sans pour autant que toutes les questions sous-jacentes soient véritablement éclaircies (voir encadré).

Les tests sur les animaux

Affiche publicitaire de 1881, Jules Chéret (1836-1932)

En 1993, la Commission européenne envisage pour la première fois d’interdire la vente de produits cosmétiques qui auraient été testés pour leur innocuité sur des animaux [4]. Mais, faute de méthodes alternatives aux tests de toxicité (qui comprennent en général l’irritation cutanée, l’irritation oculaire, la toxicité orale, la sensibilisation et les éventuels génotoxicités), la directive n’entre en vigueur qu’en 2004 et ne concerne que l’interdiction d’effectuer ces tests sur le territoire de l’Union européenne et pour les produits finis. En 2009, l’interdiction de faire des tests sur les animaux s’étend aux ingrédients eux-mêmes, à l’exception des effets sur la santé les plus complexes chez l’Homme (cancer, allergies). Jusque-là, l’interdiction ne s’appliquait qu’aux laboratoires de toxicologie de l’Union européenne, mais en 2009, la mise sur le marché des produits cosmétiques qui auraient été testés sur des animaux est interdite, quel que soit l’endroit du monde où les tests auront été effectués. Ceci inclut les produits cosmétiques dont un ou plusieurs ingrédients ont été testés sur animaux. En 2013, qu’une méthode de test non basée sur animal existe ou non, soit validée ou non, aucun produit cosmétique ne peut être vendu dans l’Union européenne si le produit ou certains de ses ingrédients ont été testés sur des animaux. Cette clause pose de très gros problèmes d’interprétation aux juristes : peut-on utiliser un ingrédient qui aurait été testé sur des animaux pour une éventuelle utilisation non cosmétique (pharmacie, nutrition, industrie), mais qui aurait aussi une utilité cosmétique, même si les tests n’ont pas été faits pour satisfaire les exigences (qui sont évidemment d’assurer la sécurité des produits cosmétiques) de la législation ? La jurisprudence à ce jour n’est pas claire.

Dans la pratique, avec le développement plus ou moins récent des méthodes alternatives sur peau humaine reconstruite pour l’irritation, et des méthodes plus complexes pour l’allergénicité et la sensibilisation, il n’y a plus aucun produit cosmétique vendu légalement dans l’Union européenne qui aurait été testé sur des animaux, ou qui aurait eu un de ses composants testé sur des animaux. L’interdiction des tests sur animaux pour les produits cosmétiques commence à être envisagée dans d’autres régions du monde (États-Unis, Chine…).

Conclusion

L’achat d’un produit cosmétique obéit principalement à des critères non conscients et hédonistes : texture, toucher, odeur, beauté d’emballage, réputation de la marque ou des vedettes de cinéma qui incarnent la publicité… Il a été démontré récemment à quel point l’état émotif d’une personne peut même agir sur la physiologie de la peau [5]. Si trois substances anciennes (acide acétylsalicylique – ou aspirine –, paracétamol et ibuprofène) suffisent pour traiter le mal de tête de milliards de personnes, l’imaginaire qui accompagne l’usage des produits cosmétiques laisse la place pour des milliers de crèmes qui « aident à estomper les ridules », « lissent le visage » et « rajeunissent l’éclat », en ayant recours à des formulations et des ingrédients différents. Rappelons cependant que les produits d’hygiène et de protection solaire apportent également un bénéfice sanitaire réel important, au-delà du seul plaisir.

Références


1 | Union européenne, « Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques », 2009. Sur eur-lex.europa.eu
2 | La nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques. Sur personalcarecouncil.org
[3 | Union européenne, « Règlement (CE) n° 655/2013 du Parlement européen et de la Commission du 10 juillet 2013 établissant les critères communs auxquels les allégations relatives aux produits cosmétiques doivent répondre pour pouvoir être utilisées », 2013. Sur eur-lex.europa.eu
4 |“Ban on animal testing for cosmetics”, sur le site de la Commission européenne, ec.europa.eu
5 | Morikawa T et al., “Can your mind make you more beautiful ?”, Proceedings IFSCC congress, Munich, Sept. 2018, paper 163.

Des allégations réglementaires mais peu informatives


« La crème “Contour des yeux” contient une formule riche en actifs végétaux. Cette crème concentre l’énergie de la peau sur la réparation des rides et ridules du contour de l’œil. Elle apporte en continu des antioxydants, stimule la production de collagène pour redonner densité et élasticité, et lisse immédiatement les petites flétrissures. Elle adoucit et satine la peau. Utilisez-la, votre regard sera plus éclatant, plus jeune, plus neuf. Pour longtemps. »

Cette description fictive reprend des éléments d’affirmations marketing réelles que l’on retrouvera facilement sur Internet. Mais l’objectif ici n’est pas de focaliser sur une marque ou un produit particulier. Ce langage est soigneusement choisi, il ne promet pas de miracle si on le lit et on le comprend bien.

« Une formule riche en actifs végétaux ». La liste des ingrédients (obligatoirement disponible sur l’emballage, l’étiquette ou une notice jointe) permet éventuellement de savoir de quelles plantes il s’agit (mais uniquement le nom latin qui ne renseigne en rien sur la nature des « actifs » extraits des fleurs, des feuilles ou des racines). La « richesse » en actifs n’est pas quantifiée ni accessible au consommateur. Et, de toutes les façons, même si le taux de resvératrol, de vitamine E ou d’allantoïne dans la formule était indiqué, l’acheteur du produit aurait toujours beaucoup de mal à savoir si les quantités présentes sont suffisantes pour une activité réelle. Ce qui marquera davantage l’utilisateur, ce sont les phrases qui suivent : « Cette crème concentre l’énergie de la peau sur la réparation des rides et ridules du contour de l’œil. » Quelle « énergie » ? Quelle « réparation » ? Les termes sont vagues, mais conformes à l’exigence réglementaire qui autorise l’usage des mentions « modifier l’aspect » et « maintenir en l’état ».

« Elle apporte en continu des antioxydants [et elle] stimule la production de collagène pour redonner densité et élasticité. » Rien n’est précisé quant à la nature, le taux et la durée du « en continu » de l’apport en antioxydants, en supposant que l’on sache évaluer l’impact d’un apport. Quant à la production de collagène dans la peau, ce qui est effectivement considéré par les experts comme favorable à une densification et une éventuelle diminution des rides et ridules [1], le texte se garde bien de toute quantification et de toute affirmation sur le délai pour l’observation d’un éventuel effet. Enfin, pour ce qui est des actions de « [lisser] immédiatement les petites flétrissures » et d’« [adoucir] et [satiner] la peau », il est probable qu’une crème riche et bien formulée permette de lisser, adoucir et satiner la peau dès l’application.

Que pouvons-nous conclure de cette analyse ? Le produit est parfaitement en accord avec les textes réglementaires. Il est à peu près certain que les extraits végétaux utilisés dans cette formule contiennent des substances du type polyphénols connus comme antioxydants, et qu’un ingrédient particulier (développé par la marque ou acheté à un fournisseur) a été testé pour sa capacité de stimuler la synthèse de collagène dans un modèle adapté aux exigences du critère des « éléments probants » de la réglementation. Les études sur lesquelles se basent ces allégations ne sont pas publiées (il n’y a aucune obligation), mais sont accessibles à l’inspection éventuelle par les autorités. Des études cellulaires, sur peaux isolées ou sur volontaires (mais jamais sur animaux), sont effectuées selon le besoin du niveau de justification (objectivation) des allégations. En revanche, il est à peu près aussi certain que si une personne lit le texte dans une page de publicité, elle y voit plus que ce qui est écrit…

Références
1 | Tucker-Samaras S et al., “A stabilized 0.1 % retinol facial moisturizer improves the appearance of photodamaged skin in an eight-week, double-blind, vehicle-controlled study”, J Drugs Dermatol, 2009, 8 :932-6.

Publié dans le n° 333 de la revue


Partager cet article


L' auteur

Karl Lintner

Docteur en biochimie. Il a trente ans d’expérience dans le domaine de la cosmétique en tant que directeur (...)

Plus d'informations