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Vérité et plausibilité

Publié en ligne le 13 septembre 2011 - Attentats du 11 septembre -

Tout le problème des conspirations est celui de leur plausibilité a priori. Imaginer que tout a été manigancé de l’intérieur et qu’on a inventé des terroristes saoudiens n’est simplement pas crédible. Mais les conspirations rencontrent d’autres problèmes du même genre : si tout a été fabriqué, cette conspiration implique-t-elle un grand nombre de personnes (la Maison Blanche, le FBI, le Pentagone, la plupart des experts ayant étudié les attentats, etc.) ou un petit nombre (quelques individus félons mais haut placés) ?

Dans le premier cas, comment se fait-il qu’il n’y a eu aucune fuite depuis lors, dans un pays où il y a eu les papiers du Pentagone, le Watergate, l’Iran-Contragate, Philip Agee 1, Wikileaks et les mémos de Downing Street 2 ? Aucune confession, même sur un lit de mort ? De plus, il faut une certaine bonne volonté pour imaginer que, dans un pays où il y a tant de fuites, un dirigeant quelconque serait assez fou pour mettre sur pied une gigantesque conspiration en espérant garder le tout secret.

Dans le second cas (une conspiration due à un petit nombre d’individus félons), on doit supposer une incompétence inouïe du reste de l’appareil d’État. Or, l’un des principaux arguments conspirationnistes est que, à moins qu’il y ait eu conspiration, l’appareil d’État ne peut pas avoir été incompétent au point de laisser passer les avions sans les intercepter, etc. Mais si une conspiration due à un petit nombre d’individus félons avait eu lieu sans être découverte, alors l’appareil d’État aurait fait preuve d’une incompétence bien plus grande encore que celle dont il est accusé pour le 11 septembre. De plus, comment imaginer que des milliers de conspirationnistes découvrent les ficelles du complot, tout en étant assis derrière leur ordinateur, mais que le FBI en soit incapable (à moins de revenir à l’idée d’une méga-conspiration impliquant aussi l’essentiel du FBI) ?

Pour établir la réalité d’événements historiques, les seuls moyens vraiment fiables sont les preuves matérielles, tels des documents (authentiques). Les témoignages ou les arguments du style « il est impossible que cela se soit passé selon le scénario avancé » sont toujours de bien moindre qualité que les preuves matérielles. Or il n’y a aucune preuve de ce type dans les discours conspirationnistes.

Tout le mouvement « pour la vérité sur le 11 septembre » se concentre sur les « impossibilités techniques » prétendument liées aux attentats : la forme du trou dans le Pentagone, la rapidité de la chute des tours, etc. Mais ces problèmes techniques sont en fait très compliqués – on ne devient pas expert et aéronautique et en résistance des matériaux en quelques heures. De plus, le moins qu’on puisse dire, c’est que des expériences comme le 11 septembre ne sont pas faites tous les jours (heureusement). Or comment savoir ce qui se passe dans des phénomènes compliqués impliquant des centaines de variables sans faire d’expériences ? Il ne faut pas imaginer que « La Science » a une réponse a priori à toutes ces questions, et en tout cas pas une réponse évidente pour le profane (même si des explications a posteriori peuvent être avancées). Il existe d’ailleurs des sites consacrés à la réfutation des arguments techniques des conspirationnistes (par exemple http://www.debunking911.com/ ou, en français, http://www.bastison.net), mais ces contre-arguments sont toujours jugés comme n’étant pas « suffisamment scientifiques » par les adeptes des conspirations. Étant moi-même scientifique, je trouve souvent ces contre-arguments assez techniques et compliqués. Mais je me demande toujours comment des non-scientifiques peuvent être si sûrs de leur caractère insatisfaisant. C’est pourquoi je préfère m’en tenir aux arguments simples de plausibilité.

1 Ex-agent de la CIA et auteur du remarquable Journal d’un agent secret : Dix ans dans la CIA, éd. Seuil (1976). https://fr.wikipedia.org/wiki/Phili....

2 Mémos internes au gouvernement britannique qui révèlent l’ampleur du complot contre la paix organisé par les gouvernements américains et britanniques avant la guerre contre l’Irak.. Curieusement, les adeptes des conspirations n’insistent jamais sur ces documents, pourtant publiquement disponibles, et qui en disent long sur le cynisme absolu de la politique américano-britannique.