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Retour sur l’affaire du Levothyrox

Publié en ligne le 10 octobre 2025 - Santé et médicament -
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Introduction du dossier
coordonné par Jean-Paul Krivine
Merci à la commission médecine de l’Afis pour ses commentaires et suggestions.


Le Levothyrox est un médicament utilisé pour traiter l’hypothyroïdie, une affection dans laquelle la glande thyroïde ne produit pas suffisamment d’hormones ; il est aussi prescrit en cas d’ablation de la thyroïde. L’hypothyroïdie est trois fois plus répandue chez les femmes que chez les hommes. Sans traitement, elle peut entraîner une fatigue chronique, une prise de poids, des troubles cardiovasculaires, voire être fatale dans les cas les plus graves [1]. Le Levothyrox est un traitement hormonal substitutif à base de lévothyroxine, une hormone thyroïdienne de synthèse mise au point dans les années 1950 [2], qui permet de réguler le métabolisme et de maintenir l’équilibre de nombreuses fonctions corporelles. En France, en 2017, au moment où l’affaire du Levothyrox commence, le laboratoire Merck était la seule entreprise à commercialiser un comprimé à base de lévothyroxine [3]. Biogaran qui commercialisait un générique avait cessé de le vendre en France en 2016. En cause, une différence de biodisponibilité avec le médicament de Merck qui avait déséquilibré certains patients, et le désintérêt de ces derniers, renforcé par une mise en garde de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en 2010 [4, 5]. Il existait par ailleurs une formule en gouttes buvables, mais utilisée très marginalement. On estime alors, en France, à environ trois millions le nombre de personnes sous Levothyrox.

Fatiguée, Ramon Casas (1886-1932)

Le changement de formule

Le changement de formule à l’origine de l’affaire résulte d’une demande de l’ANSM qui avait constaté en 2012 l’instabilité du principe actif de la formulation existante (la teneur en lévothyroxine pouvait varier d’un lot à l’autre ou au cours du temps). La stabilité des produits à base de lévothyroxine est importante dans la mesure où il s’agit de médicaments dits « à marge thérapeutique étroite », où de petites variations par rapport à la teneur attendue peuvent provoquer des effets importants.

En mars 2017, la nouvelle formule du médicament est introduite sur le marché. Si pour l’écrasante majorité des personnes sous Levothyrox la transition s’est effectuée sans problème, cela n’est pas le cas pour certaines. Au total 1, 43 % des utilisateurs ont signalé des effets indésirables en lien avec la nouvelle formule du Levothyrox, constituant cependant une fréquence « totalement inattendue » selon l’ANSM [6]. Le sujet enflamme l’espace médiatique et les réseaux sociaux (voir l’article de Jean-Paul Krivine, « Chronologie de l’affaire du Levothyrox »). Des associations se sont constituées et ont dénoncé le mépris des autorités et des fautes majeures.

Quelles explications ?

La composition de la nouvelle formule est-elle en cause ? La nouvelle formule du Levothyrox a été jugée par les autorités sanitaires équivalente à l’ancienne. Cette bioéquivalence réglementaire vise simplement à démontrer l’équivalence moyenne des deux formulations, sans pour autant garantir une stricte équivalence au niveau individuel. Une étude publiée en 2019 et reprenant les données individuelles, qui avaient été rendues publiques, de l’essai clinique réalisé par le laboratoire Merck a suggéré que, malgré la démonstration d’une bioéquivalence moyenne, l’équivalence n’était pas observée chez de nombreux sujets de l’étude réglementaire (voir l’article de Catherine Hill, « L’affaire du Levothyrox : la nouvelle formule n’était pas équivalente à l’ancienne »). Les conclusions à tirer de cette étude restent toutefois discutées entre scientifiques, ce dont témoignent notamment les lettres à l’éditeur après la publication de l’étude de 2019.

L’ANSM et l’Assurance maladie ont mené une vaste étude pharmaco-épidémiologique (plus de deux millions de patients) afin d’évaluer rétrospectivement les conséquences du passage à la nouvelle formule du Levothyrox (étude EpiPhare [7]). Publiée en juin 2019, elle « ne met pas en évidence d’augmentation de survenue de problèmes de santé graves » mais « une nette augmentation des recours aux soins ambulatoires concentrée sur la période d’août à octobre 2017 et une hausse relative de l’utilisation de certains médicaments comme les benzodiazépines ». Ainsi, l’ANSM et l’Assurance maladie, tout en reconnaissant « la survenue possible de déséquilibre thyroïdien, pour un nombre restreint de patients, au passage de l’ancienne à la nouvelle formule », n’identifient pas « d’argument en faveur d’une toxicité propre de la nouvelle formule du Levothyrox ». L’enquête de pharmacovigilance publiée en 2018 et qui décrit les symptômes déclarés par les patients indique que, dans un tiers des cas pour lesquels les données étaient disponibles (mesure de la TSH 1), un déséquilibre thyroïdien, parfois dans le sens hypothyroïdien, parfois dans le sens hyperthyroïdien, était confirmé. Mais dans le reste des cas (environ les deux tiers), aucun déséquilibre n’était constaté [8].

La Médecine (détail), Gustav Klimt (1862-1918)

L’emballage de la nouvelle formule du Levothyrox différait légèrement par la bande de couleur sur la boîte et le blister, assurant une harmonisation européenne. Les informations transmises par le fabricant et l’ANSM ont été très sommaires : simple courrier de l’ANSM aux professionnels de santé recommandant notamment de surveiller l’équilibre thérapeutique chez certains patients à risque [7]. Ces éléments ont-ils contribué à augmenter le nombre d’effets secondaires déclarés ? Quelle responsabilité de l’emballement médiatique ? Le rapport Epi-Phare de l’ANSM et de l’Assurance maladie a procédé à une « interprétation des résultats à la lumière d’autres informations disponibles », notamment des changements de formules similaires opérés dans d’autres pays. Cette analyse, selon leurs auteurs, apporte « des arguments supplémentaires en faveur de l’absence de toxicité propre à la nouvelle formule du Levothyrox » et au fait que les patients ont pu être conduits « à attribuer au changement de formulation des symptômes sans lien avec le traitement » (voir la reproduction de cet extrait du rapport dans ce dossier). Pour certains cliniciens, au regard des connaissances sur l’hypothyroïdie, l’ampleur de la crise du Levothyrox ne s’explique pas par la nouvelle formulation. Sans nier la réalité des symptômes apparus ni leur retentissement chez certains malades, ils mettent en avant un effet nocebo amplifié par les médias et les réseaux sociaux (voir l’article d’Alexandre Pariente et Jacques Amsilli, « Levothyrox : les doutes sur la responsabilité de la nouvelle formulation du médicament dans la crise »).

L’accompagnement des patients

Les patients n’ont-ils pas été écoutés par leurs médecins ? Le rôle d’un médecin est bien entendu d’écouter son patient, et les symptômes rapportés sont à prendre en considération. Il est probable que la quasi-totalité des médecins ont écouté leurs patients. Mais la reconnaissance des symptômes rapportés doit-elle s’accompagner ipso facto de l’acceptation de l’interprétation donnée par le patient, quand interprétation il y a ? Bien évidemment non. Sinon, le métier de médecin n’aurait plus de raison d’être, particulièrement à l’heure d’Internet, de l’intelligence artificielle et des réseaux sociaux où l’on peut très facilement se faire une opinion – justifiée ou non – sur les causes de ses symptômes.

En correctionnelle, le laboratoire Merck et l’ANSM ont été condamnés pour défaut d’information. Le constat d’une défaillance d’information, tant vis-à-vis des patients que des professionnels de santé, avait d’ailleurs été fait dès la fin 2017 par le ministère de la Santé [9].

Si l’on compare les indications données par les autorités belges lors d’un changement de formule opéré en 2014 avec celles des autorités françaises en 2017, on constate que les premières ont précisé que « le passage à la nouvelle formule doit se faire sous surveillance médicale » avec un « suivi attentif » [10, 11]. De son côté, l’ANSM s’est contentée d’indiquer que « les modalités de prise de la nouvelle formule sont les mêmes que pour l’ancienne formule et les dosages restent inchangés ». Elle n’a proposé de contacter son médecin pour un contrôle de TSH quelques semaines après le début de la prise de la nouvelle formule qu’en cas d’événement indésirable ou dans certains situations particulières (cancers, maladies cardiovasculaires, etc. ) [12].

Quelles conclusions tirer ?

Plusieurs facteurs ont ainsi pu contribuer à expliquer l’affaire du Levothyrox telle qu’elle s’est développée en France :

  • une communication très sommaire de l’ANSM et de l’entreprise Merck ;
  • une nouvelle formule qui, bien que plus stable, ne présentait pas une bioéquivalence individuelle ;
  • un effet nocebo renforcé par l’extraordinaire emballement médiatique.

L’importance relative donnée à ces différents éléments relèvera de l’interprétation de chacun.

Une procédure pénale est en cours (voir l’article cité plus haut sur la chronologie de l’affaire du Levothyrox). Mais rappelons que la vérité d’un fait scientifique ne s’établit pas au tribunal, sans pour autant que les décisions qui y sont prises soient infondées.

Références


1 | Assurance maladie, « Comprendre l’hypothyroïdie », 26 février 2025. Sur ameli. fr
2 | Kahaly GJ, Gostalek U, “Use of levothyroxine in the management of hypothyroidism : a historical perspective”, Frontiers in Endocrinology, 2022, 13 : 1054983.
3 | « Hyperthyroïdie », Vidal, 22 mai 2024.
4 | Lefort L, « Levothyrox et lévothyroxine : le président de Biogaran partage son expérience », Le moniteur des pharmacies, 19 septembre 2017.
5 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, «  Recommandations sur la substitution des spécialités à base de lévothyroxine sodique », Lettre aux professionnels de santé, 25 mai 2010. Sur archive. ansm. sante. fr
6 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, «  L’ANSM publie les résultats des enquêtes nationales de pharmacovigilance sur les spécialités à base de lévothyroxine », communiqué, 6 juillet 2018. Sur ansm. sante. fr
7 | Epi-phare, « Conséquences du passage à la nouvelle formule du Levothyrox en France », étude de pharmaco-épidémiologie, juin 2019. Sur epi-pahre. fr
8 | Rivière JP, « Nouvelle formule de Levothyrox : nombre “totalement inattendu” de signalements d’effets indésirables », Vidal, 1er février 2018.
9 | Buzyn A, « Lettre de mission pour améliorer l’information des patients et des professionnels de santé sur les médicaments », ministère des Solidarités et de la Santé, 29 novembre 2017. Sur sante. gouv. fr
10 | Imschoot J, « L-Thyroxine Christiaens (lévothyroxine sodique) : mise à jour de la production », Autorités belges de santé publiques, novembre 2014. Sur afmps. be
11 | Agence fédérale des médicaments et des produits de santé, « L-Thyroxine : changement de formule au 1er janvier 2015 », 19 décembre 2014. Sur afmps. be
12 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Levothyrox (lévothyroxine) : changement de formule et de couleur des boîtes », 1er avril 2021. Sur ansm. sante. fr

1 Mesure de TSH, taux d’hormone thyréostimulante, indicateur clé d’un déséquilibre thyroïdien.