Accueil / Élevage, climat, viandes et protéines végétales : des questions complexes

Élevage, climat, viandes et protéines végétales : des questions complexes

Publié en ligne le 12 janvier 2025 - Alimentation -
Introduction du dossier


La consommation de viande soulève de multiples questions et suscite parfois des débats passionnés. Comment apporter une alimentation suffisante et équilibrée à près de dix milliards d’habitants en 2050 ? Avec quelles sources de protéines ? Quels sont les impacts environnementaux des activités d’élevage ? Qu’en est-il du bien-être animal ? La consommation de viande présente-t-elle des risques ? Les alternatives artificielles ou végétales sont-elles meilleures ?
Ces questions sont toutes imbriquées et aucune n’admet de réponse simple.

Élevage et climat

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) évalue pour l’année 2015 à 12 % la part des émissions de gaz à effet de serre liée à l’élevage dans les émissions mondiales dues aux activités humaines [1]. D’autres évaluations proposent des estimations entre 11 % et 19 %, les différences s’expliquant par des méthodes de calcul différentes [2, 3]. L’élevage des bovins pour la production de viande et les produits laitiers représente les deux tiers, avec principalement les émissions de méthane liées à la digestion des ruminants. L’élevage des porcs arrive ensuite avec près de 10 % du total [4]. L’élevage est ainsi un des principaux contributeurs de gaz à effet de serre issus des activités agricoles [5].

C’est également le cas en France où, en 2022, l’élevage est responsable d’une grosse moitié des émissions de l’agriculture [6], cette dernière étant le second secteur d’émission (19 %), quasiment à égalité avec le secteur de l’industrie manufacturière et de la construction, et derrière les transports (32 %) [7].

Ainsi, comme le souligne la FAO, « le rôle du secteur de la viande occupe une place centrale dans les débats sur le changement climatique » [8].

Agir sur la consommation de viande
Une réduction de la consommation de viande, en particulier d’origine bovine, est une première réponse possible à l’impact de l’élevage sur le climat. En France, on observe depuis une vingtaine d’années une légère baisse de la consommation de viande par habitant (moins 5,8 % entre 2003 et 2023) accompagnée d’un report du bœuf vers les volailles [9]. Des évolutions similaires sont observées dans les pays économiquement développés.

En revanche, à l’échelle mondiale, la tendance est inverse. En une trentaine d’années, la consommation de viande a doublé [10] et les projections de la FAO prévoient une augmentation de 12 % d’ici à 2033 par rapport à la période 2021-2023 [11]. Les raisons sont essentiellement démographiques et économiques : accroissement de la population mondiale et demande accrue d’aliments d’origine animale liée au développement économique des pays à revenus intermédiaires. Toutefois, la FAO envisage une hausse des émissions de gaz à effet de serre limitée à 6 % en raison de la part accrue de volaille et une augmentation de la productivité permettant de produire davantage de viande par animal.

Amélioration des pratiques d’élevage
L’amélioration des pratiques d’élevage est en effet une seconde possibilité pour réduire l’empreinte carbone. À production identique, la FAO évaluait en 2016 le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’élevage de 14 % à 41 % selon les régions du monde [4].

Trois grands leviers sont identifiés [5].

  • L’accroissement de la productivité. Elle permet de réduire la quantité de gaz à effet de serre émise par kilogramme de viande produite. Cela passe par l’amélioration de l’alimentation animale, de meilleurs choix de variétés végétales des pâturages, la santé des animaux (augmentation de la durée de vie reproductive, diminution de la mortalité) et les programmes de sélection génétique (espèces plus productives, plus résistantes à des environnements changeants, etc.).
  • La séquestration du carbone. Les prairies et pâturages permanents couvrent environ un quart des terres émergées de la planète et représentent 68 % de la surface agricole mondiale. La FAO rappelle que le pâturage remplit de nombreuses fonctions écologiques, dont celle de stockage de carbone, comme les forêts. Mais le surpâturage, et parfois le sous-pâturage, ont conduit à la dégradation de 20 % des prairies mondiales. Des solutions de restauration existent et pourraient être mises en œuvre.
  • Une meilleure intégration de l’élevage dans la bioéconomie circulaire. Cela consiste à mieux valoriser les sous-produits agricoles et agro-industriels ainsi que les déchets alimentaires, en les utilisant comme aliments pour animaux ou source d’énergie (biogaz), et inversement, à recycler comme engrais le fumier issu des élevages. La proximité des deux activités « cultures » et « élevage » est de nature à limiter les pertes de ressources, comme dans le cas des systèmes polyculture-élevage [12].

Les pertes et le gaspillage
Selon la FAO, les pertes et gaspillages dans l’ensemble de la chaîne de production alimentaire sont « colossaux » et représentent environ un tiers de la production totale [13]. S’agissant des aliments issus des animaux, l’agence évalue ces pertes et gaspillages entre 20 % et 30 % selon les régions du monde. Dans les pays en développement, les pertes concernent essentiellement l’amont de la chaîne (élevage et production des aliments pour les animaux d’élevage) en raison des maladies ou du mauvais usage des intrants. Dans les pays développés, c’est plutôt le gaspillage au niveau des distributeurs et des consommateurs qui est en cause [14]. Une réduction significative de ces pertes et gaspillages aurait, selon la FAO, des répercussions majeures en termes d’alimentation mondiale, mais aussi d’impact environnemental et climatique [15].

Illustration anonyme du Roman d’Alexandre, manuscrit de Tournai (XIVes.)

Les besoins en protéines et comment y répondre

Les protéines sont indispensables à notre alimentation. Pour une personne adulte de 70 kg, on estime que l’alimentation doit apporter environ 60 g de protéines par jour (ces recommandations varient selon la population considérée : personnes âgées, femmes enceintes, etc.) [16]. Aujourd’hui, en France, 65 % de cet apport est d’origine animale (lait, œuf, poisson et viande) [17]. Les fruits et légumes contiennent également des protéines.

Toutefois, les protéines animales et végétales n’ont pas les mêmes caractéristiques. Les protéines animales sont plus riches en acides aminés essentiels et présentent une meilleure biodisponibilité (assimilation par l’organisme) [16]. Une trop importante consommation de viande rouge ou de charcuterie induit cependant des risques sanitaires [18] (voir l’article de Yves-Jacques Schneider, « Quelles protéines dans notre assiette ? »).

Les raisons qui peuvent inciter à rechercher des alternatives aux protéines animales sont variées : raisons économiques (prix et revenus), motivations sanitaires (réduire les risques cardio-vasculaires, d’obésité, de diabète), préoccupations environnementales et climatiques ou encore considérations éthiques (bien-être animal), culturelles ou religieuses (régimes végétariens hindous par exemple).

Au niveau individuel, les comportements évoluent dans les pays développés. D’après une étude menée en 2021 par FranceAgriMer (l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer – établissement public) [19], si 74 % des Français déclarent consommer indifféremment des aliments d’origine animale ou végétale, 24 % se présentent comme « flexitariens » et affirment diminuer volontairement leur consommation de viande sans être exclusivement végétariens. Ils sont par ailleurs 2,2 % à suivre des régimes sans viande (1,1 % avec du poisson, 0,8 % végétariens et 0,3 % végétaliens). Le régime végétarien exclut la viande, le poisson et les fruits de mer mais autorise les œufs et les laitages. Le régime végétalien, quant à lui, exclut toute alimentation issue d’un animal.

Ces chiffres sont sujets à discussion, le même organisme identifiant dans une autre étude en 2018 un ratio de 4,1 % de végétariens ou végétaliens [20]. Mais au-delà des proportions exactes, c’est bien l’affichage d’une volonté de modification des comportements alimentaires relatifs à la viande qu’il convient de retenir, avec en particulier la part significative de flexitariens. Les comportements réels, quant à eux, évoluent lentement, avec en particulier une diminution de la consommation de bœuf au profit de celle de volaille [21].

Pour l’agence Santé publique France [22], « on peut être végétarien sans risque pour sa santé, à condition d’avoir une alimentation équilibrée et variée », en particulier en veillant à assurer une bonne combinaison d’aliments afin d’assurer un équilibre en protéines satisfaisant (pour le nourrisson, le lait maternel ou de premier âge ainsi qu’un apport de certains nutriments indispensables font que le régime végétarien est à exclure). Le régime végétalien, quant à lui, peut entraîner des carences 1 et n’est donc pas adapté aux enfants de moins de trois ans. Pour les autres personnes, il nécessite une supplémentation en certains nutriments (en particulier pour les adolescents et les femmes enceintes).

Flexitariens ou suivant un régime sans viande, tous affichent des raisons d’ordre sanitaire et environnemental. Mais les flexitariens mettent plus volontiers en avant des raisons économiques (prix de la viande) là où les adeptes d’un régime sans viande avancent le plus souvent des raisons éthiques (bien-être animal).

Enfin, mentionnons le très fort développement des compléments protéinés. Ils correspondent à des motivations variées chez les consommateurs (voir l’article de Louise Deldicque et Marc Francaux « La supplémentation en protéines »).

Les alternatives à la viande

C’est dans ce contexte que différents types d’alternatives sont proposés : « viandes végétales » et « viandes cellulaires ». Le cadre réglementaire est en pleine évolution et le terme « viande » fait lui-même débat.

Les plus anciennes sur le marché sont les « viandes végétales » (aussi appelées « steaks végétaux »). Le tofu, élaboré en Chine à partir de soja il y a deux-mille ans, en est sans doute le précurseur [23]. Ces viandes végétales sont aujourd’hui disponibles dans la plupart des supermarchés. Elles cherchent à imiter, dans leur apparence, leur texture et leur goût, la viande animale et elles ambitionnent également d’afficher des qualités nutritionnelles égales ou supérieures. Y arrivent-elles ? (voir l’article de Catherine Bennetau-Pelissero, « Les viandes végétales »).

Plus récentes, et encore en bonne partie dans les laboratoires de recherche (même si des premières commercialisations ont vu le jour récemment), sont les viandes dites de culture (ou viandes cellulaires). Produites à partir de cellules souches prélevées sur un animal vivant et cultivées en laboratoire, elles ne nécessitent pas d’élevage ni d’abattage d’animaux (voir l’article d’Yves-Jacques Schneider « La “viande de culture” : une alternative crédible ? »). Mais elles soulèvent à ce stade de nombreuses questions, que ce soit d’ordre scientifique, environnemental ou économique (voir l’article de Jean-François Hocquette, Sghaier Chriki et Marie-Pierre Ellies-Oury,« Les différences entre les aliments cellulaires et les produits animaux issus de l’élevage »).

Les dimensions culturelles et sociales de la consommation de viande [24], ainsi que la place de la consommation de protéines animales dans l’évolution humaine, sont des facteurs qui influencent les éventuels changements de comportement (voir l’article de Jean-Paul Krivine « La place de la viande dans l’évolution d’Homo sapiens »).

Viande et élevage, un éclairage par la recherche


L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a mis en ligne un dossier complet intitulé « Viande et élevage, un éclairage par la recherche » [1]. Il ambitionne de répondre aux « questions légitimes posées avec de plus en plus d’acuité sur l’élevage et la consommation de viande » par autre chose que « des slogans simplistes ».

S’agissant de questions complexes questionnant la place de l’Homme parmi les autres espèces et reconnaissant que « tuer un animal pour le manger après l’avoir élevé, même si cet animal n’existerait pas sans cette finalité, n’est pas un acte banal », le dossier s’appuie en particulier sur l’expertise scientifique collective réalisée par l’Inrae en 2015-2016 [2] et souligne que « les services rendus par l’élevage ont été jusqu’à présent sous-estimés par rapport à ses impacts négatifs ».

Le dossier se décompose en six parties : « Quelques idées fausses sur la viande et l’élevage », « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ? », « Pour une vue d’ensemble des impacts et services de l’élevage en Europe », « Des leviers pour améliorer les systèmes d’élevage européens », « La viande in vitro, une voie exploratoire controversée » et « Le paradoxe de la viande : aimer et manger les animaux ».

Références

1 | Inrae, « Viande et élevage, un éclairage par la recherche », 16 mars 2020.

2 | « Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe », rapport d’expertise scientifique collective, novembre 2016. Sur inrae.fr

Une complexité à prendre en compte

La consommation de viande est à la croisée de nombreuses problématiques : élevage, occupation des terres, environnement et réchauffement climatique, nutrition, sécurité alimentaire, etc. Dans ce dossier, nous avons laissé de nombreuses questions en suspens. Ainsi, nous n’avons pas traité en détail de la sécurité d’approvisionnement au regard des risques épizootiques (épidémies qui frappent les animaux) ou des impacts du changement climatique sur toutes les formes d’élevage. Les impacts environnementaux, qu’ils soient positifs ou négatifs, auraient pu être plus développés (voir par exemple [25]). Nous n’avons pas non plus abordé certaines dimensions économiques ou sociologiques. Par exemple, dans le monde, 600 millions des ménages parmi les plus pauvres élèvent du bétail comme source essentielle de revenus [8].

Cette complexité à prendre impérativement en compte signifie-t-elle la paralysie pour l’action ? C’est probablement l’inverse : mieux comprendre les problèmes que l’on cherche à résoudre permet d’éviter les solutions simplistes mais peu efficaces, voire contre-productives, et de mettre en place des plans d’actions à la fois utiles et acceptables.

Références


1 | FAO, “Pathways towards lower emissions”, 2023. Sur openknowledge.fao.org
2 | Rogissart L et al., « Estimer les émissions de gaz à effet de serre de la consommation alimentaire, méthodes et résultats », Institute for Climate Economics, février 2019. Sur i4ce.org
3 | Blaustein-Rejto D, “Livestock don’t contribute 14.5 % of global greenhouse gas emissions”, The Breakthrough Institute, 2024. Sur thebreakthrough.org
4 | FAO, « Élevage et changements climatiques », 2016.Sur openknowledge.fao.org
5 | FAO, “Livestock solutions for climate change”, 2017. Sur openknowledge.fao.org
6 | Ministère de la Transition énergétique, « Émissions de GES liées à l’agriculture », Chiffres clés du climat, France, Europe et Monde, 2023. Sur statistiques.developpement-durable.gouv.fr
7 | Ministère de la Transition énergétique, « Panorama français des gaz à effet de serre », Chiffres clés du climat, France, Europe et Monde, 2023. Sur statistiques.developpement-durable.gouv.fr
8 | OCDE/FAO (2021), Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2021-2030, Éditions OCDE, Paris.
9 | Agreste, « Baisse de la consommation de viande en France en 2023 », Synthèses conjoncturelles n° 424, juin 2024. Sur agreste.agriculture.gouv.fr
10 | Inrae, « Production et consommation mondiale : panorama des différents types d’élevage et des chiffres clés de la consommation de viande, lait et œufs dans le monde et en France », dossier, 2024.
11 | OCDE/FAO (2024), Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2024-2033, Éditions OCDE, Paris.
12 | Inrae, « Associer recherche d’autonomie et diversification dans les exploitations de polyculture-élevage », 12 février 2024.
13 | FAO, « Mettre un terme aux pertes et au gaspillage alimentaires le long de la chaîne de production : à la recherche de solutions ». Sur fao.org
14 | FAO, « Pertes et gaspillages alimentaires dans le monde : ampleur, causes et prévention », 2011. Sur fao.org
15 | FAO, “Food wastage footprint”, Summary report, 2013. Sur fao.org
16 | Anses, « Les protéines : définition, rôle dans l’organisme, sources alimentaires », 24 janvier 2013.
17 | Inrae, « Les protéines en questions », octobre 2021.
18 | Aguer F, « Nitrates et nitrites dans les produits de charcuterie », SPS n° 350, octobre 2024. Sur afis.org
19 | FranceAgriMer, « Végétariens et flexitariens en France en 2020 », enquête Ifop, rapport complet de l’étude, 20 mai 2021. Sur franceagrimer.fr
20 | FranceAgriMer, « Combien de végétariens en Europe ? », Étude Credoc « Panorama de la consommation végétarienne en Europe », synthèse des résultats, 2019. Sur franceagrimer.fr
21 | VetAgroSup, « La proportion de personnes adoptant des régimes sans viande est de plus en plus importante, vrai ou faux ? », Chaire de bien-être animal, 8 février 2023. Sur chaire-bea.vetagro-sup.fr
22 | Santé publique France, « Peut-on être végétarien ou végétalien sans risque pour sa santé ? », 1er décembre 2021. Sur mangerbouger.fr
23 | Darche M, « De la viande aux substituts végétaux : développement, réglementation et impacts sur la santé et l’environnement », thèse de doctorat vétérinaire, université de Toulouse, 2024. Sur dumas.ccsd.cnrs.fr
24 | Mano JY et al., « Consommer de la viande : des enjeux et des impacts multiples », La revue française de la recherche en viandes et produits carnés, 2018, 34 :3-6.
25 | Inrae, « Pour une vue d’ensemble des impacts et services de l’élevage en Europe », 21 février 2017.

1 La vitamine B12, par exemple, ne se retrouve que dans l’alimentation animale.