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La consommation d’alcool en France

Publié en ligne le 9 mars 2023 - Santé et médicament -

La consommation d’alcool en France continue à être très élevée, avec des conséquences très sérieuses pour la santé de la population. Mais le lobby alcoolier [1] est efficacement arrivé à convaincre une partie des professionnels de santé et de la classe politique que le problème de l’alcool en France est le problème des buveurs excessifs et des consommateurs chroniques. On a longtemps cité une dose « recommandée par l’Organisation mondiale de la santé » de deux verres par jour 1 pour les femmes et de trois verres par jour pour les hommes (voir par exemple [2]), alors que l’OMS n’a jamais fait cette « recommandation », qui semble provenir d’un rapport anglais [3] déjà ancien dans lequel il s’agissait de doses à ne pas dépasser, et absolument pas de doses recommandées. La confusion règne aussi entre la recommandation de l’OMS « moins c’est mieux » [4], celle des autorités françaises « pas plus de 10 verres par semaine » [5]) et ce qui est écrit partout sur les contenants et sur les affiches qui est «  à consommer avec modération ». Cette dernière injonction, qui n’a rien de réglementaire, a été ajoutée par les lobbies de l’alcool (voir encadré "Loi Evin" ci-dessous) et est associée à la diffusion d’idées fausses sur ce qu’est cette modération.

Les effets sur la santé

Le Déjeuner des canotiers, Auguste Renoir (1841-1919)

La consommation d’alcool est une cause importante de maladies et de décès (voir en encadré les estimations des nombres de cancers et de décès attribuables à l’alcool en France en 2015). L’alcool était responsable de 28 000 cancers en 2015, ce qui représente 8 % des cancers et en fait la deuxième cause de cancer évitable après le tabac. Parmi ces 28 000, on dénombre 8 500 cancers du sein, soit 15 % de ces derniers, ce qui fait de l’alcool la première cause évitable de cancer du sein en France. Viennent ensuite les cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, les cancers colorectaux, les cancers du foie et les cancers de l’œsophage. L’alcool est aussi responsable globalement de 41 000 décès, soit 7 % de la mortalité, essentiellement par cancers, maladies cardiovasculaires, maladies digestives (pancréatites), accidents et suicides, et autres dont cirrhoses.

Le fardeau national des autres problèmes de santé causés par l’alcool, qu’il s’agisse des troubles psychiatriques ou des problèmes d’addiction, n’est pas quantifié.

La loi Évin : trente ans d’offensives du lobby alcoolier


Dès la promulgation de la loi [loi Évin du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme], le lobby des alcooliers se dote d’un appendice, l’association Entreprise et Prévention (devenu en 2015 « Avec Modération ! ») qui regroupe quinze entreprises du secteur. Prétendant être un acteur de santé publique, sa mission est évidemment de contrer et de limiter la portée des messages et des informations émises par les associations de prévention et les experts. Sur le plan scientifique, douze sociétés produisant et commercialisant des spiritueux ont créé et financent depuis 1971 l’Institut d’études et de recherche sur les boissons (l’Ireb devenu en 2015 Fondation pour la recherche en alcoologie) pour conduire et valoriser des études qui les gênent le moins possible [cette fondation a été dissoute en 2019].

Le lobby de l’alcool s’accorde pour affaiblir l’avertissement sanitaire légal (“L’abus d’alcool est dangereux pour la santé”) par l’ajout de la formule ambiguë promue par la loi Barzach 2 (“À consommer avec modération”) qui sonne comme une injonction.

La « modération », terme vague à souhait que chacun interprète à sa mesure, sera le slogan du secteur économique de l’alcool pour contrer toute approche plus précise. Les seuils de consommation à moindre risque d’alors (pas plus de trois verres pour les hommes, pas plus de deux pour les femmes…) sont présentés comme des normes de consommation, voire comme des moyennes, sous-entendant ainsi que, jusqu’à ces repères, le consommateur peut boire sans le moindre risque. Ce qui est évidemment faux.

Sources
Basset B et al., « La loi Evin : 30 ans d’offensives du lobby alcoolier », ANPAA, 2021.

La relation dose-effet

On a longtemps écrit et beaucoup répété (voir par exemple [6]) qu’une consommation modérée d’alcool réduisait le risque de certaines maladies, notamment cardiovasculaires ischémiques et diabète, tout en augmentant les risques de nombreuses autres maladies et d’accidents. Le résultat global étant une mortalité toutes causes confondues moindre chez les petits buveurs que chez les non-buveurs. Cette affirmation repose sur de nombreuses études observationnelles qui montrent une « relation en J » entre la dose d’alcool et la mortalité totale [7, 8] (c’est-à-dire une petite baisse de la mortalité avec de faibles doses et une forte hausse pour les grosses consommations). En effet, beaucoup d’études prospectives décrivent des risques d’accident vasculaire cérébral et d’infarctus du myocarde moindres chez les personnes déclarant une consommation d’alcool modérée (un ou deux verres par jour ou 100 g par semaine) que chez les abstinents (voir par exemple [9]). Ces associations ne signifient cependant pas nécessairement qu’une consommation modérée d’alcool a un effet protecteur, pour deux raisons. Tout d’abord, parmi les abstinents, certains ne boivent pas parce qu’ils sont fragilisés, par une maladie chronique ou par un handicap par exemple. Ainsi, ce n’est pas leur abstinence mais la cause de leur abstinence qui augmente leur risque de décès par rapport au risque des petits buveurs. Ensuite, comparés aux petits buveurs, les abstinents peuvent avoir des habitudes et un mode de vie différents et certaines de ces caractéristiques peuvent être associées à un risque augmenté de décès et ne pas avoir été prises en compte dans les analyses (facteurs de confusion résiduels).

Cancers et décès attribuables à l’alcool en France (2015)

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Références
1 | Shield KD et al., “New cancer cases in France in 2015 attributable to different levels of alcohol consumption”, Addiction, 2018, 113 :247-56.
2 | Bonaldi C, Hill C, « La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015 », Bull Epidémiol Hebd, 2019, 5-6 :97-108.

Pour répondre à ces deux objections et évaluer la réalité de l’effet bénéfique d’une faible consommation d’alcool, des chercheurs ont utilisé une méthode alternative fondée sur une analyse épidémiologique génétique sur 500 000 personnes en Chine [10] et sur 370 000 personnes au Royaume-Uni [11] (voir encadré ci-dessous).

Là où l’épidémiologie conventionnelle montre des courbes en J entre la consommation d’alcool déclarée et les maladies étudiées, l’épidémiologie génétique fait disparaître les effets bénéfiques apparents d’une consommation modérée d’alcool sur les risques d’accident vasculaire cérébral hémorragique, d’accident vasculaire cérébral ischémique, et de cardiopathie ischémique. Si le bénéfice apparent d’une consommation modérée était réel, on devrait retrouver cet effet dans l’analyse d’épidémiologie génétique. L’article sur les données chinoises [10] conclut ainsi que l’épidémiologie génétique montre que « la consommation d’alcool augmente uniformément […] le risque d’accident vasculaire cérébral et semble, dans l’étude, n’avoir que peu d’effet sur le risque d’infarctus du myocarde ». Et la conclusion de l’article portant sur les données britanniques [11] est que l’épidémiologie génétique suggère une augmentation du risque cardiovasculaire pour tous les niveaux de consommation d’alcool.

Une autre méthode d’évaluation


Les données de consommation d’alcool sont sujettes à des biais importants, en particulier parce qu’elles reposent en partie sur les habitudes de consommation d’alcool auto-déclarées. Une méthode alternative a été proposée, fondée non pas sur les déclarations des personnes mais sur des données objectives supposées refléter le niveau de consommation d’alcool. Dans une étude portant sur 500 000 personnes vivant en Chine [1], il s’agit de deux gènes dont un allèle est un déterminant important du métabolisme de l’alcool. Une mutation de guanine (G) en adénine (A) à un endroit précis de chacun de ces deux gènes rend la consommation d’alcool inconfortable et l’inconfort est plus grand si la mutation est homozygote (gènes paternel et maternel mutés). On appelle cette méthode « randomisation mendélienne » parce que la répartition des allèles est aléatoire (voir figure ci-dessous).

Si l’exposition, ici à l’alcool, est très liée au génotype, alors l’étude en épidémiologie génétique permet de s’approcher du modèle expérimental de l’essai randomisé dans lequel la population serait aléatoirement divisée en trois groupes consommant respectivement zéro alcool (la variante génétique la plus importante réduit la consommation d’alcool à presque zéro chez les deux sexes), une dose d d’alcool et une dose 2d d’alcool. Cette étude d’épidémiologie génétique a été faite en Chine où les variants de ces deux gènes qui rendent la consommation d’alcool inconfortable sont fréquents. En classant les individus en neuf catégories selon leur génotype (AA, AG ou GG pour chacun des deux gènes) et selon leur région de résidence, on étudie l’effet de la consommation vraisemblable d’alcool indépendamment de la consommation déclarée.

On tient compte de la région comme indicateur global d’exposition car les mutations n’ont d’effet qu’en cas d’exposition à l’alcool. Le génotype, associé à la région, fournit ainsi un indicateur de consommation vraisemblable déterminé de façon plus objective. L’étude permet de comparer les résultats de l’analyse en épidémiologie génétique à ceux de l’analyse en épidémiologie conventionnelle.

Le principe de la randomisation mendélienne pour un gène

Si l’exposition, ici à l’alcool, est très liée au génotype, alors l’étude en épidémiologie génétique permet de s’approcher du modèle expérimental, dans lequel la population serait aléatoirement divisée en trois catégories de doses (G : guanine, A : adénine).

Référence
1 | Millwood IY et al., “Conventional and genetic evidence on alcohol and vascular disease aetiology : a prospective study of 500 000 men and women in China”, The Lancet, 2019, 393 :1831-42.

Quelle est la dose à ne pas dépasser ?

Santé publique France a recommandé en 2017 de ne pas dépasser la dose de 100 g d’alcool pur par semaine et de ne pas en boire tous les jours [12]. Cependant, un certain nombre de publications avancent l’idée que le vin serait moins dangereux que les autres boissons alcoolisées [13, 14].

Café et cognac, Albert Anker (1831-1910)

Une méta-analyse a comparé les risques de décès selon la dose d’alcool pur classée en huit catégories (1-25, 26-50, 51-75, 76-100, 101-150, 151-250, 251-350 et plus de 351 g par semaine). Dans un ensemble de 83 études prospectives, près de 600 000 personnes ont été interrogées sur leur consommation d’alcool et ont ensuite été suivies pour étudier leur mortalité toutes causes confondues et par cause spécifique de décès [15]. La consommation utilisée dans cette partie du travail est la consommation habituelle estimée en utilisant 152 640 déclarations répétées de consommation disponibles pour 71 011 personnes interrogées dans 37 études. L’analyse a porté sur la population déclarant boire au moins un peu d’alcool à l’entrée dans l’étude, donc en excluant les ex-buveurs et les non buveurs. L’étude montre que les risques de décès sont quasiment stables entre les quatre classes de dose comprises entre 1 g et 100 g par semaine et qu’ils augmentent aux doses supérieures ; elle ne dit rien pour les consommations inférieures à 1 g. Comparés aux buveurs déclarant consommer entre 1 et 100 g d’alcool pur par semaine, les espérances de vie à 40 ans des buveurs déclarant boire de 101 à 200, de 201 à 350 et plus de 350 g par semaine étaient réduites respectivement d’environ 6 mois, de 1 à 2 ans et de 4 à 5 ans.

L’étude aborde aussi les effets des différents types de boisson, de la répartition de la consommation dans la semaine et des épisodes d’alcoolisations ponctuelles importantes. Mais la consommation est alors estimée seulement à partir de l’information recueillie à l’inclusion dans les études, sans être réévaluée par la suite, donc plus sujette à des erreurs de mesure. Les résultats suggèrent néanmoins que le risque augmente en fonction de la dose moins rapidement chez les buveurs de vin que chez les buveurs de bière ou spiritueux. Cependant il est possible que l’étude n’ait pas éliminé l’effet d’autres différences de comportements (tabac, niveau socio-économique…) entre les buveurs de ces deux types de boisson. Les résultats suggèrent également un moindre risque, quand la consommation ne dépasse pas 200 g par semaine, si cette dose est étalée sur plus de deux jours par semaine. Le risque est aussi moindre si la consommation ne dépasse pas 100 g en une occasion. Cette étude confirme la pertinence de la recommandation de Santé publique France émise en 2017 de ne pas dépasser 100 g d’alcool pur par semaine en ne buvant pas tous les jours, ni tout en une seule occasion [12].

La consommation d’alcool en France

La consommation d’alcool en France est estimée à partir du montant des taxes sur les boissons alcoolisées, en y ajoutant une estimation de ce qui échappe aux taxes. En répartissant uniformément toute la consommation dans l’ensemble de la population de 15 ans et plus, on constate que la consommation moyenne est passée de 55 g d’alcool pur par adulte et par jour en 1955 à 23 g en 2020 (figure de l’encadré ci-dessous). Ceci correspond à 2,3 verres de boisson alcoolisée servis dans un bar ou un restaurant, soit 10 cl de vin à 12°5, 25 cl de bière à 5°, etc. C’est surtout la consommation de vin qui a diminué, passant de 40 g d’alcool pur par adulte et par jour en 1955 à 12 g en 2020. Le vin représente aujourd’hui 54 % de la consommation d’alcool.

Évolution de la consommation d’alcool en France depuis 1950

La consommation est exprimée en grammes d’alcool par jour et par personne.

Source  : Données de l’Observatoire des drogues et des tendances addictives (OFDT).

En répartissant tout l’alcool bu uniformément dans la population de 15 ans et plus, on estime que la population française de 15 ans et plus boit en moyenne 161 g par semaine (23 × 7). Si l’on tient compte en plus du fait qu’environ 14 % de la population ne boit pas d’alcool [16], la consommation moyenne par semaine du reste de la population atteint près de 190 g par semaine. Sur la base de la consommation déclarée, 24 % de la population dépasse la limite recommandée [17].

Conclusion

La consommation quotidienne d’alcool est associée à un risque augmenté de décès, et ce même si la dose d’alcool est faible (voir une synthèse des données scientifiques sur la consommation d’alcool dans l’expertise collective de l’Inserm réalisée en 2021 [18]). Les données les plus récentes infirment sérieusement l’idée qu’une faible dose pourrait réduire les risques cardiovasculaires. Une bonne partie de la population a une consommation d’alcool qui dépasse les limites d’une consommation raisonnable. Les lobbies ont diffusé des croyances sur les effets bénéfiques de l’alcool qui ne sont pas en accord avec les études scientifiques.

Références


1 | Basset B et al., La loi Evin : 30 ans d’offensives du lobby alcoolier, Association Addictions France, 2021. Sur addictions france.org
2 | Pasche S et al., « Comment y voir clair face à toutes les recommandations relatives à la consommation d’alcool ? », Revue médicale suisse, 2012, 8:1831-5.
3 | Department of Health, “Sensible Drinking”, Report of an InterDepartmental Working Group, décembre 1995. Sur iads.org.uk
4 | Organisation mondiale de la santé, “Alcohol - Less is better”, Report of the WHO European Conference on Health, décembre 1995. Sur apps.who.int
5 | Andler R et al., « Consommation d’alcool et usage », Résultats du baromètre de Santé publique France, 2017. Sur santepubliquefrance.fr
6 | Forget D, « Alcool et santé : de bonnes et de mauvaises nouvelles », Passeport santé, mars 2009. Sur passeportsante.net
7 | Rehm J et al., “Alcohol-related morbidity and mortality”, Alcohol Research & Health”, 2003, 27 :39-51.
8 | Di Castelnuovo A et al., “Alcohol intake and total mortality in 142,960 individuals from the MORGAM project : a populationbased study”, Addiction, 2022, 117 :312-25.
9 | Bell S et al., “Association between clinically recorded alcohol consumption and initial presentation of 12 cardiovascular diseases : population-based cohort study using linked health records”, BMJ, 2017, 356 :j909.
10 | Millwood IY et al., “Conventional and genetic evidence on alcohol and vascular disease aetiology : a prospective study of 500 000 men and women in China”, Lancet, 2019, 393 :1831-42.
11 | Biddinger KJ et al., “Association of habitual alcohol intake with risk of cardiovascular disease”, JAMA, 2022, 5 :e223849.
12 | Ducimetière P et al., « Avis d’experts relative à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France », Santé publique France, 4 mai 2017. Sur santepubliquefrance.fr
13 | Gronbaek M et al., “Type of alcohol consumed and mortality from all causes, coronary heart disease, and cancer”, Annals of Internal Medicine, 2000, 133 :411-9.
14 | Strandberg TE et al., “Alcoholic beverage preference, 29year mortality, and quality of life in men in old age”, J Gerontol A Biol Sci Med Sci, 2007, 2 :213-8.
15 | Wood AM et al., “Risk thresholds for alcohol consumption : combined analysis of individual-participant data for 599 912 current drinkers in 83 prospective studies”, Lancet, 2018, 391 :1513-23.
16 | Richard JB et al., « Les comportements de consommation et leur évolution », Actualité et dossier en santé publique, 2015, 90 :10-5.
17 | Andler R et al., « Dépassement des repères de consommation d’alcool à moindre risque en 2020 : résultats du baromètre santé de Santé publique France », BEH, 2021, 17 :304-12.
18 | Inserm, Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool, EDP Sciences, 2021.

1 Ici, un verre est supposé contenir 10 g d’alcool pur.

2 La loi Barzach de 1987, qui ne limitait la publicité qu’à la télévision, dans les journaux pour la jeunesse et dans les enceintes sportives, stipulait que « toute publicité en faveur des boissons contenant plus de 1° d’alcool doit comporter un conseil de modération concernant la consommation de ces produits alcooliques ». Elle a été remplacée en 1991 par la loi Évin, plus restrictive (note de la rédaction de SPS).

3 * La fraction attribuable est le nombre de décès attribuables à l’alcool divisé par le nombre total de décès pour chaque cause étudiée.

Publié dans le n° 342 de la revue


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L' auteur

Catherine Hill

Catherine Hill est épidémiologiste et biostatisticienne, spécialiste de l’étude de la fréquence et des causes du (...)

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