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Le mal du dehors

Publié en ligne le 4 janvier 2019
Le mal du dehors
L’influence de l’environnement sur la santé
Rémy Slama
Éditions Quæ, 2017, 376 pages, 22 €

Le lecteur qui croirait trouver une revue des données disponibles sur les effets de l’environnement sur la santé, en prenant le mot « environnement » dans le sens de la pollution de l’air, de l’eau, des aliments, serait probablement très déçu. Le livre est en deux parties. La première moitié du texte est un exposé des méthodes disponibles pour étudier la relation entre une exposition et un risque. La seconde partie passe en revue treize types de pollutions environnementales dont la pollution atmosphérique, le bruit, les rayonnements ionisants, certains métaux, le benzène, certains pesticides, les ondes électromagnétiques et les polluants de l’alimentation et ceux de l’eau de boisson, sans préciser si cela concerne les eaux en bouteille ou l’eau du robinet.

Tout ce qui est écrit dans la première partie (jusqu’à la page 186) n’est en aucune manière spécifique des facteurs environnementaux dans le sens restrictif de la seconde partie. La toxicologie, l’épidémiologie, la discussion sur la causalité, le métabolisme des substances auxquelles l’Homme est exposé s’appliquent si l’on étudie les effets de l’alimentation, de l’obésité, de l’exercice physique ou la toxicité d’un médicament. Dans cette partie du texte, on peut remplacer quasiment partout les mots polluants ou contaminants par un terme plus général.

Cela dit, cette première partie est intéressante et bien documentée. Elle est cependant d’un niveau technique élevé, ce qui en rend la lecture probablement difficile pour un non-spécialiste. Par ailleurs, il manque un chapitre sur la reproductibilité des résultats et le risque de faux positif. Certaines affirmations auraient aussi mérité un peu d’explications. On lit par exemple qu’il n’y a pas de nécessité pour une population étudiée d’être représentative de la population générale (p. 109), mais il n’y a aucune explication. Il aurait été utile d’expliquer qu’on compare en général les risques dans différents sous-groupes de la population étudiée, définis par le niveau d’exposition ; un bon exemple est l’étude des effets du tabagisme sur 36 000 médecins anglais suivis pendant cinquante ans.

Il y a quelques erreurs minimes. Contrairement à ce qui est écrit (p. 50), le dépistage du cancer du sein ne diminue pas l’incidence de cancer, il l’augmente. Tirer au sort des communautés ne « s’apparente » pas à une étude randomisée, c’est une étude randomisée (p. 98). Les cancers de l’enfant ne sont pas les seules maladies dont la fréquence est mesurée dans l’ensemble du pays : il y a aussi toutes les maladies à déclarations obligatoires (p. 118). Les explications sur le degré de signification (p. 136) sont particulièrement obscures.

La seconde partie est documentée mais la mesure des risques encourus par la population à cause de ces pollutions manque, en dehors des 48 000 morts attribués à la pollution atmosphérique, estimation présentée sans explications et comme un fait indiscutable 1. De même, les effets de la catastrophe de Seveso ou de l’exposition au benzène dans la population sont évoqués sans qu’ils soient mesurés (p. 63 et 66).

L’auteur, directeur de recherche à l’Inserm où il dirige l’équipe d’épidémiologie environnementale appliquée à la reproduction et à la santé respiratoire, est un spécialiste des perturbateurs endocriniens 2 mais ce n’est pas une justification à leur « diabolisation ». Par exemple, un « perturbateur endocrinien » est défini comme « une substance ou un mélange exogène capable d’altérer les fonctions du système endocrinien et ainsi d’induire un effet néfaste sur la santé d’un organisme, de sa descendance ou d’une population » (p. 173). Définir un perturbateur endocrinien comme une substance qui altère les fonctions du système endocrinien est une tautologie, donc est évidemment vraie ! La dernière partie de la citation est simplificatrice parce qu’elle implique qu’il y a automatiquement un effet néfaste, sans mention d’activité biologique ni de dose, qui sont pourtant des paramètres essentiels. Invoquer les micro-pénis des alligators de Floride ou les effets du diéthylstilbestrol qui, comme toutes les hormones exogènes, perturbe le système hormonal est assez parcellaire. Jusqu’à présent très peu de substances ont des effets sur la seconde génération et le diéthylstilbestrol reste une exception. A contrario, énormément de substances ont pour finalité d’agir sur le système endocrinien. Par exemple, l’insuline exogène compense l’absence d’insuline produite par le pancréas endocrine, le Lévothyrox remédie à l’insuffisance de la thyroïde, la contraception orale agit sur le système reproductif hormonal… Et la dose d’exposition à chacune de ces substances ainsi que leur efficacité biologique sont des données essentielles.

Globalement, l’ouvrage laisse entendre que « l’environnement », pris dans le sens restrictif des pollutions étudiées, a un effet très important sur la santé et que nous avons « Des raisons de craindre » (titre d’une section de la conclusion, p. 351). La « santé environnementale » est qualifiée de « science des catastrophes invisibles » (p. 13). La chimie est diabolisée. L’auteur écrit par exemple dans la conclusion qu’on a pris « conscience, au début du XXIe siècle, d’une exposition de la population générale à des centaines de substances créées par les activités humaines, substances qui, une fois dans l’environnement ou dans l’organisme, donnent naissance à d’autres substances, métabolites, produits de leur dégradation. Il s’agit de visiteurs silencieux de notre organisme […] Certaines expositions ont une nocivité avérée […] Peu d’études détaillées concernant leur impact sanitaire ont été réalisées […] Une limite majeure au contrôle de l’effet sanitaire des contaminants environnementaux est leur invisibilité » (p. 351-352). L’auteur fait fi des progrès scientifiques, ignorant notamment la découverte de nouveaux médicaments (p. 31). Tout le livre semble ainsi écrit dans le but de faire naître ou d’entretenir des inquiétudes déjà bien présentes dans les médias et dans l’opinion publique. Il reste donc à mesurer tous ces risques avec rigueur et honnêteté, on verra alors que « l’environnement », dans le sens restrictif de ce livre, n’est qu’un minime contributeur aux problèmes de santé de la population, comparé aux effets majeurs du tabac, de l’alcool, de l’obésité. Une étude 3 récente aux États-Unis montre par exemple que ne pas fumer, ne pas boire plus d’un verre et demi d’alcool par jour pour une femme et de trois verres par jour pour un homme, avoir une alimentation équilibrée, faire trente minutes d’exercice au quotidien et n’être ni obèse ni en surpoids est associé à une espérance de vie augmentée de douze ans pour les hommes et de quatorze ans pour les femmes, en diminuant de 82 % le risque de mourir de maladies cardio-vasculaires et de 65 % le risque de mourir d’un cancer. Les résultats de cette étude ont été largement repris dans les médias en France, comme si elle apportait des informations nouvelles. Ceci montre bien l’écart entre la réalité des risques et leur perception par la population. Le livre de Rémy Slama ne fait vraiment rien pour réduire cet écart.

1 Voir Guillossou G, La pollution atmosphérique en France, SPS n° 320, avril 2017. Sur afis.org

2 Rémy Slama préside le comité scientifique du Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens (PNRE).

3 Li Y, Pan A, Wang DD, Liu X, Dhana K, Franco OH, Kaptoge S, Di Angelantonio E, Stampfer M, Willett WC, Hu FB, “Impact of Healthy Lifestyle Factors on Life Expectancies in the US Population”, Circulation, 2018, 137.

Publié dans le n° 325 de la revue


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Auteur de la note

Catherine Hill

Catherine Hill est épidémiologiste et biostatisticienne,

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