Les scientifiques ont perdu le Nord
Publié en ligne le 1er septembre 2010Réflexions sur le changement climatique
Serge Galam
Plon, 2008, 214 pages, 21 €
Serge Galam est physicien, théoricien du désordre, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre de Recherche en Épistémologie Appliquée (CREA) à l’École Polytechnique ; il fait partie de ceux qu’on appelle des « climato-sceptiques ». Une tribune intitulée « pas de certitude scientifique sur le climat » et publiée dans Le Monde le 7 février 2007 le propulsait sur les devants de la scène des débats politico-climatiques et lui valait une « volée de bois vert » en retour. Si certains lui reconnaissaient la légitimité de son interrogation politique en lui reprochant de négliger néanmoins « les éléments factuels du dossier scientifique », la plupart des commentateurs se montraient beaucoup moins tendres, ce qui ne surprendra personne sur un des sujets du moment déchaînant le plus de passion 1.
Serge Galam n’entendait pas en rester là et publie avec Les scientifiques ont perdu le Nord ce que Le Monde qualifiera de « pamphlet contre les climatologues » ; néanmoins, contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre de la critique du Monde ou le sous-titre de l’ouvrage, il ne faut pas s’attendre à voir traiter le changement climatique en tant qu’objet d’étude de la physique ou de climatologie scientifique. Serge Galam est-il devenu prudent, ou a-t-il tout simplement pris conscience qu’il avait commis l’erreur en 2007 de s’avancer sur un terrain scientifique qu’il ne maîtrisait pas, et pour cause, puisque ce n’est pas son domaine de spécialité ? Serge Galam ne le dit pas mais reprend sa critique en s’attachant à sa posture professionnelle d’épistémologue, selon l’angle « science et vérité », et d’analyste du phénomène social que l’auteur dénomme la « climatologie politique » à la lumière du domaine qu’il explore et dénomme la « sociophysique ».
Science et vérité
La société veut des certitudes. Une question fréquente, reflétée par les médias à chaque nouvelle communication du GIEC, est de savoir le degré de certitude atteint par le diagnostic selon lequel
– un réchauffement climatique est en cours
– il est principalement causé par les gaz à effet de serre émis par les activités humaines
– cela aura des conséquences importantes et nuisibles.
La réponse à cette question est souvent formulée de plusieurs façons : d’une part en termes de probabilité (c’est ainsi qu’on a pu lire à propos du dernier rapport du GIEC que la probabilité que le réchauffement climatique soit à imputer aux activités humaines serait de 90 %, et d’autre part en insistant sur le grand nombre de scientifiques partageant cette appréciation (c’est ainsi que sont régulièrement évoqués les « 2500 scientifiques du GIEC »).
L’épistémologue qu’est Serge Galam tique : si l’intime conviction de la majorité de la communauté scientifique, acquise à partir d’observations, par nature partielles, et de modélisations numériques du futur, par nature incertaines, est bien un élément de première importance mis à disposition des responsables politiques pour l’élaboration et la prise des décisions pour lesquelles ils sont mandatés, il est néanmoins abusif de laisser diffuser des messages comme quoi « il est désormais scientifiquement prouvé que… » ceci ou cela : en matière scientifique la vérité ne se détermine ni par l’intime conviction, ni par les probabilités, ni par le vote.
Science et politique
Le très politique prix Nobel de la paix attribué collectivement au GIEC et à Al Gore a contribué à brouiller encore un peu plus les cartes entre le champ scientifique et le champ politique. Ainsi, pour certains et même certains scientifiques, le fait que réchauffement climatique, responsabilité humaine dans ce réchauffement, et imminence de catastrophes planétaires seraient désormais « scientifiquement prouvés » facilite l’émergence d’un message suivant lequel il conviendrait de s’en remettre aux scientifiques pour fixer les objectifs qui s’imposeraient dès lors aux responsables politiques de la planète. Toute déviance politique par rapport aux préconisations des scientifiques serait alors, au regard des catastrophes redoutées, coupable si ce n’est criminelle. Le scientisme d’un tel discours est évident et Serge Galam s’engouffre alors dans le boulevard qui lui est ouvert : « On n’aura jamais la certitude en ce qui concerne l’évolution future du climat. Il faut donc laisser aux politiques la responsabilité de leurs choix dans l’intervalle d’incertitude scientifique qui est attaché au climat. Mais il ne faut pas se fier aux scientifiques pour cela car […] ce n’est pas leur rôle de prendre des décisions politiques. » (p. 122) Comme l’écrit lui-même l’auteur, « c’est tout l’enjeu de ce livre, argumenté à travers la question du réchauffement climatique » que « d’apprendre à distinguer ce qui relève de la science et des faits, de ce qui résulte des croyances, de la moralité, des bonnes intentions et de la politique ». (p. 121)
Progrès et réaction
Sur le fond, on l’aura bien compris, si Serge Galam insiste sur le fait que « science et politique sont deux domaines différents et ne doivent pas être mélangées », c’est que nombre de politiques qui se nourrissent de (ou instrumentalisent) la thématique du réchauffement climatique ne lui convient pas, et en tout premier lieu ce qu’il appelle les « idéologies anti-globalisation, anti-industriels, antidéplacements, antiscientifiques et par-dessus tout antilibérales. Des apologies du “naturel bio” qui prônent un arrêt du développement, de la recherche, de la technologie et du progrès en général ». (p. 100)
Ceci dit, l’ouvrage de Serge Galam paraît souffrir du défaut symétrique de celui qu’il dénonce à juste titre. N’acceptant pas les messages culpabilisateurs voire décroissants de la climatologie politique, il se montre complaisant avec la moindre publication qui pourrait distiller le doute sur la réalité du réchauffement climatique, recréant à l’inverse la liaison entre science et politique qu’il dénonce chez ses contradicteurs. C’est que le changement climatique, tout comme les OGM, ne tolère que très difficilement les nuances. On ne peut être que « pour » ou « contre ». Tout comme pour les OGM, la bataille des mots est importante. Pour les parties en présence, évoquer le lien de causalité entre le réchauffement climatique constaté et l’effet de serre généré par les émissions de gaz induites par les activités humaines (dimension factuelle) conduit à synthétiser en évoquant la « responsabilité » des humains dans le réchauffement climatique (introduisant du même coup subrepticement le concept d’intentionnalité) puis glisse quasi inexorablement sur le terrain de la « culpabilité » (et donc du jugement moral). Cette moralisation de la question complique encore les choses car si science et politique ne se confondent pas, morale et politique ne se confondent pas non plus.
En guise de conclusion
Si votre attente est scientifique, vous ne pourrez à mon sens qu’être déçus : les arguments d’incrédulité personnelle de l’auteur ne sont pas scientifiquement étayés et la présentation finale de la dynamique des opinions minoritaires à travers le filtre de la « sociophysique », discipline de l’auteur, n’est guère convaincante. Par contre, cet ouvrage, qui n’est pas déplaisant à lire, peut être jugé stimulant pour une réflexion politique prenant le prétexte de la question du réchauffement climatique pour se développer.
L’Afis précise un point important : la science ne dicte pas ce que la société doit faire. Cette question a été plus largement développée dans un dossier publié en juillet 2016.
1 http://www.rac-f.org/article.php3?id_article=1222 (disponible sur archive.org—8 avril 2020) : on y lira l’article de Serge Galam (7 février 2007) et les réponses publiées de Jacques Treiner (14 février 2007) et de Jean Jouzel, Olivier Talagrand et Hervé Le Treut (12 février 2007).