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Ocytocine mon amour

Publié en ligne le 10 janvier 2022
Ocytocine mon amour
Marcel Hibert
HumenSciences, 2021, 282 pages, 19 €

Marcel Hibert est chimiste, professeur à la faculté de pharmacie de l’université de Strasbourg. Il y dirige depuis 1997 le Laboratoire d’innovation thérapeutique. Il est l’auteur d’une bonne centaine de publications scientifiques et a déposé plus de cinquante brevets.

L’ocytocine est un peptide synthétisé principalement dans le cerveau. Elle est connue depuis les années 1900 pour stimuler les contractions utérines. Son nom vient d’ailleurs du grec ocy signifiant « rapide », et de tocine pour « accouchement ». Son rôle lors de la lactation a également été très tôt identifié. Au cours de la tétée, l’ocytocine stimule l’excrétion du lait des glandes mammaires.

Le livre de M. Hibert s’attache à montrer que l’ocytocine ne se limite pas au champ de la néonatologie mais que ce neuropeptide est au cœur des relations humaines durant toute la vie des individus. Parmi ses rôles multiples, elle permet l’attachement de l’être humain à son partenaire, à ses parents et à sa progéniture, ainsi qu’au groupe social dans lequel il évolue. L’auteur qualifie l’ocytocine de « grand régulateur de nos émotions ».

Le fil rouge du livre fait référence aux trois grandes formes d’amour que les philosophes antiques ont distinguées et que la langue grecque a nommées Éros, Philia et Agapé. En bref, Éros est l’amour passion pour un homme ou une femme avec qui l’on désire fusionner, Philia est selon André Comte-Sponville 1 l’amour qui a tout ce qu’il désire, alors qu’Agapé est l’amour universel de son prochain, l’amour transfiguré en vertu selon le philosophe V. Jankélévitch 2.

M. Hibert explore les mécanismes moléculaires de ces formes d’amour pour leur trouver un dénominateur commun, l’ocytocine. Son récit, écrit dans une langue claire et compréhensible par le béotien, mélange avec humour les références à la philosophie, à la poésie ou à la musique, aux résultats scientifiques dans des domaines aussi variés et spécialisés que sont la zoologie, la chimie des neuropeptides et de leurs récepteurs, l’imagerie médicale, la pharmacologie, les sciences cognitives et comportementales, sans oublier de montrer ce que ces recherches ont apporté à la compréhension de certaines maladies comme l’autisme.

On pourra certes trouver simpliste de réduire des situations physiologiques et patho-physiologiques diverses à une seule molécule, fût-elle un peptide du cerveau. Plusieurs autres molécules pourraient servir de base à un récit du même type (par exemple l’adénosine triphosphate qui fournit l’énergie à toutes les cellules du règne animal et végétal, ou le lactate qui nourrit les neurones de notre cerveau). On pourrait même choisir un simple atome comme le calcium qui intervient dans de multiples fonctions indispensables à l’organisme comme la coagulation sanguine, la contraction musculaire, la conduction nerveuse… et sans qui la vie, sous les formes que l’on connaît, serait simplement impossible. Cependant M. Hibert n’est pas dupe de sa démonstration et montre avec humilité les limites d’un tel exercice, concluant son chapitre « L’ocytocine au cœur du vivant » par une mise en garde : « L’amour n’est pas réductible à une hormone, […] à un gène ou […] à la survie de l’espèce. » De même, son livre se termine sur un chapitre intitulé « Au diable la chimie » dans lequel il partage « loin des gènes, des molécules et des références scientifiques » un souvenir personnel que l’on ne dévoilera pas ici pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur.

On pourra également voir dans ce livre le cheminement d’un chercheur qui rencontre par le plus grand des hasards un sujet, une question, qui va ensuite le hanter durant toute sa vie professionnelle et constituer la colonne vertébrale de ses recherches pendant plus de vingt ans. C’est peut-être cet aspect-là qui s’avère unique dans ce livre empreint, certes, d’expertise scientifique incontestable (étayée par plus de 300 références bibliographiques), mais aussi de culture littéraire et musicale, d’empathie pour la différence et la souffrance d’autrui, et d’une curiosité et d’une soif de comprendre sans faille qui font honneur au métier de chercheur en sciences de la vie.

1 Comte-Sponville A, Petit traité des grandes vertus, Presses universitaires de France, 1995.

2 Jankélévitch V, Traité des vertus, tome 2, Les Vertus et l’Amour, Flammarion, coll. « Champs essais », 2011.