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Quand des documentaires ouvrent la porte de la pseudo-histoire

Publié en ligne le 24 octobre 2024 - Science et médias -

Certaines œuvres audiovisuelles s’apparentent à un documentaire mais transmettent en réalité de fausses informations. Elles peuvent parfois prendre la forme d’un film, à l’image de Cannibal Holocaust (1980) qui met en scène de façon parodique une équipe de journalistes à la recherche de vrais cannibales dans la jungle amazonienne.

À l’ère de la « post-vérité », ce type de documentaire se diffuse particulièrement bien au travers des réseaux sociaux [1, 2]. Dans le monde de la « post-vérité », la réalité objective n’est plus considérée comme vraie, mais doit au contraire être mise en doute [3, 4] dans un contexte marqué par une défiance généralisée face aux experts et aux institutions considérées comme n’étant plus crédibles [3, 4]. Des explications non fondées ou non rationnelles sont préférées, et la recherche de sources fiables ainsi que le recours à des méthodes rigoureuses sont considérés comme optionnels [3, 4]. Tous les domaines scientifiques sont touchés et l’Histoire n’est pas épargnée.

L’Histoire est rapidement devenue un sujet ou un décor pour les cinéastes, en témoignent les films comme L’Assassinat du duc de Guise (André Calmettes et Charles Le Bargy, 1908), Naissance d’une Nation (de D. W. Griffith, 1915) ou Napoléon (Abel Gance, 1927). Les réalisateurs ne cherchent alors pas à faire œuvre d’historien et sont d’ailleurs parfois l’objet de critiques quant aux erreurs historiques qu’ils peuvent commettre. On a pu le voir avec le Napoléon de Ridley Scott sorti en France en novembre 2023, dans lequel Napoléon assisterait, par exemple, à l’exécution de Marie-Antoinette, alors qu’il était à ce moment-là dans le Sud, pour le siège de Toulon [5].

Ces films peuvent néanmoins avoir des impacts très importants sur la société. Ainsi, Naissance d’une Nation (1915) qui présente la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865) du point de vue esclavagiste en véhiculant les stéréotypes racistes et glorifiant le Ku Klux Klan. Ce film ouvertement raciste sera un déclencheur du renouveau de ce dernier [6, 7]. L’Histoire, quand elle est traitée dans une œuvre cinématographique, n’est que l’interprétation d’un cinéaste et de son équipe (scénariste, directeur de la photographie, monteur, etc.). Elle peut cependant devenir un instrument de propagande dans lequel le scénario, la force de l’image et le montage permettent de jouer sur les émotions et de faire passer un message. Le film JFK d’Oliver Stone (1991) en est une autre illustration. Le réalisateur américain construit son œuvre autour d’un prétendu complot ayant conduit en 1963 à l’assassinat du président démocrate de l’époque, John F. Kennedy. Le film sera prolongé par son auteur trente ans plus tard dans une série intitulée JFK : un destin trahi.

Les documentaires peuvent également servir de vecteurs de propagande d’État, comme ce fut le cas des films soviétiques. Dès 1919, un Institut d’État du cinéma est mis en place [8]. Le film La Mère, réalisé par Pudovkin, doit célébrer les vingt ans de la Révolution de 1905. Aussi, le scénario s’écarte de la nouvelle de Maxime Gorki dont il est inspiré afin de coller à l’interprétation bolchevique des événements [8].

Entre fiction et culture populaire

L’espace entre fiction, culture populaire et ces documentaires est très étroit. En histoire et en archéologie, ces réalisations apportent une vision fausse et ascientifique qui exploite ces proximités. L’impact de séries populaires parlant de phénomènes étranges, comme X-Files (diffusée sur le réseau américain Fox entre 1993 et 2018) dont le générique se conclut par la célèbre formule « la vérité est ailleurs », a pu participer au succès de ces œuvres.

La Bataille des pyramides(détail), François Watteau (1758-1823)

De même, les romans de science-fiction ont pu contribuer à créer un espace propice au développement de la « théorie des anciens astronautes » selon laquelle l’origine de certaines de nos connaissances scientifiques et technologiques nous auraient été transmises dans un passé lointain lors de la visite sur Terre d’extraterrestres [9]. La très grande popularité de la revue Planète dans les années 1960-1970, créée dans le sillage du livre à succès Le Matin des magiciens [10] entraîne la mise en place d’un courant, le « réalisme fantastique », dont le corollaire cinématographique est appelé « réalisme magique ». Ce courant alors très en vogue accorde une valeur scientifique aux phénomènes paranormaux, aux civilisations disparues et à de nombreuses autres théories pseudo-scientifiques (dont celle des « anciens astronautes »), exclus à tort, selon ses promoteurs, de la science dite officielle.

Le succès de librairie de l’ouvrage d’Erich von Däniken, Chariots of the God paru en 1968, reprenant la théorie selon laquelle des technologies et religions d’anciennes civilisations proviendraient d’individus extra-terrestres, donnera lieu à la réalisation d’un documentaire diffusé en Allemagne en 1970 [11], puis en France et dans le reste du monde.

Sous couvert de vulgarisation scientifique, des émissions télévisées vont servir de réceptacle à une pseudo-histoire. C’est le cas de Temps X diffusé sur TF1 entre 1979 et 1987, alors chaîne de la télévision publique française. Cette émission animée par les frères Igor et Grichka Bogdanoff met en avant des thèmes mêlant science, science-fiction et fantastique. Ainsi, les deux présentateurs n’hésitent pas à accueillir des spécialistes de Nostradamus ou proposent des ouvrages mettant en avant la théorie des anciens astronautes [12].

Les civilisations passées


Les civilisations passées ont été invoquées pour de multiples causes [1]. Des théories pseudo-scientifiques ont été avancées pour affirmer la supériorité ou l’infériorité d’une « race », soutenir un e légitimité nationale sur un patrimoine historique. D’autres nourrissent les nombreuses hypothèses « romantiques » sur l’existence de civilisations anciennes, aujourd’hui disparues, très avancées culturellement ou technologiquement. Certaines ont été proposées pour réconcilier le récit biblique avec les données de la science.

Ces hypothèses ne datent pas d’aujourd’hui. Elles puisent leurs racines entre les années 1870 et 1930 et ont été développées dans les années 1950 et 1970 au sein du groupe et de la revue Atlantis (crées en 1926).

Les documentaires véhiculant une pseudohistoire et traitant d’archéologie tentent à adopter une rhétorique complotiste. Elles cherchent en effet à trouver une explication globale à la marche du monde en estimant que les événements importants sont le fruit d’actions menées secrètement par « une élite ». Leur traitement de l’archéologie relaie cette explication globale : l’histoire ancienne, celle du monde, est simple ; elle est le fruit d’une civilisation avancée aujourd’hui disparue (souvent créée par des extra-terrestres).

Référence
1 |Kindo Y, « L’archéologie romantique, une pseudoarchéologie », SPS n° 294, janvier 2011. Sur afis.org

Les chaînes de télévision spécialisées

Avec le développement des chaînes de télévision spécialisées apparaissent des chaînes dédiées à l’Histoire. History est ainsi lancée aux États-Unis en 1995. Des documentaires relayant une pseudo-histoire se mêlent à leur catalogue. Reprenant la théorie des anciens astronautes, le programme Ancient Aliens y est présenté en 2009 [13]. Depuis 2010, entre cinq et vingtdeux épisodes sont diffusés chaque année. Sont invitées des personnes comme Erich von Däniken évoqué plus haut [9], le géologue Robert Schoch (inventeur d’une théorie selon laquelle le Sphinx de Gizeh aurait été érigé, non pas en 2500 avant notre ère par un pharaon de l’Ancienne Égypte, mais il y a plus de 10 000 ans par une civilisation très avancée qui aurait disparu [14]), ou encore Graham Hancock et Robert Bauval qui, de manière similaire, remettent en cause l’origine aujourd’hui attribuée aux pyramides de Gizeh, affirmant que leur conception repose sur des techniques non disponibles à l’époque des Pharaons et prétendant décrypter un message astronomique caché dans l’alignement des monuments du plateau de Gizeh [15]. Les présentateurs de l’émission deviennent peu à peu des images familières de savants révélant un passé caché ; c’est particulièrement le cas de Giorgio Tsoulakos [16], l’ancien directeur du centre de recherche d’Erich von Däniken sur les anciens astronautes [9].

La plateforme Gaïa (qui propose plus de 8 000 vidéos « qui défient les paradigmes modernes » [17]) est un bon exemple du mélange entre pseudo-histoire et New Age. Née en 1988 comme une chaîne mettant en avant des pratiques comme le yoga et les médecines alternatives, elle intègre désormais des programmes de pseudo-archéologie.

Destin des empires : La Désolation, Thomas Cole (1801-1848)
L’Américain Thomas Cole construit une brillante carrière qui exerce une influence durable sur bon nombre de ses contemporains, notamment à travers l’école de l’Hudson dont il est considéré comme l’un des fondateurs. Ses paysages mêlent le réalisme romantique à l’allégorie, comme dans cette série de cinq toiles qui retracent la destinée d’un bout de terre depuis l’état sauvage jusqu’à la fin de la civilisation humaine.

La chaîne européenne RMC Découverte utilise le même concept que History. Mis à égalité au milieu de documentaires sur des thèmes classiques, on trouve La Révélation des pyramides (2012) ou Bâtisseurs de l’ancien monde (2018), deux documentaires décrivant « une découverte fondamentale qui ébranle les bases de l’égyptologie classique, fait vaciller l´Histoire elle-même, et oblige l´Homme à reconsidérer tant son passé que son avenir » [18, 19]. Ils reprennent la thèse de technologies trop avancées pour l’époque des Pharaons et attribuent l’origine des pyramides à une civilisation anciennes, mais disparue, qui cherchait à nous adresser un message sur un risque futur pour l’humanité.

Les plateformes comme Netflix ont saisi le filon. Celle-ci a produit Ancien Apocalypse (2022), une série en huit épisodes qui déroulent les hypothèses du journaliste Graham Hancock sur « l’existence de mystérieuses civilisations perdues depuis la dernière période glaciaire » [20].

Internet, accélérateur de la diffusion des théories pseudo-historiques

L’ère de post-vérité joue un rôle important dans le développement des documentaires trompeurs ou mensongers. Cette période « dans laquelle les faits objectifs ont moins d’influence sur l’opinion publique que les appels à l’émotion [et] où la vérité ne s’impose plus d’évidence face au mensonge, où la réalité concrète s’efface devant les fabulations et les illusions » [21] est un moteur assez puissant de thèses complotistes. L’émotion n’est plus vue comme « négative », comme un signe de lâcheté, mais comme un mécanisme utile de défense et d’alerte [22, 23]. Les réalisateurs des documentaires qui reprennent ces thèses se voient comme des lanceurs d’alerte.

Les attentats-suicides perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis par Al-Qaïda vont donner lieu à d’innombrables théories complotistes. L’importance majeure de l’événement, tant au niveau national que par ses répercussions internationales (légitimation de la guerre en Irak, guerre en Afghanistan, etc.) font qu’une théorie alternative va se propager, affirmant que les attentats sont un acte commandité en sous-main par les services secrets américains (un inside job) dans l’intérêt des visées internationales américaines. Le journaliste radio Alex Jones, va co-produire Loose Change (2005), réalisé par Dylan Avery. Loose Change apparaît comme précurseur : réalisé avec un budget minimal et diffusé sur Internet, son succès est très rapide et le magazine Vanity Fair le qualifie de premier blockbuster sur Internet [24, 25]. Il donne également une vision complotiste de l’histoire immédiate, ce qui est nouveau.

Conclusion

Les documentaires relayant de fausses théories en histoire ou en archéologie relèvent de la même dialectique que les œuvres similaires dans d’autres domaines. Ils prétendent dévoiler un secret, jouent sur l’émotion, accumulent les données non vérifiées pour, finalement, dénoncer un complot.

Hold-Up, financé par souscription sur les réseaux sociaux, joue sur les mêmes critères et les mêmes méthodes que La Révélation des pyramides, Bâtisseurs de l’ancien monde ou Grande pyramide K2019. Sorti le 11 novembre 2020, Hold-Up prétend apporter un éclairage sur les controverses qui accompagnent la pandémie de Covid-19 alors en cours en proposant « une autre lecture » et en « dénonçant une batterie de mesures gouvernementales jugées inefficaces pour la plupart » [26]. Ce documentaire a suscité une réaction conjointe des Académies des sciences, de médecine, de pharmacie et des technologies « [mettant] en garde avec insistance et gravité nos concitoyens contre la fausseté des informations ainsi propagées » [27].

Ainsi, les documentaires relayant des fausses théories historiques ou archéologiques s’inscrivent dans la lignée des films et des documentaires de propagande. Ils emploient les mêmes stratégies et les mêmes ressorts. Internet leur a donné une dimension supplémentaire en favorisant un accès plus large et en permettant la création de communautés qui vont s’autoentretenir. Ils deviennent une caisse de résonance des théories complotistes qui revisitent et réinterprètent sans cesse l’Histoire. Le fait que des chaînes internationales les diffusent sans restriction et sans mise en garde est un indice de leur intégration dans la culture populaire. Cela alerte sur la porosité entre savoir et pseudo-savoir.

Références


1 | Wilson AF, “From Mushroms to the stars : 2012 and the apocalyptic milieu”, in Prophecy in the New Millenium. When Prophecies Persist, Routledge, 2013, 231.
2 | Caterine D, Morehead J, The Paranormal and cultural culture : a post-modern religious landscape, Routledge, 2019.
3 | Harambam J, Truth and knowledge in an era of epistemic instability, Routledge, 2020.
4 | Farkas J, Shou J, Post-truth, fake news and democracy : mapping the politics of falsehood, Routledge, 2020.
5 | Pietron-Locatelli A, « Napoléon, de Ridley Scott : les erreurs historiques du cinéaste… et l’amnésie des Français », Télérama, 23 novembre 2023.
6 | Rommel-Ruiz WB, American history goes to cinema : Hollywood and the American experience, Routledge, 2011.
7 | Marty B, « “Naissance d’une nation” : aux origines du premier blockbuster raciste », France Culture, 25 juin 2020. Sur radiofrance.fr.
8 | Mini P, “Striving for the maximum appeal : ideology and propaganda in the soviet cinema of the 1920’s and the 1930’s”, in The Routledge companion to cinema and politics, Routledge, 2016, 162 et suiv.
9 | François S et al., « Ancient Alien : un “documentaire” entre extraterrestres et conspirationnisme », Hal Science, 2017, hal01883996ff.
10 | Bergier J, Pauwells L, Le Matin des magiciens, Gallimard, 1960.
11 | Reini H, Chariots of Gods, Terra Film, 1970.
12 | INA Culte, « Temps X. : les créatures monstrueuses », Archive INA, 15 septembre 2021. Sur youtube.com
13 | Krueger F, “The Stargate simulacrum : Ancient Egypt, ancient Alliens and postmodern dynamic of occulture”, Aegyptiaca, 2017, 1 :47-74.
14 | Schoch RM, “Research highlight : the great Sphinx of Egypt”, site web, consulté le 18 avril 2024. Sur robertschoch.com
15 | Bauval R, Hancock G, Le Mystère du Grand Sphinx, éditions du Rocher, 1999.
16 | Hammer, Schwarz, “Ancient Aliens”, in Handbook of UFO Religions, Brill, 2021, 174.
17 | Gaia, site de streaming. Sur gaia.com
18 | Mind the shift, “Robert Schoch : our civilization is a restart”, vidéo, 5 octobre 2022. Sur youtube.com
19 | Pooyard P, La Révélation des pyramides. Sur RMC BFM Play jusqu’au 31 décembre 2024.
20 | Hancock G, À l’aube de notre histoire. Sur Netflix.
21 | Juignet P, « De la postmodernité à la post-vérité », Philosophie, science et société, 2017.
22 | Biess F, “Fear, anxiety and terror post 9/11”, in The Routledge history of emotions in modern world, Routledge, 2023.
23 | Garsten-Ross D, “Genesis, rise and uncertain future of alQaeda”, in The Routledge history of terrorism, Routledge, 2015, 340.
24 | Thalmann K, The Stigmatization of conspiracy theory since the 1950’s, Routledge, 2019.
25 | Butter M, Knight P, The Routledge handbook of conspiracy theories, Routledge, 2020.
26 | Barnérias P, Hold-Up, documentaire disponible sur Tprod.fr
27 | « Un “Hold-up” sur la science », communiqué tétra-académique de l’Académie des sciences, l’Académie nationale de médecine, l’Académie nationale de pharmacie et l’Académie des technologies, 26 novembre 2020.

Publié dans le n° 349 de la revue


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L'auteur

Alexis Seydou

Historien et archéologue, vice-président de l’Association de lutte contre la désinformation en histoire, histoire de (…)

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