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Un medium... des media ?

Publié en ligne le 6 février 2011 - Santé et médicament -
par Sylvie et Vincent Laget - SPS n° 292, octobre 2010

Alternatives économiques pollué par son environnement ?

Dans son numéro 293 de juillet-août, le magazine Alternatives économiques offre une tribune au Professeur Belpomme, sous le titre « Malades de la pollution ». Ce cancérologue affirme que des maladies comme les cancers et d’autres pathologies lourdes 1« ont très probablement une origine principale commune : la pollution physico-chimique de notre environnement ». Il recommande donc, logiquement, de baser la politique de santé publique sur la prévention environnementale.

Mais encore faut-il s’assurer que la cause de ces pathologies lourdes soit effectivement liée de manière significative à la pollution de notre environnement. Il nous a paru utile de porter à la connaissance des rédacteurs du magazine Alternatives économiques que cette thèse est loin d’être partagée par la communauté scientifique (voir par exemple l’article de Jacques Estève « Le rôle de l’épidémiologie dans la controverse « environnement et cancer » », SPS n° 286, juillet 2009).

Aussi le Professeur Belpomme doit-il étayer sa position par de solides références, s’il souhaite dépasser le stade de la conviction et rester dans le champ scientifique. Or, son article ne comporte que deux références : un renvoi sur le site de l’association Artac et le rappel du « constat qu’avaient dressé en 2004 les experts ayant contribué à l’Appel de Paris […] ». Concernant l’Artac, il s’agit d’une association militante « […] luttant contre toutes les formes de pollution environnementale […] » dont le président est… le Professeur Dominique Belpomme. Quant au travail d’« expertise » cité, il se trouve sur le site de l’Artac, sous la forme d’un mémorandum de 107 pages. Il est présenté comme reflétant le travail de 68 experts internationaux. Pourtant, leurs noms et qualités ne sont pas indiqués, pas plus que la méthodologie d’expertise suivie. En revanche, le nom des rédacteurs du mémorandum figure en annexe 3 : il s’agit de Philippe Irigaray, « coordinateur des recherches d’Artac » et du… Professeur Dominique Belpomme…

Ne faire référence qu’à soi-même est un moyen pratique et agréable permettant d’avoir toujours raison, mais est-on plus dans le vrai pour cela ?

Les affirmations du Pr Belpomme sur le lien entre autisme et pollution

Un lecteur d’Alternatives économiques nous a donné copie de la lettre qu’il a adressée à la revue.

Abonné et lecteur assidu [de la revue Alternatives économiquesJ, je suis quelque peu étonné de la tribune que vous venez d’offrir au Pr Belpomme pour exposer ses théories sur les effets de la « pollution physico-chimique  » sur tout et n’importe quoi. J’ai particulièrement bondi à sa mention de l’autisme, qu’il présente à tort comme « maladie dégénérative  », et comme étant également causée par la pollution. Expert moi-même de l’autisme, je suis bien placé pour savoir qu’il s’agit là de spéculations sur la base de très peu de données.

À partir de là, quelques recherches sur Internet suffisent pour constater que le point de vue du Pr Belpomme est extrêmement marginal au sein de la communauté scientifique. Les « experts  » de l’appel de Paris, si certains sont des scientifiques renommés, ne sont pas des experts en épidémiologie ou en toxicologie qui pourraient avoir autorité sur le sujet de l’appeL Les véritables experts du sujet, réunis dans une expertise collective de l’Inserm publiée en 2008, ont démenti la quasi-totalité des allégations du Pr Belpomme. Tout ceci pour dire 1) que bien sûr il n’est pas question de nier l’effet de certaines molécules sur certaines maladies, lorsque les données l’attestent ; 2) qu’il n’est pas question non plus d’empêcher le Pr Belpomme de s’exprimer ; mais 3) qu’étant donné que la personne et le point de vue qu’elle exprime semblent si controversés, au sein même de la communauté scientifique à laquelle elle appartient, il aurait paru plus approprié, plutôt que de lui offrir une tribune unilatérale, de présenter son point de vue au sein d’un débat où d’autres experts auraient pu apporter un éclairage contradictoire.

Bref, on aimerait qu’une revue sérieuse comme Alter-Eco ne tombe pas dans les mêmes panneaux que les autres médias, accordant de manière privilégiée leur attention et leurs espaces d’expression aux « marchands de peur  » les plus spectaculaires. Mais plutôt qu’elle accorde au Pr Belpomme une place proportionnelle à ce que son point de vue représente au sein de la communauté scientifique.

Pour cela, évidemment, encore faut-il être un minimum au fait du champ scientifique en question. Or la rédaction d’Alter-Eco, toute experte qu’elle est en économie, ne l’est pas en médecine. Comme les pseudo-experts de l’Appel de Paris, qui se sont aventurés à prendre position publiquement sur un domaine extérieur à leur expertise, elle peut facilement se faire rouler par des experts autoproclamés. Je vous recommande donc de redoubler de vigilance et de ne pas hésiter à faire appel à des avis scientifiques extérieurs dès que vous pouvez être amenés à publier des articles portant sur d’autres sujets que l’économie.

Franck Ramus

Un « expert » qui marche à la baguette

Un de nos lecteurs nous a fait parvenir un très intéressant article de Ouest-France, intitulé Malades des antennes, du Wi-Fi et des portables. Comme nous en avions rendu compte dans le courrier des lecteurs de notre précédent numéro, cet article est, hélas, un modèle du genre de désinformation sur le thème de la dangerosité supposée des antennes-relais et de l’électrosensibilité.

Un passage concernant les limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques des radiofréquences mérite de revenir sur le sujet et de donner quelques éléments d’information complémentaires : « Selon Éric Damas, ingénieur angevin chargé d’effectuer des mesures à la demande de nombreuses villes de France, les nouvelles normes européennes préconisent la limite de 3V/m pour un champ électromagnétique. »

Pourtant, d’après l’Agence nationale des fréquences (ANFR), dont la mission est de veiller au respect des limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques, les valeurs limites actuellement appliquées en France sont de 41 V/m pour le GSM 900, de 58 V/m pour le GSM 1800 et de 61 V/m pour l’UMTS. Notre pays serait-il donc à la traîne par rapport aux normes européennes d’exposition du public sans que l’organisme chargé de les faire respecter soit au courant ?

Pas du tout. Tout est très bien expliqué dans la FAQ de l’ANFR (agence nationale des fréquences) consacrée à ce sujet. En résumé, la limite de 3V/m n’a rien à voir avec une limite d’exposition du public. Elle concerne la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques. Cela signifie seulement que ces équipements doivent pouvoir supporter un champ de 3V/m sans que leur fonctionnement normal soit altéré (sauf cas particuliers comme par exemple des implants médicaux qui relèvent d’une réglementation spécifique plus exigeante). Et l’ANFR d’être très claire sur le sujet : « Il n’a donc jamais été dans l’intention des pouvoirs publics de garantir que le niveau de 3 V/m ne devait jamais être dépassé. Dans l’esprit de la directive, les équipements électriques et électroniques doivent être adaptés à leur environnement et non l’inverse ».

Une telle confusion de la part de l’« ingénieur angevin chargé d’effectuer des mesures à la demande de nombreuses villes de France » a de quoi nous interroger sur sa compétence réelle en métrologie électromagnétique. Une recherche simple et rapide sur Internet nous permet d’apprendre qu’Éric Damas est l’une des quatre personnes habilitées à faire des mesures de champs électromagnétiques pour le compte du CRIIREM, une association particulièrement active dans la controverse sur les ondes électromagnétiques et convaincue de leur nocivité. Il se présente également sur son site Internet comme géobiologue et pratiquant le Feng Shui, deux pseudosciences lucratives : 120 € pour trouver une maison ou un terrain sain d’ondes, 480 € pour un projet complet de construction et de rénovation (hors frais de déplacement)…

Ainsi l’auteur de cet article a-t-il diffusé une information fausse parce qu’il a sélectionné une source non fiable d’information (adepte d’une pseudoscience) et ignoré une source sérieuse (ANFR), incontournable pour qui s’intéresse un tant soit peu au sujet de la controverse sur les antennes-relais et la téléphonie mobile.

Le journaliste de Ouest-France qui donne la parole à cet « expert », sans esprit critique, sans aucun recul, a-t-il fait son travail correctement ?

Références
Ouest-France Édition Angers, Malades des antennes, du Wi-Fi et des portables, 7 mai 2010 : http://www.ouest-france.fr/actu/actuLocale_-Malades-des-antennes-du-Wi-fi-et-des-portables-_49007-avd-20100507-58179128_actuLocale.htm (indisponible—12 avril 2020).
FAQ ANFR sur la limite du 3V/m (disponible sur archive.org—12 avril 2020)
Site de Éric Damas
Criirem, personnes habilitées à faire des mesures (disponible sur archive.org—12 avril 2020).

Journalistes et scientifiques, même combat ?

Si un texte mérite une place dans cette rubrique, c’est bien celui de Michel Deprost. Sous le titre de « Science et technologie : les journalistes doivent se remettre en cause », cet ancien collaborateur du Progrès fait une analyse sans concession : il juge que « trop de médias et de journalistes ont perdu de leur crédibilité en manquant de rigueur dans le traitement de dossiers scientifiques et techniques » et que « éditeurs et professionnels doivent se remettre en cause pour organiser vraiment le débat ».

Parmi les comportements journalistiques condamnables, Michel Deprost souligne celui […] des journalistes [qui] enfourchent parfois avec obstination dans les controverses les positions de structures plus promptes à communiquer qu’à expertiser. C’est hélas également ce que nous avons déjà pu observer…

Toutefois, au-delà de ce constat, il nous suggère aussi des pistes d’explications de ces comportements : d’une part, l’origine de la plupart des journalistes, issus du monde des lettres et des sciences humaines et sociales, ne disposant de presque aucune formation scientifique, ou même formation à l’esprit scientifique ; d’autre part, la quasi inexistence de formation continue dans cette profession.

Enfin, Michel Deprost propose une solution pour sortir de cette impasse par le haut : plutôt que de s’ignorer, voire de se mépriser, journalistes et scientifiques devraient serrer les rangs sur les valeurs d’indépendance et de rigueur, ainsi que sur le sens de l’intérêt général.

Nous sommes bien d’accord… mais qu’en pensent les intéressés ?

Référence
Michel Deprost, « Science et technologie : les journalistes doivent se remettre en cause », Union Rationaliste, 29 mai 2009 (disponible sur archive.org—12 avril 2020).

1 « Notre société doit en effet faire face à de nombreux fléaux qu’elle ne parvient pas à vaincre : cancers, malformations congénitales, stérilité, maladies dégénératives du système nerveux, comme l’autisme chez l’enfant, Alzheimer et Parkinson chez des adultes de plus en plus jeunes, allergies, infections nosocomiales, pandémies d’origine virale et, enfin, obésité et diabète de type 2. Or, toutes ces maladies ont très probablement une origine principale commune : la pollution physico-chimique de notre environnement. »