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Le fléau de la falsification des vaccins

Publié en ligne le 1er mai 2022 - Vaccination -
Ce texte est une adaptation par les auteurs, tous trois membres de l’Organisation panafricaine de lutte pour la santé (Opals), d’un article paru le 6 septembre 2021 dans le Bulletin de la revue Médecine Tropicale et Santé Internationale, publié par la Société francophone de médecine tropicale et santé internationale (SFMTSI).

Chaque année, dans le monde, deux à trois millions de vies, au moins, sont sauvées grâce à la vaccination [1] : c’est l’une des plus belles réussites de la médecine.

Un siècle après la première « vaccination » contre la variole, basée sur l’observation géniale du médecin anglais Edward Jenner en 1796, Louis Pasteur identifiait les micro-organismes, comprenait leur rôle dans la propagation des maladies infectieuses et démontrait le mécanisme scientifique de la vaccination. La formidable épopée de la prévention vaccinale était lancée.

Les succès éclatants obtenus au Nord sont reproduits au Sud, dans les régions les plus défavorisées, avec la mise en place en 1974 du Programme élargi de vaccination de l’OMS (PEV) [2]. En 2020, l’arrivée des vaccins à ARN messager (ARNm) contre la Covid-19, développés en un temps record, ouvre de nouvelles perspectives et autorise de nouveaux espoirs.

Mais la vaccination est attaquée. Non seulement par les groupes « anti-vaccins », mais aussi par des criminels qui, au péril de la santé des populations, falsifient pour leur profit les vaccins, comme les autres médicaments [3]. Loin d’être un phénomène isolé, le trafic de faux vaccins, qui frappe avant tout les pays les plus pauvres, s’étend sur tous les continents et constitue une grave menace pour la santé mondiale.

Historique des faux vaccins

Le premier cas documenté de falsification d’un vaccin remonte à 1995. Alors qu’une nouvelle épidémie de méningite cérébro-spinale à méningocoque du groupe A (MCSm) se répand au Niger, une campagne de vaccination en urgence est entreprise pour casser la courbe épidémique. Le manque d’infléchissement de l’épidémie [4] et l’aspect douteux des vaccins [5] conduisent les équipes de Médecins sans frontières (MSF) et les autorités sanitaires du Niger à alerter le laboratoire producteur. Après analyse, la suspicion est confirmée : les vaccins sont des faux, ne contenant aucun principe actif ! La falsification concerne 88 000 doses de vaccin antiméningococcique en provenance du Nigéria, dont environ 60 000 déjà administrées [6], et serait responsable de la mort d’au moins 3 000 personnes.

Les Tricheurs (détail), Caravage (1571-1610)

Vingt ans plus tard, les efforts contre cette infection sont toujours sabotés par les trafiquantstueurs : en 2015 [7], 2017 [8] et 2019 [9], des vaccins falsifiés ont été identifiés en Afrique de l’Ouest, en particulier au Niger.

La vaccination en réponse immédiate à une épidémie a été propice pour révéler l’existence de la falsification des vaccins. Mais, dans les campagnes de vaccination « préventive » à large échelle contre d’autres maladies, un faux vaccin est beaucoup plus compliqué à identifier : dans les pays du Sud, en l’absence de pharmacovigilance et de suivi des personnes vaccinées, si aucun effet indésirable grave ne vient révéler une fraude, comment la repérer ?

Les conséquences sanitaires sont graves à l’échelle individuelle et à l’échelle collective : échec de prévention de la maladie visée par le vaccin, propagation et perte de contrôle de l’épidémie, multiplication des victimes, perte de confiance du public... Elles sont difficiles à mesurer avec précision, retardant la prise de conscience de ce fléau.

En 2016, l’Indonésie a ainsi découvert qu’une organisation criminelle s’adonnait au trafic de faux vaccins pédiatriques sur son territoire depuis treize ans [10].

Comme pour les médicaments, tous les vaccins peuvent être falsifiés. Ainsi, récemment, au Bangladesh, en 2016, c’est la falsification du remarquable vaccin contre la fièvre jaune [11], dont une seule injection confère une protection à vie contre cette maladie potentiellement mortelle. En Ouganda, en 2018, c’est la falsification des vaccins contre l’hépatite B [12]. Au Bangladesh de nouveau, en 2019, c’est la distribution du contenu de 8 000 cartons de faux vaccin anticholérique par voie orale [13]. Aux Philippines, en 2019, des trafiquants ont mis à profit la pénurie de vaccins antirabiques pour diffuser des lots de vaccins humains et de sérum contre la rage falsifiés [14].

Les vaccins vétérinaires sont, eux aussi, concernés : un vaccin falsifié contre la rage a été identifié en Pologne, en 2017 [15], et le trafic est probablement largement répandu en Afrique.

Les vaccins anti-Covid, aujourd’hui

Depuis le début de l’année 2020, la recherche scientifique a permis de concevoir, développer, produire et mettre sur le marché en un temps record des vaccins sûrs et efficaces contre la Covid-19, avec l’espoir d’une maîtrise de la pandémie dans les prochains mois. Mais, prompts à réagir, les criminels ont vu, dans le lancement de cette campagne vaccinale mondiale, une opportunité pour de juteux trafics [16].

Dans les pays pauvres, profitant de l’accès difficile à ces vaccins de qualité et des carences des circuits pharmaceutiques, les trafiquants distribuent et administrent de faux vaccins dans des circuits parallèles (cliniques privées, centres de « santé naturelle », entreprises…). Au Mexique [17] et en Équateur, entre autres, des dizaines de milliers de personnes ont reçu une ou plusieurs injections de ces vaccins falsifiés [18].

Le Marchand d’orviétan, Étienne Jeaurat (1699-1789) Les artistes du XVIIIe siècle se plaisent à représenter des scènes domestiques où des charlatans s’ingénient à fournir à des naïfs de faux remèdes comme l’orviétan, une mixture à base de miel supposée guérir tous les maux.

Un centre de vaccination illégal a également été démantelé en Inde et des vaccins falsifiés ont été identifiés en Birmanie, en Chine, en Iran et en Ouganda [19]. Tous les vaccins anti-Covid sont concernés.

Au Nord, y compris dans les pays riches, exploitant les difficultés d’approvisionnement durant les premiers mois de la campagne et la confusion engendrée par une communication ayant pu être perçue comme angoissante, alarmiste ou excessive, des trafiquants ont diffusé de faux vaccins sur la face cachée d’Internet (darkweb) [20] à des prix s’élevant jusqu’à mille dollars la dose [21].

Dans les pays économiquement développés, en dehors d’Internet, incontrôlable, les procédures extrêmement rigoureuses d’autorisation de mise sur le marché et de contrôle des vaccins [22] (contrôles internes, à tous les stades de la fabrication, par l’industriel, et externes, par l’Agence du médicament qui délivre les certificats de libération des lots) garantissent leur qualité et leur sécurité. Même dans les situations de crise, le circuit est parfaitement surveillé et assure la distribution de vaccins authentiques et sûrs.

Dans les pays pauvres, en particulier en Afrique, les populations ne bénéficient pas d’une telle protection. Les circuits pharmaceutiques, fragiles et complexes en raison de la multiplicité des fournisseurs et des modalités d’importation, sont beaucoup plus vulnérables, surtout dans un contexte d’urgence, et représentent une cible privilégiée pour les trafiquants. En outre, dans de nombreux pays, la corruption rampante ou massive, à tous les niveaux de la société, alimente le trafic de médicaments et vaccins falsifiés, et lui permet de prospérer.

Que faire ?

La vaccination est attaquée sur tous les continents : calomniée et prise à partie par des groupuscules sectaires et complotistes, mise en doute par une opinion publique qui a oublié ou n’a pas connu la gravité des maladies infectieuses (diphtérie, poliomyélite…), usurpée par des truands qui mettent en danger la santé des populations et risquent d’accroître la défiance vaccinale. Face à cette menace croissante et mortifère, la mobilisation générale est requise d’urgence.

Dans les pays pauvres, le renforcement des circuits pharmaceutiques ne pourra être acquis qu’en donnant aux agences de régulation les ressources humaines, financières et techniques ainsi que l’appui politique nécessaires à leur mission de surveillance et de contrôle des produits de santé, notamment des vaccins. Ce problème n’est pas nouveau. Il avait été soulevé dès 1987 lors d’une réunion organisée par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) à Dakar [23]. Pourtant, tout reste à faire : aucun laboratoire en Afrique francophone n’est en mesure de contrôler les médicaments et les vaccins humains ; aucun ne bénéficie de la pré-qualification de l’Organisation mondiale de la santé [24].

Dans les pays riches, le contrôle des vaccins avant leur mise sur le marché est assuré par des laboratoires nationaux indépendants des producteurs (souvent le laboratoire de l’agence nationale du médicament). La société civile doit être sensibilisée aux risques des vaccins falsifiés circulant sur Internet. En effet, les vaccins, comme les médicaments, ne sont pas des marchandises comme les autres.

Et partout, l’engagement des autorités politiques de santé avec les forces de police, des douanes, les juges et les procureurs, est indispensable pour identifier plus rapidement les fraudes et poursuivre leurs auteurs grâce à la Convention Médicrime du Conseil de l’Europe [25].

Le combat doit aussi porter sur l’opinion publique, par une information rigoureuse permanente et une lutte sévère contre la désinformation. Les professionnels de santé, en première ligne, ont un rôle crucial à jouer et doivent être sensibilisés à ce trafic et à ses conséquences désastreuses.

Conclusion

Face à la pandémie de Covid-19, l’humanité se tourne vers la vaccination. Grâce à une exceptionnelle mobilisation scientifique mondiale, moins de deux ans après l’émergence de la maladie, la sortie de crise est espérée. Mais le mal plus insidieux du trafic de vaccins falsifiés, lui, perdurera. Il doit être combattu, à tous les niveaux, avec autant de vigueur que la Covid-19.

Références


1 | Organisation mondiale de la santé, « Vaccins et vaccination », 2021.
2 | Saliou P, « Vaccination et développement en Afrique sub-saharienne », Bull Acad Nat Méd, 2007, 191 :1589-99. Sur academie-medecine.fr
3 | Gentilini M, Duteil Q, « Les faux médicaments », SPS n° 334, octobre 2020.
4 | « Vaccins : Mérieux et SmithKline victimes d’une contrefaçon mortelle en Afrique », Les Echos, 9 août 1996.
5 | Broussard P, « Du Nigéria au Niger, d’étranges vaccins contre la méningite », Le Monde, 26 octobre 1996.
6 | « WHO launches taskforce to fight counterfeit drugs », Bulletin of the World Health Organization, 2006, 84 :689-94.
7 | Organisation mondiale de la santé, « Alerte produit médical n° 3/2015 : faux vaccins contre la méningite en circulation en Afrique de l’Ouest », mise à jour, 27 mai 2015.
8 | Organisation mondiale de la santé, « Alerte produit médical n° 1/2017 : vaccin antiméningococcique falsifié en circulation en Afrique de l’Ouest », 2 juillet 2017.
9 | Organisation mondiale de la santé, « Alerte produit médical n° 5/2019 : vaccins contre la méningite falsifiés circulant au Niger », 28 janvier 2020.
10 | Mazière M, « Un scandale de faux vaccins en Indonésie », Le Quotidien du pharmacien, 29 juin 2016.
11 | Organisation mondiale de la santé, « Alerte produit médical n° 2/2016 : vaccins falsifiés AMARIL, fièvre jaune, circulant en Asie du Sud-Est », 11 février 2016.
12 | National Drug Authority, « Rapport final de l’enquête sur les vaccins contre l’hépatite B suspectés de falsification, retrouvés sur le marché ougandais en mars 2018 », déclaration à la presse, 12 octobre 2018.
13 | Organisation mondiale de la santé, « Alerte produit médical n° 4/2019 : vaccins anticholériques oraux falsifiés circulant au Bangladesh », 21 mars 2019.
14 | Organisation mondiale de la santé, « Alerte produit médical n° 8/2019 : vaccins et sérum antirabiques falsifiés circulant aux Philippines », communiqué de presse, 31 janvier 2020.
15 | Agence fédérale des médicaments et produits de santé, « Falsification d’un vaccin contre la rage trouvé en Pologne », notification, 19 octobre 2017.
16 | Fondation de l’Académie de médecine, « Attention aux faux vaccins contre la Covid-19 », 2021.
17 | Organisation mondiale de la santé, « Le vaccin contrefait contre la Covid-19 BNT162b2 identifié dans la région panaméricaine », alerte, 26 mars 2021.
18 | Nugent C, “Police in Ecuador shut down clinic that injected thousands with fake Covid-19 vaccine”, Time, 27 janvier 2021.
19 | Gerome P, « Falsification de vaccins et d’antiviraux contre la Covid-19 », actualité, 29 septembre 2021.
20 | « Pfizer confirme que des vaccins saisis au Mexique et en Pologne sont des faux », Le Figaro, 22 avril 2021.
[21 Swissmedic, « N’achetez ni vaccins ni d’autres médicaments sur Internet », 11 janvier 2021.
22 | « Contrôles de qualité et de sécurité des vaccins », aspects réglementaires, 12 avril 2018.
23 | Organisation des Nations unies pour le développement industriel, Compte rendu de la Réunion régionale sur la fabrication et la distribution des produits biologiques humains et vétérinaires en Afrique, Dakar, 28 septembre – 1er octobre 1987, Éditions de la Fondation Mérieux, 1998.
24 | Organisation mondiale de la santé, « Liste des laboratoires de contrôle qualité pré-qualifiés », 7 septembre 2020.
25 | Conseil de l’Europe, « La convention MEDICRIME sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (STCE n° 211) », mise à jour, 3 décembre 2021.

Publié dans le n° 339 de la revue


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Les auteurs

Quentin Duteil

Quentin Duteil est docteur en pharmacie. Il est fortement impliqué dans l’action contre le trafic de faux (...)

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Marc Gentilini

Professeur émérite de la faculté de médecine (Pitié-Salpêtrière) et spécialiste des maladies infectieuses et (...)

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Pierre Saliou

Professeur agrégé du Val-de-Grâce et expert en vaccinologie. Il est président honoraire de l’Académie des (...)

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