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Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool

Publié en ligne le 13 mars 2023 - Santé et médicament -
Nous publions ici le résumé de l’expertise collective réalisée par l’Inserm et publiée en mai 2021. Le rapport complet et la synthèse peuvent être consultés sur le site de l’Institut : « Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool », Inserm, Expertise collective, 28 mai 2021. Sur inserm.fr

Les notes de bas de page sont de la rédaction de Science et pseudo-sciences.

La consommation d’alcool est un facteur de risque majeur pour la santé avec des effets dans toute la société. En 2016, la Cour des comptes soulignait la nécessité d’une prise de conscience collective de ce fardeau et proposait de développer la recherche et de s’appuyer sur ses résultats pour fonder l’action publique. L’Inserm a coordonné une expertise collective pour faire une analyse critique des dernières connaissances scientifiques en la matière et dresser des constats puis des recommandations visant à réduire les risques et les dommages sur la santé liés à la consommation d’alcool. Les disciplines mobilisées incluent recherche clinique, épidémiologie, sociologie, économie, marketing social 1 et les travaux abordent les comportements, les effets sanitaires de l’alcool, l’impact sanitaire à l’échelle de la population, les coûts économiques associés, et discutent les principales stratégies de prévention.

Comportements

En France, la consommation d’alcool est ubiquitaire avec 42,8 millions de consommateurs ainsi que des niveaux élevés de consommation chez les jeunes et les seniors. Les données montrent que si durant la grossesse, la consommation d’alcool a diminué au cours des dernières décennies, 20 % des femmes concernées déclarent en avoir bu. Expérimentée pour la première fois au cours de l’adolescence, la consommation d’alcool devient régulière (10 fois ou plus par mois) pour 8 % des jeunes de 17 ans, tandis que 40 à 50 % ont au moins une alcoolisation ponctuelle importante mensuelle. Environ 25 % des jeunes avec une consommation à risque poursuivent ce type de consommation à l’entrée dans la vie adulte. Chez les adultes en France, la consommation moyenne par jour est de 27 g d’alcool pur par personne 2.

Effets

Les études récentes, et de nouvelles méthodologies comme la randomisation mendélienne 3 indiquent un effet néfaste de l’alcool dès les faibles niveaux de consommation (10 à 15 g par jour, soit 1 à 1,5 verres par jour) et l’absence d’effet protecteur des faibles consommations, réfutant le concept de « French paradox » 4.

Ainsi, il est désormais établi que toute consommation est nuisible pour la santé. Le niveau de consommation d’alcool pour lequel le risque de dommages est minimal est de zéro verre par semaine. La consommation d’alcool est responsable directement ou indirectement d’une soixantaine de maladies dont la cirrhose hépatique, certains cancers (foie, colorectal, sein et voies aérodigestives supérieures), des maladies cardiovasculaires, des maladies digestives, des maladies mentales et des accidents ou suicides. Elle est la septième cause de perte d’années de vie en bonne santé dans le monde en 2016, et aussi la première cause d’hospitalisation en France.

La mortalité attribuable à l’alcool, plus élevée en France qu’ailleurs en Europe, est de 11 % pour les hommes et 4 % pour les femmes chez les 15 ans et plus, soit 41 000 décès dont 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes. La mortalité attribuable à l’alcool par classe d’âge est de 7 %, 15 % et 6 % respectivement pour les 15-34, 35-64 et 65 ans et plus. De ces décès, 16 000 correspondent à des cancers, 9 900 à des maladies cardiovasculaires et 6 800 à des maladies digestives. Environ 8 % de tous les nouveaux cas de cancer sont liés à l’alcool et sa consommation à des niveaux faibles (selon l’OMS moins de 20 g par jour pour les femmes et 40 g par jour pour les hommes) à modérés (respectivement 20 à 40 g par jour et 40 à 60 g par jour) contribue particulièrement à ce fardeau sanitaire avec plus du tiers de ces nouveaux cas de cancer.

Alors que les femmes consomment moins d’alcool en moyenne, l’incidence des cancers attribuables à l’alcool est similaire entre les sexes, avec notamment un nombre important de cancers du sein imputables à l’alcool particulièrement à des niveaux de consommation faibles à modérés. De plus, l’alcoolisation fœtale peut provoquer chez l’enfant des troubles et malformations dont la forme la plus grave est le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF). En Europe, sa prévalence, plus élevée qu’ailleurs dans le monde, est estimée à 37 pour 10 000 personnes.

Coût social

Estimé à 118 milliards d’euros en 2010 en France, soit une perte de 6 % du PIB, le coût social très élevé de l’alcool se compose principalement de coûts liés à la mortalité (66 Mrd €) et à la morbidité (39 Mrd €) attribuables.

Au café « La Mie », Henri de Toulouse-Lautrec (1964-1901)

L’alcool, secteur économique important mais en perte de vitesse, est soumis à un système fiscal ne maximisant pas les potentialités de recettes fiscales avec 4 Mrd €/an, soit un trentième des coûts sociétaux. La contribution fiscale et les volumes consommés ne sont en outre pas en adéquation, les spiritueux génèrent 81 % des recettes fiscales tandis que les bières et les vins contribuent respectivement à hauteur de 12 % et de 4 %. Il existe un espace viable économiquement entre des politiques volontaristes de lutte contre les dommages liés à la consommation d’alcool visant à minimiser son coût social et la préservation des savoir-faire, de l’économie et de l’identité de certains territoires.

Facteurs de risque de la consommation d’alcool

Le prix de l’alcool, sa disponibilité ou encore les normes relatives à sa consommation, sont associés à des perceptions positives de l’alcool et aux tendances de consommation. La consommation d’alcool est influencée par des facteurs structurels/collectifs (le contexte des consommations ainsi que le niveau de production, de distribution et de régulation de l’alcool, difficultés socio-économiques, influence des pairs, des parents et de la culture relative à l’alcool) et des facteurs individuels/psychologiques (expériences vécues, problèmes de comportement, recherche de sensations).

Le marketing de l’alcool avec ses outils classiques (produit, prix, publicité, accès au produit) influence les niveaux et modes de consommation et joue un rôle primordial dans les comportements d’alcoolisation des jeunes. Internet et les réseaux sociaux, fréquentés par les jeunes, où la publicité est peu régulée sont particulièrement investis par les producteurs d’alcool. Or l’exposition à des contenus pro-alcool augmente significativement l’envie de consommer, les quantités bues et la banalisation des alcoolisations excessives.

Gestion du risque

L’auto-régulation proposée et mise en œuvre par les industries est inefficace pour protéger les jeunes du marketing de l’alcool. De plus en plus de pays ont recours à des réglementations davantage contraignantes. En France, la loi Évin de 1991 encadre la lutte contre les dommages liés à la consommation d’alcool (et de tabac) mais, dans sa version actuelle, en plus de n’être pas toujours respectée, elle a été considérablement modifiée et affaiblie sous l’effet du lobbying des producteurs d’alcool. Elle protège peu les mineurs de l’exposition à la publicité des marques d’alcool, en particulier sur Internet, les affichages de rue, et dans les supermarchés.

De plus, des acteurs du lobbying en faveur de l’alcool mènent des campagnes de prévention ou de promotion de la consommation dite « responsable » et contrarient la mise en place d’une réglementation efficace.

En France, la mise en place d’une politique de Réduction des risques et des dommages (RDRD) basée sur une réduction des consommations dont l’influence est majeure dans la réduction des dommages est indispensable afin de limiter ou d’éviter une altération de la santé des consommateurs. Il est essentiel de favoriser la mise en œuvre d’interventions ayant fait la preuve de leur efficacité. Les mesures préconisées concernent à la fois la population et les pouvoirs publics.

La Prune, Édouard Manet (1832-1883)

Ainsi, il convient de prévenir les usages de l’alcool en renforçant les connaissances des populations, en rendant plus claire la communication des autorités destinée au grand public sur les risques liés à la consommation d’alcool en rappelant les repères de consommation à risque faible (Santé publique France : pas plus de 2 verres/j et pas tous les jours 5), le zéro alcool particulièrement dans la période prénatale et pré-conceptionnelle, la plus grande vulnérabilité des femmes vis-à-vis de l’alcool, en renforçant les avertissements sanitaires et en favorisant les campagnes d’arrêt de la consommation, type « Dry January » (mois sans alcool), dont les bénéfices ont été démontrés.

Il est par ailleurs nécessaire, grâce à la législation, de limiter l’accès à l’alcool et de réduire son attractivité ainsi que la diffusion de messages positifs : en augmentant le prix (taxation par gramme d’alcool comme pour la taxe soda, ou prix minimum comme en Écosse), en contrôlant mieux et automatiquement son accès aux mineurs, en réduisant sa disponibilité (plage horaire de vente et nombre de commerces ou de licences), en renforçant la loi Évin pour interdire la publicité sur Internet, dans l’espace public et contrer les effets du marketing avec une meilleure visibilité des avertissements sanitaires.

La Tentation de Perceval (détail), Arthur Hacker (1858-1919)

Un enjeu prioritaire pour la prévention est le renforcement des facteurs de protection dès le début du parcours de vie des individus. Des interventions de prévention de la consommation visant à renforcer les connaissances et les compétences des usagers sont à développer en particulier par une communication digitale et la persuasion technologique. Des interventions précoces visant le renforcement de facteurs génériques de protection telles que les compétences parentales et les compétences psychosociales sont efficaces en milieu scolaire, auprès des parents ou des familles, et en milieu du travail.

Ces actions de prévention doivent être complétées par une stratégie de dépistage systématique d’une consommation d’alcool à risque, lors d’une consultation chez un professionnel de santé. Ce dépistage doit permettre, si nécessaire, de proposer une prise en charge pour les consommateurs à risque. Les « interventions brèves » 6 souvent associées de façon bénéfique au dépistage ont un rapport coût-efficacité positif clairement établi et peuvent être utilisées sur des supports électroniques adaptés aux interventions en collectivité (écoles, armée…).

Les professionnels de premier recours 7 doivent être davantage formés aux stratégies de dépistage et aux différentes méthodes d’intervention efficaces. Pour les patients dépendants à l’alcool, stade le plus sévère des consommations à risque d’alcool avec une évolution chronique, la prise en charge doit être améliorée en renforçant la qualité de l’observance sur le long terme pour éviter la rechute et en favorisant des stratégies thérapeutiques efficaces (psychothérapeutiques, médicamenteuses, de remédiation cognitive, de réhabilitation sociale et de prise en charge des comorbidités). Les conséquences sanitaires, sociales et financières très importantes de la consommation d’alcool, même à de faibles niveaux, sont un fardeau pour la société française mais sans pour autant que les moyens alloués soient à la hauteur des enjeux. Les mesures préconisées ici, en direction de la population et des pouvoirs publics avec la mise en œuvre d’interventions ayant fait la preuve de leur efficacité doivent être au cœur d’une politique de réduction des risques et des dommages basée sur une réduction des consommations.

Références


1 | Santé publique France, « Marketing social : de la compréhension des publics au changement de comportement », 15 janvier 2020. Sur santepubliquefrance.fr
2 | Santé publique France, « Quels sont les risques de la consommation d’alcool pour la santé ? », 10 juin 2019. Sur santepubliquefrance.fr
3 | Organisation mondiale de la santé, “Brief intervention – The ASSIST-linked brief intervention for hazardous and harmful substance use – Manual for use in primary care”, 16 juin 2012. Sur who.int

1 Le marketing social vise à modifier les comportements des individus ciblés au bénéfice de leur bien-être et de celui de la société. Il inclut des techniques issues du marketing, de l’économie comportementale et de la psychologie sociale.

2 On retiendra que 10 g d’alcool pur équivaut à environ un verre de vin.

5 Santé publique France a précisé le sens qu’elle donne à « verre standard » en alcool [2]. Il équivaut approximativement à 10 grammes d’alcool pur, quel que soit le type de boisson alcoolisée (vin, bière, apéritif ou alcool fort). Cela correspond à un ballon de 10 cl de vin à 12°, à un verre de 2,5 cl de pastis à 45°, un verre de 25 cl de bière à 5°.

6 L’OMS décrit une « intervention brève » comme « une courte intervention d’une durée de 3 à 15 minutes donnée [par] un agent de santé [qui] dépiste la consommation de tous les types de substances [addictives] et détermine un score de risque […]. Le fait de demander aux personnes si elles souhaitent consulter leurs scores permet à l’agent de santé d’entamer une discussion (intervention brève) de manière non conflictuelle et s’est avéré être un moyen efficace d’amener les personnes, en particulier à risque modéré, à modifier leur consommation de substances »([3] traduction par nos soins).

7 Il s’agit des médecins généralistes, urgentistes, pédiatres, médecins du travail, les médecins et infirmiers scolaires, les pharmaciens, les services de médecine préventive dans les universités… (voir le rapport complet).