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Accidents et contaminations nucléaires, quelles conséquences ?

Publié en ligne le 13 janvier 2023 - Nucléaire -
Introduction du dossier

L’énergie nucléaire est un sujet clivant en France. La situation d’urgence climatique, renforcée par la crise énergétique en lien avec la guerre en Ukraine, a de nouveau mis la question du développement ou de l’arrêt du programme nucléaire au centre des débats. Dans ce nouveau contexte, l’opinion publique en France semble de nouveau basculer en faveur de cette énergie [1].

Une caractéristique majeure du nucléaire est son faible impact sur l’effet de serre et donc sur le réchauffement climatique. En phase de production, les émissions de gaz à effet de serre sont quasi nulles. Et même en tenant compte du « cycle de vie complet » (construction des centrales, extraction et enrichissement du minerai d’uranium, démantèlement et gestion des déchets), elle possède un bilan carbone comparable à celui de l’éolien, et significativement plus faible que celui du solaire photovoltaïque [2]. Le gouvernement français a annoncé sa volonté de mettre en service de nouveaux réacteurs (un débat public est en cours [3]) et vient de déposer un projet de loi visant à simplifier les procédures administratives pour la construction de nouveaux réacteurs sur des sites existants ou la prolongation de la durée de vie des réacteurs en exploitation [4].

La Patrie en danger(détail), Guillaume Guillon-Lethière (1760-1832)

Les opposants au nucléaire, de leur côté, mettent en avant les dangers que présente cette forme de production d’énergie, ciblant en particulier la gestion des déchets, les risques d’accident et la contamination environnementale. Plusieurs partis politiques ont fait de la sortie du nucléaire un objectif prioritaire. Des accords politiques passés ont conduit à l’arrêt du surgénérateur Superphénix en 1997 puis à la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2020.

L’énergie nucléaire a déjà fait l’objet de plusieurs dossiers et articles dans de récents numéros de Science et pseudo-sciences. Nous avons traité de ses atouts (énergie bas carbone pilotable), des questions relatives au recyclage des combustibles, des réacteurs de quatrième génération, des petits réacteurs modulables, de la perspective de la fusion nucléaire ou encore de la sûreté des installations nucléaires. Le précédent numéro (342) de notre revue consacrait un dossier au nucléaire et la guerre.

Si une majorité de Français se déclarent favorables au recours à ce type d’énergie, ils sont toutefois 62 % à la juger « dangereuse » [1]. Ainsi, dans ce numéro, nous complétons le panorama déjà effectué en nous focalisant sur la face sombre du nucléaire civil et sur les éléments qui sont souvent avancés par les opposants dans le débat public.

Caractériser la gravité d’un incident ou d’un accident

Le danger de ce mode de production d’électricité est un des éléments centraux de la controverse le concernant. En effet, si le risque associé est jugé disproportionné, à quoi bon discuter de ses avantages ? Ainsi, logiquement, les associations qui s’opposent au nucléaire médiatisent les incidents et communiquent largement sur leurs analyses, souvent anxiogènes, des impacts sur la santé et l’environnement des accidents passés. Elles mettent régulièrement en cause une sûreté défaillante et une inévitable vulnérabilité. Il devient ainsi très difficile pour le public d’appréhender la gravité réelle des événements qui surviennent dans les installations nucléaires.

Tirant un bilan négatif de la communication institutionnelle lors des accidents de Three Mile Island en 1979 et de Tchernobyl en 1986, et dans le but de faciliter la compréhension par le public et les médias des incidents et accidents qui peuvent survenir, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont élaboré une échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (INES) visant à « informer le public sur l’importance des situations d’urgence nucléaire et radiologique du point de vue de la sûreté » [5]. Ce dispositif de classement donne une indication de la gravité d’un événement sur une échelle allant de 0 à 7. Mise au point en 1990 pour classer les événements survenant dans des centrales nucléaires, l’échelle a été adaptée pour s’appliquer à tous les événements associés à l’utilisation, au transport et à l’entreposage des matières radioactives et des sources de rayonnements, à l’exclusion des applications militaires (voir l’article de Laurent Coudouneau « L’échelle INES des incidents et accidents nucléaires »).

À ce jour, deux accidents ont été classés au niveau 7 : celui de Tchernobyl en 1986 et celui de Fukushima en 2011.

L’accident de Tchernobyl

L’accident de Tchernobyl (sur le territoire de l’Ukraine, alors partie de l’URSS) s’est produit dans la nuit du 25 au 26 avril 1986 [6]. Les autorités soviétiques de l’époque n’ont communiqué sur le relâchement de radioactivité que le 28 avril alors qu’elle venait d’être détectée à 1 100 km de là par les capteurs d’une centrale nucléaire en Suède. Dans les jours suivants, le monde angoissé a suivi le déplacement du panache radioactif.

Pour mieux comprendre les causes de l’accident, son déroulement, les actions mises en place, mais aussi ses conséquences, on pourra se reporter au rapport de l’IRSN [6]. Mais la série en cinq épisodes Chernobyl peut aussi être une manière plus facile d’appréhender l’événement. Elle donne une description de l’accident et de ses conséquences qui est assez fidèle, avec néanmoins quelques approximations ou erreurs, qui peuvent induire une mauvaise compréhension de l’impact de la radioactivité (voir l’article de Jean-Jacques Ingremeau « La série Chernobyl est-elle fidèle à la réalité ? » – en ligne sur le site de l’Afis).

Le bilan sanitaire
L’Organisation mondiale de la santé estimait en 2005 que « jusquà 4 000 personnes pourraient éventuellement mourir des suites de lexposition aux radiations de laccident de la centrale nucléaire de Tchernobyl » [7]. L’Unscear (Comité scientifique sur l’effet des rayonnements ionisants), une agence dépendant de l’ONU, parfois comparée au Giec (voir l’encadré ci-dessous « L’Unscear, le “Giec des effets sanitaires des radiations” ? ») fait une analyse exhaustive des conséquences de l’accident, même si elle ne donne pas de chiffre sur le bilan sanitaire (voir plus bas l’encadré « Bilan humain de l’accident de Tchernobyl »).

L’Unscear, le « Giec des effets sanitaires des radiations » ?


L’Unscear est le Comité scientifique sur l’effet des rayonnements ionisants. Cet organisme a été mis en place par l’Organisation des Nations unies en 1955. Il a le mandat d’évaluer l’exposition des populations aux radiations et ses impacts. Son rôle et son fonctionnement sont souvent comparés à celui du Giec, beaucoup plus connu. Ce sont en effet deux organismes qui fonctionnent sous un mandat de l’ONU. Leurs missions sont de fournir des rapports qui font un état des connaissances sur la base des publications scientifiques. L’Unscear « ne prend pas position » dans les débats politiques, mais ses évaluations scientifiques « peuvent éclairer ces débats ». Ses membres « sont nommés par les gouvernements sur la base de leurs qualifications et de leur expérience scientifique et doivent effectuer des évaluations scientifiques conformément aux procédures et valeurs scientifiques établies ».

Dans ses premières années, les travaux de l’Unscear concernaient essentiellement l’impact du développement du nucléaire militaire, et en particulier des essais atmosphériques qui ont dispersé des quantités très importantes de radioactivité dans l’atmosphère (bien supérieures à celles de l’accident de Tchernobyl). Avec la fin des essais atmosphériques, cette activité est devenue minoritaire mais le comité continue à évaluer l’impact des radiations sur la santé, que cette exposition soit naturelle, médicale, ou d’origine accidentelle. Il a ainsi produit plusieurs rapports sur les accidents de Tchernobyl et de Fukushima.

Source
Le site de l’Unscear. Sur unscear.org (présentation en français sur onu-vienne.delegfrance.org/UNSCEAR).

À l’autre bout du spectre des évaluations, on trouve des annonces de conséquences apocalyptiques allant jusqu’à « près d’un million de morts » [8], incompatible avec les évaluations des agences internationales. Le nombre de victimes est un élément clé de la controverse sur le nucléaire. L’écart constaté entre les chiffres issus des agences sanitaires et ceux relayés par les associations qui s’opposent au nucléaire est abyssal. Il est emblématique de l’importance de cette question pour l’acceptabilité sociale de ce mode de production d’énergie.

De nombreuses rumeurs
La désinformation autour de l’accident de Tchernobyl ne concerne pas que le bilan sanitaire. Ainsi, nous décrivons dans ce numéro une théorie selon laquelle les habitants de Biélorussie auraient été délibérément sacrifiés dans le but de protéger Moscou des retombées radioactives (voir l’article de François-Marie Bréon « L’Union soviétique a-t-elle sacrifié la Biélorussie pour protéger Moscou ? » – en ligne sur le site de l’Afis). De même, une potentielle « seconde explosion » est parfois évoquée, y compris dans la série évoquée plus haut ; elle aurait eu des conséquences cataclysmiques et n’aurait été évitée que par le sacrifice de liquidateurs qui seraient intervenus dans les sous-sols de la centrale (voir l’article de François-Marie Bréon, « Tchernobyl : aurait-on évité encore pire ? » – en ligne sur le site de l’Afis).

Bilan humain de l’accident de Tchernobyl


Les principales sources d’information utilisées ici proviennent des rapports publiés par l’IRSN [1], l’Unscear [2] et l’OMS [3].

Tchernobyl est le plus grave accident nucléaire de l’histoire. Plusieurs centaines de milliers de « liquidateurs » ont été employés sur le site dans le but de limiter ses conséquences et certains ont été exposés à des doses de radiations très importantes (supérieures à 1 sievert), en particulier pendant les premiers jours suivant l’accident. Parmi ces liquidateurs, 134 ont souffert du syndrome d’irradiation aiguë nécessitant une hospitalisation. Sur ceux-ci, 28 sont morts dans les trois premiers mois, et 19 autres sont décédés au cours des dix-sept années suivantes, pour des causes qui ne sont pas nécessairement en lien avec leur exposition [2]. Les autres liquidateurs ont été exposés à une radioactivité significative, pouvant aller jusqu’à 1 sievert, sans avoir souffert du syndrome d’irradiation aiguë. Parmi ces liquidateurs, il y a des indications d’une augmentation de la fréquence des leucémies et des cataractes [2].

Parmi les populations exposées aux retombées radioactives en Ukraine et Biélorussie, on observe une très forte augmentation des cancers de la thyroïde chez ceux qui étaient enfants ou adolescents au moment de l’accident. C’est près de 10 000 cancers de ce type qui sont la conséquence des retombées, par la consommation de lait contaminé à l’iode radioactif [3]. Cependant, le pronostic vital est bon pour ce type de cancer (avec un taux de survie de l’ordre de 99 %) et peu de décès peuvent donc lui être attribués.

À part ces maladies confirmées ou suspectées, il n’y a pas d’augmentation statistiquement observable de maladies en lien avec les radiations [2]. Pourtant, on sait qu’une forte exposition à la radioactivité entraîne une augmentation de la fréquence de nombreux cancers. Mais l’exposition des populations et de la plupart des liquidateurs fut trop faible pour que l’impact sanitaire devienne statistiquement représentatif. Une estimation du nombre de morts attribuables à l’accident se fait donc sur la base de modélisations, en estimant l’exposition des liquidateurs et des populations, et en appliquant un facteur de risque déduit d’études épidémiologiques comme celle des habitants de Hiroshima et Nagasaki [4]. Sur cette base, il a été estimé que l’accident pourrait conduire à 4 000 décès [3]. Il y a néanmoins des incertitudes importantes sur ce chiffre car l’impact des faibles doses (moins de 100 millisievert) est encore mal compris et l’exposition des populations n’est pas quantifiée précisément. C’est pourquoi l’Unscear ne donne pas de chiffre dans ses dernières évaluations.

Cependant, il est important de rappeler que le bilan humain de l’accident n’est pas limité à l’impact des radiations. De très nombreuses personnes ont été déplacées et ont perdu leur logement, leur emploi et leur cadre de vie. Par ailleurs, la peur de la radioactivité et de ses impacts a eu des conséquences indéniables sur la qualité de vie. Cela s’est traduit par de l’alcoolisme et des dépressions, et donc à des décès comme on a pu le constater à Fukushima. Mais l’ampleur est impossible à quantifier, en particulier du fait de la concomitance avec la désintégration de l’URSS dont les effets ont été majeurs sur ces mêmes populations.

Références
1 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « 1986-2011, l’accident de Tchernobyl et ses conséquences pour l’environnement et la santé : la mortalité due à l’accident », 2021. Sur irsn.fr
2 | United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, “Assessments of the radiation effects from the Chernobyl nuclear reactor accident”, 2022. Sur unscear.org
3 | Organisation mondiale de la santé, “Chernobyl : the true scale of the accident”, 5 septembre 2005. Sur who.int
4 | Jordan B, « Conséquences des bombardements à Hiroshima et Nagasaki sur les survivants et leur descendance », SPS n° 342, octobre 2022. Sur afis.org

L’accident de Fukushima

Le second accident classé au niveau 7 sur l’échelle INES est celui de Fukushima au Japon en 2011. La cause première de l’accident est un tremblement de terre particulièrement puissant et le tsunami engendré qui ont fait environ 18 000 morts et des destructions considérables. En comparaison à ces décès « naturels », les conséquences sanitaires de l’accident nucléaire restent modestes (voir l’article de Nicolas Automme « Les conséquences sanitaires de Fukushima »). Il faut souligner qu’aucun décès attribué à l’accident nucléaire n’est de nature radiologique.

Les évacuations et leurs conséquences

La très grande majorité des décès qui sont intervenus en lien avec l’accident de Fukushima résulte des conséquences psychologiques de l’évacuation des populations. Pourtant, lorsqu’on comptabilise les morts de Tchernobyl, on se focalise uniquement sur les impacts radiologiques et on oublie les habitants d’Ukraine et de Biélorussie dont les vies ont été dramatiquement affectées, au point de conduire à des morts prématurées. Il y a là une différence de traitement manifeste qu’il faut souligner.

D’une façon générale, la question des évacuations en cas d’accident et de rejets radioactifs en dehors du site est une préoccupation majeure prise en compte dans un « Plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur » défini par le gouvernement français [9]. L’évacuation est organisée dès lors que les prévisions d’exposition des populations dépassent un certain seuil (50 millisieverts en dose efficace). Cela se traduit dans un Plan particulier d’intervention (PPI) pour chacune des centrales nucléaires. Concrètement, les pouvoirs publics se préparent à des actions de protection des populations dans une zone de vingt kilomètres de rayon, concernant en 2021 2,2 millions de personnes et 1 063 communes pour l’ensemble des sites nucléaires (dont les 19 centrales de production d’électricité) [10].

Ces dispositifs dépendent bien entendu de l’évaluation a priori de l’ampleur des situations qui peuvent survenir et de leur probabilité d’occurrence. Ainsi, l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) a exigé que les nouveaux réacteurs (EPR) à venir soient beaucoup plus sûrs avec, en cas de fusion du cœur, des rejets précoces et importants « pratiquement éliminés », et des « rejets maximaux concevables ne [nécessitant] que des actions de protection très limitées dans l’espace et dans le temps, à savoir une mise à l’abri limitée, pas de relogement permanent, pas d’évacuation au-delà du voisinage immédiat de la centrale, pas de restriction à long terme de la consommation d’aliments » [11].

Attaque nocturne du palais Sanjoō (détail), rouleau illustré du Dit de Heiji (fin XIIIe siècle)

Les affirmations selon lesquelles un accident dans la centrale de Nogent-sur-Seine (située à 110 kilomètres de Paris) conduirait à « déplacer douze millions de personnes qui sont dans la région Île-de-France » [12] ne repose donc sur rien de concret, si ce n’est à faire apparaître le risque du nucléaire comme non acceptable.

Suite à l’accident de la centrale de Fukushima, environ 95 000 personnes ont été évacuées en 2011 (et 65 000 personnes habitant hors de la zone d’évacuation ont décidé de partir). En 2020, neuf ans après l’accident, environ 20 % des personnes évacuées ont pu retourner sur place [13].

Les impacts sur l’environnement

L’impact de ces accidents dramatiques n’est pas limité à l’humain et il est important de considérer les dégradations de l’environnement. De nombreux travaux de recherche ont été menés sur certaines espèces sauvages des territoires contaminés suite aux deux accidents majeurs de Tchernobyl et de Fukushima. Une synthèse a été réalisée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) [14], analysant plus généralement les effets des deux accidents sur les écosystèmes (voir l’encadré « Les effets sur les écosystèmes résultant des accidents de Tchernobyl et de Fukushima »).

La zone d’exclusion de Tchernobyl est devenue une réserve naturelle où les animaux sont peu dérangés par les activités humaines. Les grands mammifères ont pu s’y développer et sont maintenant beaucoup plus abondants qu’avant l’accident [15]. L’impact délétère de la radioactivité est possible, mais cet impact est nettement inférieur à celui d’une activité humaine « normale ».

En France, des contaminations au tritium très médiatisées

Au-delà de ces accidents très médiatisés, la peur du nucléaire reste très présente et est régulièrement alimentée par des articles dans les grands médias. Ainsi, la pollution des eaux au tritium est souvent évoquée et présentée comme une menace pour notre santé. En 2019, un véritable emballement médiatique s’est produit à partir d’un article du Canard enchaîné annonçant que « 6,4 millions de Français, dans 268 communes, […] boivent sans le savoir de la flotte au tritium, un radioélément recraché par les installations nucléaires » [16]. Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, dont la concentration naturelle est extrêmement faible et qui est produit lors des réactions nucléaires. Puisque la production naturelle est faible, toute fuite, accidentelle ou délibérée, conduit à une importante augmentation relative de la concentration dans l’air ou dans les eaux. La concentration en tritium est ainsi soigneusement mesurée car elle constitue un marqueur pertinent d’un possible rejet radioactif plus important. Cependant, l’impact sanitaire du tritium est négligeable, ce qui est rarement rappelé. L’intérêt pour le tritium est aussi lié à l’accident de Fukushima puisque l’eau contaminée, qui est stockée sur le site des centrales accidentées et qu’on envisage de rejeter à la mer, contient surtout cet élément radioactif (voir l’article de Paul Ferney, « Les contaminations radioactives au tritium »).

Vue du Cloaca Maxima(détail), Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853)
Le Cloaca Maximadésigne le plus grand égout de la Rome antique, dont certaines parties souterraines restent en usage aujourd’hui.

Les déchets radioactifs

La gestion des déchets radioactifs demeure aujourd’hui une préoccupation importante des Français. Nous avons consacré un dossier de Science et pseudo-sciences à cette question particulière [17]. Nous revenons ici sur un épisode peu glorieux de l’histoire du nucléaire, pendant lequel les déchets étaient jetés en mer (voir l’article d’Alexis Quentin « Un historique de la gestion des déchets nucléaires »).

Une dépendance aux États totalitaires

Dans le sondage évoqué plus haut [1], 81 % des Français jugent l’énergie nucléaire comme « indispensable pour l’indépendance énergétique de la France ». Mais là aussi, de nombreuses controverses médiatiques portent sur la réalité de cette indépendance, insistant sur les livraisons en provenance de la Russie [18] ou des relations néocoloniales avec le Niger [19]. L’énergie nucléaire nécessite un approvisionnement en minerai d’uranium. En France, les besoins du parc de 56 réacteurs aujourd’hui en fonctionnement sont de l’ordre de 8 000 tonnes par an, pour un coût annuel inférieur au milliard d’euros. La dernière mine sur le territoire français ayant fermé en 2001, la totalité de ce minerai est importé. L’origine des importations varie fortement d’une année sur l’autre mais on trouve essentiellement le Niger, le Kazakhstan, la Namibie, l’Australie, l’Ouzbékistan et le Canada. C’est donc là une provenance diversifiée qui limite les risques sur l’approvisionnement. Par ailleurs, 8 000 tonnes d’uranium, et même beaucoup plus, ne posent pas de problème de stockage (faible encombrement et faible radioactivité). L’équivalent de plusieurs années de consommation d’uranium déjà miné est à disposition sur le territoire français, ce qui permet de faire face à une éventuelle rupture d’approvisionnement [20].

Pour être utilisé dans les centrales nucléaires en service en France, cet uranium naturel doit être « enrichi », processus qui vise à augmenter la proportion de l’isotope 235 (fissile) devant l’isotope 238 (non fissile). Cette étape d’enrichissement est faite en France à l’usine GeorgesBesse-2 d’Orano sur le site du Tricastin dans la vallée du Rhône. Le procédé repose sur la centrifugation, beaucoup moins énergivore que la diffusion gazeuse utilisée jusqu’en 2010.

Contrairement à la plupart des autres pays exploitant des réacteurs nucléaires, la France a fait le choix de retraiter le combustible après passage en réacteur. Ainsi, les résidus sont « triés » pour séparer le plutonium, l’uranium et les produits de fission. Les produits de fission constituent les déchets ultimes qui sont destinés à être enfouis en couche géologique profonde. Le plutonium possède un potentiel énergétique et est utilisé pour fabriquer du MOX, un mélange d’uranium et de plutonium, qui peut être utilisé dans certains réacteurs. L’uranium extrait possède aussi un potentiel énergétique qui peut être valorisé à condition de l’enrichir, comme ce qui est fait pour l’uranium naturel. Mais cet uranium est contaminé par ses isotopes radioactifs et par des résidus de produits de fission. C’est pourquoi il n’est pas enrichi sur les mêmes installations que l’uranium naturel. La France a donc passé un contrat avec la Russie qui procède à cet enrichissement. L’utilisation du plutonium et de l’uranium de retraitement n’est pas une nécessité (la plupart des pays ne le font pas) mais permet de réduire d’environ 10 % les besoins en uranium naturel, et donc les nuisances associées aux mines [21].

Même si la totalité du combustible nucléaire est importée, la diversification des pays fournisseurs et la capacité à stocker facilement plusieurs années de consommation limitent la vulnérabilité de son approvisionnement. Cette vulnérabilité est largement moindre que pour les combustibles fossiles dont les sources d’approvisionnement sont moins diversifiées, et pour lesquels seuls quelques mois de consommation sont stockés sur le territoire.

En conclusion

L’énergie nucléaire peut contribuer à limiter l’ampleur du changement climatique en offrant une alternative aux combustibles fossiles. Le danger de cette énergie est réel, mais les risques et les contaminations sont souvent exagérés. Une comparaison objective avec les autres modes de production d’électricité montre que, même en considérant les accidents dramatiques de Tchernobyl et Fukushima, le nucléaire se place parmi les énergies les plus sûres, au même niveau que l’éolien ou le solaire photovoltaïque [22].

Le débat sur l’énergie nucléaire est nécessaire car il engage la société sur le long terme. Il implique de nombreuses dimensions politiques (capacité de régulation et de contrôle), économiques (politique industrielle) et sociales (acceptabilité). Mais ce débat ne peut se faire sur des fausses informations ou des rumeurs. Ainsi, ce dossier de Science et pseudo-sciences, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, vise à apporter un éclairage scientifique sur certaines de ces allégations.

Les effets sur les écosystèmes résultant des accidents de Tchernobyl et de Fukushima


La faune et la flore présentes sur ces territoires sont exposées aux rayonnements ionisants via l’exposition externe induite par les radionucléides présents dans l’environnement mais aussi du fait de l’exposition interne provoquée par les radionucléides ingérés, inhalés ou absorbés.

Pour étudier l’état des populations, une première estimation peut être déduite de l’abondance des individus. Dans la région de Tchernobyl, les résultats obtenus sont contradictoires. Cependant, il semble bien que les mammifères soient moins présents dans les zones les plus contaminées (diminution d’environ 60 % pour une dose 10 fois supérieure). À Fukushima, les études indiquent que la présence de mammifères est beaucoup plus sensible à la proximité avec les activités humaines qu’au taux de radioactivité. Dans l’océan côtier proche de la centrale accidentée, si une espèce de mollusque semblait avoir disparu dans l’année suivant l’accident, son abondance est maintenant supérieure à celle des régions plus éloignées.

En ce qui concerne les impacts sur le métabolisme, plusieurs perturbations en relation avec la radioactivité ambiante ont été rapportées. Cependant, les effectifs étudiés sont souvent limités, les variations interindividuelles peuvent masquer les effets recherchés et enfin, les bases de données nécessaires pour l’analyse des données sont souvent inexistantes pour les espèces sauvages étudiées. Les effets à long terme, intergénérationnels, ont aussi été recherchés, donnant là encore des résultats contradictoires qui sont parfois interprétés comme le résultat de l’adaptation des espèces au niveau ambiant de radioactivité. L’impact de la radioactivité sur les écosystèmes est donc extrêmement complexe, avec des effets délétères pour les forts niveaux de doses, une possible adaptation, une compétition entre les espèces qui peuvent avoir des sensibilités différentes, et des déplacements entre les zones fortement ou peu contaminées.

Source  : RSN, « 1986-2021 – Tchernobyl, 35 ans après. Les effets sur les écosystèmes résultant des accidents de Tchernobyl et de Fukushima ». Sur irsn.fr

Références


1 | Ifop, « Les Français et le nucléaire : adhésion et traits d’image », sondage, septembre 2022. Sur ifop.com
2 | Société française d’énergie nucléaire, « Les émissions carbone du nucléaire français : 4 g de CO2 le kWh », Revue Générale Nucléaire, 16 juin 2022. Sur sfen.org
3 | « Débat public sur les nouveaux réacteurs nucléaires et le projet Penly (76) », consultation, 26 octobre 2022. Sur vie-publique.fr
4 | « Projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes », 3 novembre 2022. Sur vie-publique.fr
5 | Agence internationale de l’énergie atomique, « Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (INES) », ressources d’informations Nucleus, 2022. Sur iaea.org
6 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « 1986-2016 : Tchernobyl, 30 ans après : l’accident nucléaire de Tchernobyl et son déroulement », 2021. Sur irsn.fr
7 | Organisation mondiale de la santé, “Chernobyl : the true scale of the accident”, 5 septembre 2005. Sur who.int
8 | Bach P, « Tchernobyl : près d’un million de morts, selon de nouvelles études », Reporterre, 31 décembre 2010. Sur reporterre.net
9 | Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « Plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur », Risques, février 2014. Sur gouvernement.fr
10 | Autorité de sûreté nucléaire, « Extension des plans particuliers d’intervention autour des centrales nucléaires françaises », communiqué de presse, 3 juin 2019. Sur asn.fr
11 | Ingremeau J-J, « Sûreté nucléaire en France et conséquences radiologiques en cas d’accident », Science et pseudosciences n° 340, avril 2022.
12 | « Débat télévisé Jean-Luc Mélenchon – Éric Zemmour », BFMTV, 23 septembre 2021. Sur twitter.com
13 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Fukushima en 2020 : conséquences environnementales et le retour des populations dans les territoires évacués », 2020. Sur irsn.fr
14 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « 1986-2021 : Tchernobyl, 35 ans après, les effets sur les écosystèmes résultant des accidents de Tchernobyl et de Fukushima », mai 2021. Sur irsn.fr
15 | Deryabna et al., “Long-term census data reveal abundant wildlife populations at Chernobyl”, Current Biology, 2015, 25 :R811-26.
16 | Leboucq F, « Contamination de l’eau du robinet au “tritium” ou au “titanium” radioactif : histoire d’un emballement », Libération, 23 juillet 2019. Sur liberation.fr
17 | Dossier « La gestion des déchets radioactifs », Science et pseudo-sciences n° 318, avril 2018.
18 | Greenpeace, « Nucléaire : des conteneurs d’uranium enrichi en provenance de Russie continuent d’arriver en France », 25 août 2022. Sur greenpeace.fr
19 | Observatoire du nucléaire, « La France devrait rembourser au Niger l’uranium pillé depuis 50 ans et réparer les graves dommages causés par Areva », 6 février 2014. Sur observatoire-du-nucleaire.org
20 | Ministère de la Transition énergétique, « Approvisionnement en uranium et le cycle du combustible nucléaire », 24 novembre 2017. Sur ecologie.gouv.fr
21 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Le retraitement du combustible », 2020. Sur irsn.fr
22 | Ritchie H,“Nuclear and renewables are far, far safer than fossil fuels”, Our World in Data, 10 février 2020. Sur ourworldindata.org