La qualité de l’air et ses conséquences sur la santé publique
Publié en ligne le 28 octobre 2024 - Environnement et biodiversité -
Pendant longtemps, les effets de la pollution de l’air sur la santé n’ont été détectables que dans des épisodes de pollution extrême comme le grand smog de Londres en décembre 1952 (voir encadré ci-après). L’identification par les scientifiques, dans les années 1960, des pluies acides dans l’hémisphère Nord a mis en évidence l’impact des émissions dans l’atmosphère de dioxyde de soufre (SO2) et d’oxydes d’azote (NOx) issus des transports et de l’industrie. Cela va conduire à la signature, en 1979, d’une première convention internationale sur la qualité de l’air [1]. Dès lors que la qualité de l’air que nous respirons a été identifiée comme une information pertinente pour la santé publique, sa surveillance a été organisée et des mesures réglementaires ont été élaborées, en particulier aux niveaux européen [2] et français [3].

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie et met à jour depuis 1987 des valeurs qu’elle recommande de ne pas dépasser pour les moyennes annuelles et les moyennes sur 24 heures des six principaux polluants de l’air : particules fines de diamètre inférieur à 2,5 µm (PM2.5), particules fines de diamètre inférieur à 10 µm (PM10), ozone (O3), dioxyde d’azote (NO2), dioxyde de soufre (SO2) et monoxyde de carbone (CO) [4].
En France, la qualité de l’air s’améliore depuis 1990
Les données recueillies permettent de constater qu’en France, comme dans l’ensemble des pays occidentaux, les émissions des principaux polluants ont beaucoup diminué.
En France, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), l’organisme indépendant qui collecte les données sur la pollution de l’air, « les émissions de tous les polluants atmosphériques sont en baisse depuis 1990 (métaux lourds, polluants acidifiants, polluants eutrophisants, précurseurs d’ozone troposphérique, particules, polluants organiques persistants) » et pour certains d’entre eux, les émissions « ont été très fortement réduites, voire quasiment éliminées » [5].
Le grand smog de 1952 a été d’une gravité sans précédent, provoqué à la fois par les conditions météorologiques particulières et par la pollution. Au cours du XXe siècle, les brouillards de Londres étaient devenus plus rares, les usines ayant commencé à migrer à l’extérieur de la ville. Cependant, le 5 décembre, un anticyclone s’est installé sur la région. Ce système météorologique de haute pression a provoqué une inversion du profil de température par laquelle de l’air froid a été piégé sous de l’air chaud en altitude. Les émissions des usines et des feux domestiques n’ont alors pu être mélangées dans l’atmosphère et sont restées piégées près du sol. Le résultat fut le pire brouillard de pollution de l’histoire de la ville [le mot smog est un mot-valise d’origine anglaise formé à partir de la contraction des mots smoke (fumée) et fog (brouillard).
La visibilité était tellement réduite dans certaines parties de Londres que les piétons ne pouvaient pas voir leurs propres pieds. En dehors du métro, les transports ont été sévèrement limités. Les services d’ambulance ont souffert, obligeant les gens à se débrouiller seuls pour se rendre à l’hôpital dans le smog. De nombreuses personnes ont tout simplement abandonné leur voiture dans la rue. Les pièces de théâtre et les concerts en salle ont été annulés car le public n’arrivait pas à voir la scène, et la criminalité dans les rues a augmenté. Le nombre de décès et d’hospitalisations pour cause de pneumonie et de bronchite a augmenté. Des troupeaux de bétail de Smithfield seraient morts étouffés. Bien que le brouillard ait duré cinq jours pour finalement se dissiper le 9 décembre, sa gravité n’a été pleinement appréciée que lorsque les services de l’état civil ont publié, quelques semaines plus tard, le nombre de décès, qui s’élevait à environ 4 000. Cependant, les effets du smog de 1952 ont été durables et les estimations actuelles évaluent le nombre de décès à environ 12 000.
Source
Martinez J, “Great Smog of London”, Encyclopedia Britannica, 26 avril 2024 (traduction en français par nos soins).
Plus précisément, entre 1990 et 2023 [6], les émissions de PM2.5 ont diminué de 65 % et celles de PM10 de 58 % (voir encadré). La source principale de PM2.5 est actuellement le chauffage résidentiel au bois bûche (50 % des émissions totales). Les émissions de NOx, qui incluent le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO2) et qui proviennent majoritairement des processus de combustion dans les secteurs du transport et de l’industrie, ont baissé de 70 %. Les émissions d’ammoniac (NH3) ont baissé de 23 % (l’agriculture en est le principal émetteur – engrais azotés et déjections issues des élevages). Les émissions de SO2, qui proviennent majoritairement des activités industrielles, ont baissé de 94 %, et celles de CO de 78 %. Les émissions des composés organiques volatils non méthaniques, qui sont notamment impliqués dans la formation de l’ozone, ont été réduites de 64 %. Les émissions des quatre métaux dont les concentrations dans l’air sont réglementées (arsenic 1, cadmium, nickel et plomb) ont également baissé, respectivement, de 69 %, 88 %, 93 % et 98 %.
Cependant, malgré ces baisses régulières, les valeurs réglementaires de concentration dans l’air ambiant de NO2, PM10 et O3 ne sont pas toujours respectées, en particulier dans les grandes agglomérations. Ceci a conduit la Commission européenne à lancer des procédures d’infraction à l’encontre de la France et cette dernière a été condamnée par la Cour de justice européenne en 2019 pour ses trop fortes concentrations en NO2 dans plusieurs villes, et en 2022 pour les dépassements des valeurs seuils des PM10 à Paris et à Fort-de-France en Martinique [7]. D’autres pays européens ont également été condamnés pour divers dépassements de seuils de concentration de polluants (Bulgarie, Royaume-Uni, Allemagne, Pologne, Italie, Grèce) [8].
La qualité de l’air s’améliore également en Europe pour la plupart des polluants observés [9], avec toutefois des disparités importantes. Cependant, note l’Agence européenne de l’environnement, malgré cette amélioration globale et continue de la qualité de l’air, « les normes européennes actuelles ne sont toujours pas respectées dans toute l’Europe » [10].
Un problème majeur de santé publique
L’OMS estime qu’en 2019, « la pollution de l’air ambiant (extérieur) dans les villes et les zones rurales était responsable de 4,2 millions de décès prématurés par an dans le monde », conséquence de l’exposition aux seules particules fines PM2.5 [11]. L’OMS ajoute que 89 % des 4,2 millions de décès prématurés surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. À cela s’ajoute, toujours selon l’OMS, environ trois millions de décès prématurés, conséquence des modes de cuisson traditionnels par feux ouverts ou fourneaux inefficaces dans certains pays à revenu faible ou intermédiaire [12]. Au total, ce sont donc environ huit millions de décès prématurés que l’on peut imputer globalement à la pollution de l’air, soit un décès sur huit, dont 90 % surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire [13].

En Europe, en 2023, l’Agence européenne de l’environnement estime à 253 000 le nombre de décès qui pourraient être évités chaque année dans l’Union européenne si les concentrations de particules fines étaient conformes aux recommandations de l’OMS [14]. En France, Santé publique France a évalué le nombre de décès annuels attribuables à la pollution de l’air par les PM2.5 à 48 000 pour la période 2007-2008 [15], et a actualisé cette valeur à 40 000 pour la période 2016-2019 [16] (auxquels s’ajoutent 7 000 décès attribuables au dioxyde d’azote).
La pollution de l’air intérieur
La pollution spécifique de l’air intérieur est devenue une préoccupation de santé publique à part entière, y compris dans les pays à fort revenu. En France, nous passons environ 80 % de notre temps dans des espaces clos (domicile, travail, transports…) et la qualité de l’air intérieur est généralement plus mauvaise que celle d’un espace ouvert [17]. Cette pollution est due aux produits et objets de notre quotidien qui relâchent de nombreuses substances, aux matériaux de construction et de décoration, à nos activités et pratiques, aux éventuels animaux de compagnie et au piège que constitue l’isolation si le local est mal ventilé [18] (voir l’article de Gaëlle Guillossou et Véronique Ezratty, « La qualité de l’air intérieur »).

Évolution des émissions de particules fines en France métropolitaine entre 1990 et 2023 [1], en milliers de tonnes par an. La qualité de l’air en un lieu donné est évaluée en mesurant des concentrations, qui dépendent d’autres facteurs que les seules émissions : conditions météorologiques (transport et dispersion par le vent et la pluie), topographie, réactions chimiques, dépôt et remise en suspension de particules, etc.

Évolution de la mortalité en France (nombre de décès pour 100 000 habitants), évaluée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) [2].
Références
1 | Citepa,« Données d’émissions Secten », site de données. Sur citepa.org
2 | Global Burden of Disease, “GBD compare”, site de données, 2021. Sur vizhub.healthdata.org
Comment est calculé l’impact sanitaire de la pollution de l’air ?
Trois éléments principaux influencent significativement l’estimation de l’impact sanitaire de la qualité de l’air :
1) les risques de décès pris en compte (par cause de décès ou toutes causes confondues) ;
2) l’estimation de l’augmentation de ces risques de décès en fonction de l’augmentation du niveau de pollution ;
3) le scénario de référence (celui auquel on compare la pollution observée pour déterminer le nombre de décès évitable) (voir l’article de Catherine Hill, « Pollution de l’air : les raisons de la grande variabilité des évaluations »).
Comparer au tabac et à l’alcool ?
Dans les médias, les 40 000 décès imputés à la pollution de l’air ambiant sont souvent comparés à ceux attribués à l’alcool ou au tabac, avec des titres affirmant que la pollution de l’air serait aussi nocive que le tabac et l’alcool. Formellement, les chiffres sont du même ordre de grandeur : en France, le tabac est responsable de 75 000 décès chaque année [19] et l’alcool de 41 000 décès [20]. Mais l’estimation de Santé publique France pour la mortalité attribuable à la pollution repose sur des hypothèses extrêmes, aussi bien pour l’augmentation du risque que pour le niveau de pollution de référence pris (les 5 % des communes rurales les moins polluées – ce sont principalement des communes de montagne). Ainsi, les 40 000 décès annuels seraient évités si toute la population française vivait dans ces conditions. D’après l’OMS, la mortalité attribuable à la pollution de l’air extérieur par les particules fines en France est égale à 13 200 décès par an (avec une fourchette de précision entre 9 000 et 17 000), ce qui correspond à 2,2 % des décès, plus 1 100 décès par bronchopneumopathie chronique obstructive attribuables à l’ozone.
La pollution de l’air est donc bien un enjeu majeur de santé publique, mais il importe de manier les chiffres avec précaution, en ayant conscience des hypothèses sur lesquelles ils reposent, et également de constater que, pour la pollution de l’air, la tendance des dernières décennies, surtout dans les pays à hauts revenus, est à l’amélioration du fait de la mise en place de réglementations contraignantes.
1 | Grennfelt P et al, “Acid rain and air pollution : 50 years of progress in environmental science and policy”, Ambio, 2020, 49 :849-64.
2 | Simonetti F, « Le droit européen de l’environnement », Pouvoirs, 2008, 127 :67-85.
3 | Loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie. Sur legifrance.gouv.fr
4 | Organisation mondiale de la santé, “What are the WHO Air quality guidelines ?”, page web, 22 septembre 2021. Sur who.int
5 | Citepa, « Émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France (1990-2023) », Rapport Secten, 2024. Sur ressources.citepa.org
6 | Citepa, « Données d’émissions Secten », site de données. Surf citepa.org
7 | Citepa, « Après le NO2, les PM10 : la France condamnée par la Cour de justice de l’UE pour non-respect de la directive sur la qualité de l’air », page web, 18 mai 2022. Sur citepa.org
8 | Citepa, « Qualité de l’air : la Commission remet la France en demeure sur les dépassements des valeurs limites de NO2 », page web, 22 février 2024. Sur citepa.org
9 | European Environment Agency, “Air pollutant emissions data viewer (Gothenburg Protocol, Air Convention) 1990-2021”, site de données, 4 juillet 2023. Sur eea.europa.eu
10 | European Environment Agency, “Europe’s air quality status 2024”, page web, 6 juin 2024. Sur eea.europa.eu
11 | Organisation mondiale de la santé, « Pollution de l’air ambiant (extérieur) », page web, 19 décembre 2022. Sur who.int
12 | Organisation mondiale de la santé, « Household air pollution », page web, 15 décembre 2023. Sur who.int
13 | State of Global Air, “Health impacts of air pollution”, page web, 2024. Sur stateofglobalair.org
14 | European Environment Agency, « Les niveaux de pollution atmosphérique restent trop élevés en Europe et constituent le principal risque environnemental pour la santé », page web, 24 novembre 2023. Sur eea.europa.eu
15 | Santé publique France, « Impacts de l’exposition chronique aux particules fines sur la mortalité en France continentale et analyse des gains en santé de plusieurs scénarios de réduction de la pollution atmosphérique », Rapport, 2016.
16 | Medina S et al., « Impact de pollution de l’air ambiant sur la mortalité en France métropolitaine », Études et enquêtes, Santé publique France, 2021.
17 | Letinois L, Malherbe L, « Étude des relations entre les concentrations dans l’air intérieur et extérieur », Observatoire de la qualité des environnements intérieurs, Rapport, 2010. Sur oqai.fr
18 | Airparif, « Généralités sur l’air intérieur », page web.
19 | Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addicitives, « Tabagisme en 2022 : un nombre de fumeurs stable et des inégalités de santé toujours marquées », page web, 1er juin 2023. Sur drogues.gouv.fr
20 | Bonaldi C, Hill C, « La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 19 février 2019.
1 L’arsenic n’est pas à proprement parler un métal, mais un métalloïde, partageant des caractéristiques des métaux et des non-métaux.
Publié dans le n° 350 de la revue
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Les auteurs
Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
Plus d'informationsCatherine Hill

Catherine Hill est épidémiologiste et biostatisticienne, spécialiste de l’étude de la fréquence et des causes du (…)
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